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publié dans Ressources le 16 février 2010

Entretien avec Herman Kumara, Secrétaire général du Mouvement de solidarité national des pêcheurs (Nafso) au Sri Lanka

Herman Kumara/Nathalie Boquien

Leaders paysan.ne.sOrganisations de producteurs et de productricesPêcheAsie

Entretien réalisé et traduit par Nathalie Boquien (Inter-réseaux – Grain de sel) lors du Forum paysan organisé par le Fida à Rome, le 16 février 2010.

Grain de sel (GDS) : Pouvez-vous vous présenter ?
Herman Kumara (HK) :
Je m’appelle Herman Kumara, et je viens du Sri Lanka. Je travaille avec les petits pêcheurs du Sri Lanka, et aussi dans différents pays car je suis le secrétaire général du Forum mondial des peuples de pêcheurs (WFFP). Je travaille donc avec 28 pays autour du monde, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud et également en Europe. Notre organisation compte à peu près 10 millions de membres, qui sont tous des petits pêcheurs ou communautés de pêcheurs. J’ai d’abord été élu comme secrétaire général du Forum mondial des pêcheurs en 2004 ; j’ai été réélu en 2006 lors de l’assemblée générale qui s’est tenue au Kenya, puis encore une fois en 2008. Mon mandat va jusqu’à la prochaine assemblée générale qui se tiendra à Karachi au Pakistan en fin d’année. Mon rôle est de coordonner les activités entre les organisations membres, depuis 2004. Je porte les problèmes des petits pêcheurs, des travailleurs dans le domaine de la pêche et des communautés de pêcheurs, aux forums nationaux, régionaux et internationaux, et j’attire l’attention des différents leaders pêcheurs, des femmes, des jeunes, et aussi des pêcheurs eux-mêmes, sur les préoccupations concernant leurs vies, leurs moyens de subsistance, les questions environnementales, économiques, etc.
GDS : Quelles sont vos activités au niveau du WFFP ?
HK :
Chaque année nous nous réunissons et discutons. Nous organisons des forums régionaux et continentaux, et au niveau du WFFP nous avons des représentants de chaque continent au bureau central. Nous essayons de nous concentrer plus sur les questions régionales lors des forums continentaux du WFFP. L’année dernière par exemple nous nous sommes rencontrés à Rome pour le comité de coordination. Nous en avons profité pour participer à un forum parallèle sur la souveraineté alimentaire organisé par Comité international de planification pour la souveraineté alimentaire (CIP) qui se tenait en novembre. Nous y avons participé pour y apporter les questions concernant la situation des petits pêcheurs. En général, nous travaillons de façon proche avec le CIP sur la souveraineté alimentaire, et sur ce sujet nous ne nous limitons pas aux questions concernant la pêche, mais nous considérons dans leur ensemble les petits producteurs comme les agriculteurs, les paysans, les bergers, et n’importe quel autre type de producteur de nourriture. Nous travaillons donc en collaboration de façon très proche pour porter ensemble les problèmes des petits producteurs aux instances et forums internationaux.

GDS : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez pour mener à bien ces activités ?
HK :
Nos pêcheurs sont complètement débordés par leurs propres problèmes quotidiens. Ils n’ont pas de temps à passer sur les questions d’envergure nationale ou internationale. Pour eux, c’est chaque jour une lutte pour la vie car, s’ils ne vont pas en mer aujourd’hui, ils n’auront aucun revenu pour la journée. Si une femme n’est pas parvenue à préparer et vendre du poisson, quel que soit le prix, ils risquent de perdre leur revenu journalier, ce qui peut très vite les amener à la pauvreté, dans cette situation ils sont très vulnérables. Il est donc très difficile de regrouper les pêcheurs ensemble et de les amener aux forums internationaux, ceci est un premier problème. Parce que ceux qui rencontrent ces difficultés quotidiennes n’ont vraiment pas les moyens d’aller au delà et de porter leurs problèmes à des niveaux supérieurs. Par ailleurs, leurs capacités sur des sujets comme la réforme de l’aquaculture, la privatisation de l’eau ou la commercialisation sont limitées ! Ils ne connaissent pas particulièrement les causes de leurs propres problèmes. Ils sont donc dans une situation particulièrement vulnérable pour tenir une position déterminée. Nous voyons beaucoup de problèmes dans les communautés de pêcheurs, mais c’est difficile de les faire se regrouper pour les analyser. Ceci est la première difficulté que nous rencontrons. Un autre problème c’est que les gouvernements national et de nos régions ne sont pas particulièrement concernés par le situation des petits producteurs ; ils pensent que l’investissement, l’appui ou les subventions pour les petits producteurs sont vains, qu’il n’y a pas de marché ou que ce n’est pas rentable. Pour eux tout dépend de la rentabilité des systèmes. Les gens doivent faire face quotidiennement à la concurrence de l’industrie, et en même temps nos gouvernements font la promotion d’industries de pêche de plus en plus grandes, et sur la côté le tourisme et l’économie se développent de plus en plus. Cela oblige les communautés de pêcheurs à se disperser sur la côte pour assurer leur propre survie. Il est donc très difficile de regrouper les pêcheurs tous ensemble pour travailler ensemble, et se battre ensemble pour protéger leurs droits !

GDS: Dans ce contexte, quel est votre rôle en tant que responsable ?
HK:
Nous recevons beaucoup d’informations venant de toutes les parties du monde. Nous en assurons la diffusion. Les personnes qui nous appuient – certains sont des experts, certains sont des érudits – nous aident, sur la base de tout ce que nous collectons comme informations, à analyser la situation, les problèmes, et à réfléchir sur comment nous allons survivre, comment nous devrions agir et militer, sur nos droits, et ainsi nous essayons d’avoir au moins quelques leaders qui se consacrent à ces questions, qui soient capables de superviser la situation et de se concentrer plus sur le futur, et sur comment cela devrait évoluer etc. Mon rôle est d’apporter les problèmes sur la table et de les analyser et d’expliquer aux autres l’intérêt que nous avons à tous travailler ensemble, de les convaincre que c’est la seule solution pour que nous continuions d’exister, de survivre, que c’est une équipe « gagnant-gagnant ». Mon rôle est aussi d’aller dans les groupes continentaux, de coordonner ces groupes et de les amener à discuter de façon approfondie des problèmes. C’est aussi de les orienter vers les différents autres groupes, vers les leaders avec qui ils peuvent discuter, qui peuvent les aider en les représentant dans les divers forums, conférences, groupes, etc. Nous expliquons aussi au monde qu’en tant que petits pêcheurs, c’est notre mission que de faire face à cette situation. Ainsi, les personnes qui ont une certaine idéologie peuvent intervenir sur ces bases. Donc pour résumé, mes fonctions : collecter les informations, donner les orientations, renforcer les capacités, tout ceci est fait de façon collective avec le groupe mais j’y participe ; et coordonner le groupe et les différents groupes ensemble.

GDS: Comment faites-vous pour maintenir le lien entre la base et vos actions au niveau international ?
HK:
Ceci est l’un de nos plus gros problèmes, car dans notre groupe la langue utilisée communément est l’anglais. Mais nous avons aussi des hispanophones, des francophones, ce sont les 3 principales langues que nous utilisons comme langues officielles. Et nous avons très peu de ressources pour assurer les traductions, c’est donc très difficile de communiquer ! Nous avons donc sélectionné certains leaders, certains groupes, certains pêcheurs, au sein des groupes, qui peuvent communiquer dans deux langues, comme français et espagnol ou espagnol et anglais. Il y a donc des personnes qui nous aident pour communiquer, mais c’est toujours difficile car tout le monde est engagé dans son propre travail plutôt que de traduire les documents et d’aider à communiquer. C’est donc vraiment un problème important pour nous. Nous essayons donc d’utiliser les ressources existantes de façon optimale pour communiquer entre nous. Mais il y a toujours, malgré tout, un fossé important entre nous et parfois j’ai le sentiment que les hispanophones et les francophones sont laissés de côté, ils se plaignent parfois quand nous nous réunissons « vous ne communiquez pas avec nous ». Nous devons sérieusement et fermement trouver une solution pour surmonter ce problème.

GDS: Comment réussissez-vous à tenir compte des demandes des pêcheurs, des exigences des partenaires, des gouvernements, etc ?
HK:
Je suis un peu comme un intermédiaire, je ne suis pas là pour faire plaisir à qui que ce soit. Nous avons notre position, nous représentons les petits pêcheurs et nous sommes là pour défendre les intérêts des petits pêcheurs. Quand vous me voyez, vous ne voyez qu’une personne, mais derrière moi il y a des millions de personnes. Je ne peux donc pas représenter mon propre intérêt, je devrais représenter l’intérêt des gens là-bas, et donc si vous dites quelque chose qui va à l’encontre des intérêts des petits pêcheurs je m’y opposerai vivement et fermement ! Nous ne sommes donc pas très diplomates. Si des officiels des gouvernements, des bureaucrates ou des ONG mettent en avant des choses qui ne sont pas pertinentes pour nous, qui causent des dégâts dans notre communauté, nous nous y opposons fermement. Par rapport à une situation en particulier, qui ne nous plait pas, nous faisons la part des choses : « ceci est un combat, ceci est acceptable, ceci nous l’appuyons, et ceci nous ne pouvons pas l’appuyer ». Nous essayons de ne faire plaisir à personne mais de représenter les intérêts des pêcheurs, d’être l’organe politique des petits pêcheurs.

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