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publié dans Ressources le 7 mai 2010

Entretien avec Sibiri Jean Zoundi, Administrateur principal du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO)

Christophe Jacqmin/Sibiri Jean Zoundi

Leaders paysan.ne.sOrganisations de producteurs et de productricesBurkina Faso

Entretien réalisé par Christophe Jacqmin (Inter-réseaux – Grain de sel) à Grand Bassam le 7 mai 2010.

Grain de sel (GDS) : Pouvez-vous vous présenter ?
Sibiri Jean Zoundi (SJZ) :
J’ai travaillé pendant vingt ans au Burkina Faso en tant que chercheur au sein de l’Institut de l’environnement et de la recherche agricole (Inera). En 2006, j’ai rejoint l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans le cadre du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. Depuis longtemps, je suis les évolutions des Organisations professionnelles (OP), que ce soit au Burkina ou même au niveau du Roppa. Je suis donc « au parfum » des évolutions en cours depuis la fin des années 80.

GDS : Justement, depuis les années 80, avez-vous perçu un changement dans le profil des leaders paysans ?
SJZ :
C’est vrai qu’il y a tout un changement mais d’aucun dirait que les changements viennent lentement ! Comme vous le savez, dans tout mouvement paysan, au début il y a toujours des opportunistes, et beaucoup se sont hissés à la direction des organisations de producteurs sans aucune légitimité : c’est une pratique d’influence pour satisfaire des intérêts personnels. Je ne dis pas que tout est soit noir soit blanc mais, au début de ce processus-là, quand les États se sont retirés et quand les partenaires ont pressé les OP à se structurer rapidement « pour combler le vide », on a eu ce genre de choses, on a eu des gens qui sont arrivés dans le système et qui n’avaient rien à voir avec les préoccupations des « vrais » paysans. C’est normal, c’est de bonne guerre : le vide s’est rempli, rapidement. Mais je me dis que c’est comme dans un mouvement politique : tout vient progressivement avec la maturation. Progressivement, de vrais leaders ont émergés, porteurs d’un certain idéal, qui défendent les intérêts des producteurs, etc. Mais tout n’est pas encore propre comme on le voudrait. Mais je dis qu’il faut « donner du temps au temps ». Aujourd’hui je continue à dire à certains leaders de se poser cette question :« ce que vous dites, c’est votre propre représentation ou c’est effectivement la situation à la base ? » Cela signifie qu’il y a encore beaucoup de travail à faire au niveau de nombreux leaders déconnectés de la réalité des producteurs. On pourrait aller plus loin, car il y a beaucoup de leaders qui, notamment, ne connaissent que le monde extérieur et non la situation au sein de leur propre organisation.

GDS : Aujourd’hui, quels sont les problèmes qui se posent avec les leaders paysans ?
SJZ :
Aujourd’hui, ce que je dis souvent aux leaders, c’est de se poser la question : est-ce effectivement la situation à la base que vous défendez, ou est-ce votre propre représentation de la réalité ? Il y a encore beaucoup de travail à faire car il existe beaucoup de leaders qui sont complètement déconnectés de la réalité des producteurs. Il y a beaucoup de leaders qui ont une très bonne connaissance du monde extérieure mais pas de la situation au sein même de leurs OP ! Je pense aussi que nous, partenaires techniques, nous sommes également responsables de cette situation car de plus en plus nous leur disons de s’associer avec du monde ; or pour cela, il faut que les leaders voyagent, aillent dans les réunions, etc. Or le problème c’est qu’après ces rencontres et voyages il n’y a souvent jamais de compte-rendu de fait à la base, vous avez ainsi des leaders qui parlent haut, qui sont écoutés mais qui sont totalement déconnectés des vraies réalités. Je dis toujours aux leaders paysans « faites attention de ne pas tomber dans ce piège ! ». C’est cela le vrai danger qui guette. Progressivement les OP deviennent alors des coquilles vides. Les questions démocratiques sont également un problème. Dans certains groupements de base, le président est là depuis 50 ans et cette responsabilité se transmet de père et fils. Tout renouvellement induit par la base dans les OP est de toutes façons source de conflit. Souvent, les leaders paysans accusent les décideurs politiques, mais en fait ils font exactement la même chose qu’eux, voire même pire parfois.

GDS : Vous dites que le renouvellement des leaders pose parfois problème au sein des OP ?
SJZ :
Oui, car le pouvoir est une mauvaise tentation. Très peu de leaders acceptent de dire « j’ai donné ma contribution, j’accepte de me retirer pour que quelqu’un d’autre vienne ». C’est aussi quelque chose qui va prendre du temps. Tout n’est pas noir, nous avons des leaders comme le président d’honneur du Roppa Mamadou Cissokho : il avait commencé à la Fongs où il a laissé sa place à une autre personne, puis il a participé à la création du Roppa et au bout d’un certain temps il s’est retiré également. Des leaders qui se comportent comme ça, cela se compte sur les doigts de la main, malheureusement. Je pense que cela doit être la même chose qu’en politique. Le pouvoir rend pratiquement aveugle. C’est vrai que l’on aurait pu croire que cela n’arrivait qu’aux leaders des partis politiques, malheureusement cela s’est installé aussi au niveau des producteurs. Je pense que, qu’on soit à la base ou au niveau sous-régional local, il y a un travail de conscientisation, de formation sur le leadership, les questions de démocratie, à faire. Les problèmes de gouvernance sont en train de tuer les organisations. Dans certaines, des clans ont émergé avec cette lutte pour accéder au pouvoir. Cela ressemble à des groupuscules de parti politique qui luttent chacun pour accéder au pouvoir. Il faut absolument éviter cela. C’est un piège pour les organisations et je pense que ce n’est que par la formation et la conscientisation que l’on peut arriver à éviter cela. Le problème, c’est aussi qu’aujourd’hui dans beaucoup d’organisation des millions sont brassés. Quand vous êtes président dans une OP, dans un gros 4×4 bien climatisée, bien soigné, vous ne savez même pas combien coûte le litre d’essence puisque vous êtes servi avec des bons. Effectivement, ça attire des convoitises. Ca crée des problèmes. Vous qui êtes dedans, vous ne voulez plus en sortir et ceux qui sont dehors veulent rentrer coûte que coûte. Vous voyez, ce n’est pas simple.

GDS : Selon vous, quelles sont les origines à ces convoitises ?
SJZ :
J’impute cela en premier lieu à la nature humaine. On dit souvent que face au pouvoir et à l’argent on ne peut jamais connaître la réaction des êtres humains, que en ce qui concerne votre propre fils vous ne pouvez pas dire « oui je le connais, il ne va pas faire ça ». C’est la tentation du pouvoir et cela arrive à n’importe qui, c’est la nature humaine. Deuxième fait également, la tentation du bien facile. Les gros financements qui sont injectés dans le système, souvent avec des dispositifs financiers pas suffisamment bien rodés, pas suffisamment bien organisés, ne font qu’augmenter la tentation. Le troisième problème est la question de gouvernance. Beaucoup ne respectent pas le minimum des principes démocratiques qui est : « aujourd’hui je viens librement, je sers une cause, j’ai une période donné, j’ai un mandat donné, et j’accepte qu’à la fin de ce mandat je laisse la place à une autre personne ». Mais beaucoup accèdent aux postes de président, de secrétaire général avec les pouvoirs qui s’y rattachent mais sans avoir une formation solide. Pour être leader, il faut accepter un minimum de fondement démocratique. Je sais que dans le temps le réseau Agriculture paysanne et modernisation (APM) avait beaucoup de modules dans ce sens. C’est un réseau qui s’occupait de la formation des leaders, ils avaient créé des universités paysannes, qui contribuaient à la formation et dans le temps les Centres sociaux d’Afrique de l’Ouest (CSAO). Ils avaient aussi des modules « comment être un leader ».

GDS : Pensez-vous que les bailleurs, les partenaires les institutions peuvent jouer un rôle face à cette situation ?
SJZ :
Notre rôle se cantonne à accompagner le renforcement des capacités et de l’auto-responsabilité. Je pense que l’on ne peut aller au delà. Le mode d’organisation des producteurs, c’est leur affaire. C’est à eux d’être suffisamment mûrs et de décider quelle évolution suivre. Mais il faut quand même former les gens, préparer les futurs leaders. En principe, celui qui est responsable aujourd’hui doit travailler à préparer celui qui va lui succéder. Voilà ce qui doit rentrer dans les mentalités.

GDS : Vous dites qu’il faut former les leaders, les sensibiliser à la démocratie mais vous avez aussi des leaders qui ont beau être formés, sensibilisés, d’un certain niveau, sont pourtant dans cette approche négative que vous décrivez…
SJZ :
C’est la nature humaine, c’est la même chose pour les leaders de partis politiques, ils sont bien formés, ils utilisent des ruses pour pouvoir torpiller les bases des principes démocratiques. La formation ne peut pas tout régler. Mais je reste convaincu qu’il faut donner du temps au temps, c’est pour cela que je disais qu’il ne faut pas tout peindre en noir. Cela viendra progressivement. Je suis convaincu qu’il y a aura une maturation. Ce qui est important, c’est que les producteurs arrivent à se remettre en cause, à reconnaître qu’il existe toujours des failles malgré le chemin parcouru. Parce que si tu ne connais pas ton problème, tu ne peux pas prendre des mesures pour rechercher la solution. Et une fois qu’il y a cette acceptation des faiblesses je suis convaincu que les producteurs peuvent surmonter ces insuffisances. En tout cas, je ne suis pas pessimiste.

GDS : Et pensez-vous que les partenaires ont eu une influence négative sur les OP ?
SJZ :
Les partenaires ont eu un rôle à la fois positif et négatif. Beaucoup d’organisations se sont développées grâce à l’appui des partenaires, c’est indéniable. Que ce soient les ONG, les projets de développement, etc. Si vous regardez par exemple la Fédération des paysans du Fouta Djalon (FPFD), elle a été à la base créée dans le cadre du projet du PDA, et s’est développée grâce à d’autres appuis. Le vrai problème se situe au niveau de la tentation à l’instrumentalisation du mouvement paysan, voire même le risque de vouloir imposer quelque chose qui ne reflète pas l’OP. Concernant les problèmes de gouvernance, beaucoup de partenaires sont responsables. Ce n’est pas seulement l’affaire des producteurs. En effet, quand l’appui dépasse un certain niveau, qu’il y a de l’ingérence dans les affaires de l’OP, cela pose problème. Il faut qu’en tant que partenaire non seulement on arrive à maintenir une certaine « neutralité », même si cela est difficile ; mais aussi savoir quand et à quel niveau apporter son soutien. Souvent je dis aux OP : « affichez vous, soyez plus indépendants, l’accompagnement est nécessaire mais prenez vos propres initiatives parce que vous ne pouvez pas être de simples caisses de résonances des ONG ». Les exemples sont nombreux où l’organisation de producteurs ne fait qu’exécuter le mandat de l’ONG et aider l’ONG à accomplir son mandat, cela n’est pas une logique d’accompagnement !

GDS : Mais donc quand une ONG ou un bailleur de fonds exige des éléments en termes de gouvernance, de démocratie interne, cela pouvant aller jusqu’à être des conditions suspensives à un projet, vous considérez cela comme positif ou c’est aller trop loin ?
SJZ :
C’est un couteau à double tranchant. C’est vrai que personne ne va mettre ses ressources dans une structure où il n’est pas sûr que le résultat visé sera atteint. C’est ça qui pousse certains partenaires à dire « nous voulons un minimum de transparence, un minimum de gouvernance, etc. ». Souvent on veut assurer cet environnement qui pourtant n’existe pas ! Le problème qui se pose, comment doser le bon niveau de gouvernance ? Qui a la clé, le standard de la bonne gouvernance ? À force d’être obnubilé par ça, beaucoup partenaires dépassent les limites et tombent dans l’ingérence avec des risques de perturbation, d’aggravation de problèmes de gouvernance. C’est cela aussi la réalité.

GDS : Et que pensez-vous des relations entre les leaders paysans et les politiques ?
SJZ :
C’est une question très sensible. Pour moi chaque paysan chaque producteur est un citoyen et a ses sensibilités politiques, c’est une donnée à prendre en compte. J’ai toujours dit aux OP qu’il fallait éviter la confrontation et la collusion entre mouvement paysan et les partis politiques. D’abord, la confrontation est un danger à éviter. Vous pouvez créer des alliances, vous pouvez vous opposer à un certain nombre d’idéaux du gouvernement, des politiques, mais sans aller à la confrontation. La confrontation avec les politiques n’a jamais fait avancer quoi que ce soit. On peut les faire bouger sans aller jusque là. Si vous prenez le cas de la pomme de terre en Guinée avec la négociation entre la fédération des paysans du Fouta Djalon et le pouvoir, vous allez comprendre que c’est une question de rapport de force, de dialogue, de négociation, d’argumentaires. Au niveau de la collusion c’est-à-dire la complicité avec les partis politiques, il faut l’éviter car tous les paysans qui sont membres d’une OP ont chacun leur propre parti, et si les leaders font une collusion avec un parti politique cela posera de gros problèmes de déchirure au sein de l’OP. Mais la tentation est grande pour les partis politiques dans beaucoup de pays, au fur et a mesure que le mouvement paysan prend de la force, de s’accaparer des OP pour avoir des voix. C’est un passage pour battre sa campagne politique, pour engranger des voix. C’est un danger pour les OP. Il faut donc aller au-delà même de la formation des leaders, il faut aller jusqu’à une prestation de serment des leaders paysans, que chacun accepte de jurer que de son coté il va épargner à son mouvement toute collusion quelconque avec tel ou tel parti. Mais l’absence de confrontation et de collusion ne veut pas dire aller dans le dialogue d’idées avec le gouvernement. Vous pouvez, avec des argumentaires clairs, aller dans un dialogue sérieux avec le gouvernement, défendre vos idées et convaincre. Vous vous opposez mais sur un discours technique et argumenté, et en étant force de proposition.

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