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publié dans Ressources le 10 mars 2010

Entretien avec Ousmane Tiendrébéogo, Secrétaire général du Syndicat national de travailleurs de l’agropastoral (Syntap) au Burkina Faso

Jade Productions/Ousmane Tiendrébeogo

Leaders paysan.ne.sOrganisations de producteurs et de productricesBurkina Faso

Entretien réalisé par Jade Productions au Burkina Faso en mars 2010.

Jade production (JP) : Pouvez-vous nous présenter le Syntap ?
Ousmane Tiendrébéogo (OT) :
Le Syntap a été créé en 2003 pour défendre les intérêts des acteurs de toutes les filières agropastorales qui sont de plus en plus menacés depuis l’adoption du Programme d’ajustement structurel. Avec les privatisations de la propriété foncière, les paysans sont appelés à devenir des ouvriers agricoles. Nous ne pouvons accepter cela.

JP : Pourquoi un syndicat ?
OT :
Avec les privatisations, notamment de la Société nationale des fibres textiles (Sofitex), la liberté des paysans se trouve compromise. Ils ne peuvent même plus disposer librement de leurs terres, la tendance étant de les transformer en ouvriers agricoles. Tous les problèmes que les producteurs de coton rencontrent sont faits à dessein pour qu’ils échouent. Il en est de même pour les OGM qui ne sont pas à notre portée. Tout ça concourre à nous dégager de nos champs. Il y a des organisations qui se disent faîtières, mais malheureusement elles sont plutôt là pour appuyer les politiques gouvernementales. Ces politiques, nous le savons très bien, sont dictées par les multinationales. Voilà ce qui nous a contraint à nous regrouper en syndicat pour nous faire entendre. La pauvreté rurale semble être quelque chose de planifié et maintenu. Nous entendons lutter contre ce système qui nous cloisonne dans la pauvreté. Le syndicat regroupe justement les petits producteurs, les sans voix. Notre objectif est de préserver par tous les moyens les exploitations familiales. D’ailleurs le Burkina Faso ne peut s’en sortir que par cette forme d’agriculture parce qu’elle représente près de 90% des acteurs ruraux.

JP : En tant que secrétaire général, quelles sont vos fonctions ?
OT :
Je coordonne nos luttes. Nous luttons pour la défense de notre droit de produire qui est de plus en plus menacé. Tout paysan doit pouvoir jouir du fruit de ses labeurs. Ce n’est pas le cas actuellement. Les paysans sont comme embarqués dans un véhicule sans frein avec les industriels et les multinationales au volant. Nous entendons mettre fin à cette injustice.

JP : Quels sont vos moyens de lutte ? qu’est-ce que vous menez comme activités pour vous faire entendre ?
OT :
Il y a divers moyens. Au sein du syndicat, nous parcourons en tout cas les provinces, les villages, pour essayer de porter le message, d’obtenir la mobilisation des paysans. Hormis cela, nous sommes affiliés à bon nombre d’organisations de la société civile dans des regroupements qui mènent justement des luttes. C’est le cas du forum social dont le Syntap est membre fondateur. Notre syndicat est également membre fondateur de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique (Copagen).

JP : Avez-vous réussi à changer quelque chose jusque-là ?
OT :
Nous avons pu quand même déranger le système à notre avantage en dénonçant certaines pratiques inadmissibles. Par exemple, chaque producteur de coton recevait un kit complet d’intrants en début de saison. Au cas où on vous livrerait le kit tardivement, vous ne pouviez pas retourner les produits dont vous n’auriez plus besoin suivant le stade de production. A la fin de la campagne, on vous les facture quand bien même ces produits ne vous auraient pas servi à quelque chose. La campagne suivante, vous recevez obligatoirement un autre kit complet. Nous avons pu remédier à cela à travers nos luttes. Toujours dans le coton, nous avons également pu faire reculer les déclassements anarchiques et arbitraires du coton et la corruption autour du transport du coton des champs vers les usines.
Nous allons rencontrer bientôt le Premier ministre pour échanger sur toutes les formes de corruption et d’escroquerie dont sont victimes les paysans.

JP : Mais quels sont les obstacles auxquels vous faites face ?
OT :
Dans un premier temps, il y a la division des paysans. Nous ne parlons pas toujours le même langage et cela limite la portée de notre action. Ensuite le syndicat manque de moyens financiers notamment pour mener à bien certaines de ses actions. Enfin il y a l’administration qui nous fait obstacle dès qu’elle en a l’occasion. Alors que nous devrions plutôt travailler en tant que partenaires et non adversaires. Mais nous poursuivons quand même notre lutte car autant il y a des gens de mauvaise foi, autant il y a des bonnes volontés qui nous encouragent et qui nous appuient.

JP : A votre avis, qu’est-ce qu’un bon leader ?
OT :
Le bon leader paysan, c’est celui qui maîtrise les difficultés du monde paysan. Paysan lui-même, il se bat pour la défense des intérêts de la paysannerie. Pour cela, il doit être un peu plus au fait des choses que le commun des paysans.

JP : Quelles sont les qualités d’un bon leader ?
OT :
Le bon leader doit être combatif et infatigable. Les paysans sont comme les fourmis. Quand les fourmis veulent déplacer quelque chose, il y en a qui tirent, d’autres poussent, mais d’autres montent dessus. Donc, il faut comprendre que tout le monde ne peut pas avoir le même niveau de compréhension dans la masse paysanne. Il faut donc s’armer de patience, pouvoir comprendre ces gens et leur expliquer qu’au lieu de monter dessus, il faut se mettre du même côté que les autres pour pousser dans un sens unique. C’est ce rôle de guide que doit pouvoir jouer tout bon leader.

JP : Pour qui travaille le leader paysan ?
OT :
Il a son propre champ mais dans la lutte, tout le monde le fait pour un intérêt général. On ne peut pas compter sur une organisation pour défendre son intérêt personnel et égoïste. En défendant l’intérêt général, il défend ses propres intérêts en tant que membre du groupe d’intérêts.

JP : A votre avis, comment est-ce qu’on devient un leader ?
OT :
C’est une question d’option. J’ai initié la lutte et les gens m’ont suivi. D’abord j’ai été dans une centrale syndicale. J’ai été désigné et élu pour m’occuper de l’agro-pastoral. Mais notre lutte demande une certaine autonomie. C’est pourquoi d’ailleurs nous avons préféré cette autonomie-là. En ce moment, on est libre de nos actes, on ne dépend pas de qui que ce soit. C’est ça qui fait que nous sommes partis pour nous battre pour nos propres intérêts.

JP : Qu’est-ce qui vous motive en tant que leader ?
OT :
C’est la défense des intérêts des générations futures. Aujourd’hui nous rencontrons certes des difficultés, mais celles-ci risquent de frapper plus sévèrement nos enfants et petits-enfants qui vont hériter de ces difficultés. Par exemple, la promotion de l’agro business au détriment des petites exploitations familiales, va peser lourdement pour nos enfants qui n’auront même plus de terre pour cultiver. Que vaut un paysan sans terre ? Rien d’autre qu’un esclave. A travers les politiques agricoles actuellement en cours dans notre pays, nos dirigeants sèment les germes d’un apartheid dont les effets seront plus pervers que jamais on ne l’aurait imaginé. Nous nous battons pour garantir aux générations futures au moins le droit de produire. Les terres que nous exploitons, nous les avons héritées, mais elles appartiennent à nos enfants et petits-enfants. Il est de notre devoir de nous battre pour satisfaire nos besoins tout en préservant les intérêts de ceux qui viendront après nous. C’est un devoir humain.

JP : Pouvez-vous nous dire quels sont vos rapports avec la base ?
OT :
Nos rapports sont au beau fixe, il y a des gens qui sont décidés malgré toutes les pressions qu’ils subissent. Ce n’est pas facile quand on vous dit « comme vous êtes syndiqués, on ne vous donne pas les intrants ». Ce n’est pas facile pour nos paysans. Si les gens malgré tout, acceptent de lutter, c’est qu’ils savent où se trouve leur intérêt. Ils savent que l’intérêt n’est pas de produire aujourd’hui, mais de produire demain et après-demain librement et en toute conscience. S’il faut semer une graine aujourd’hui et ne pas avoir la possibilité de la réutiliser demain, à quoi bon ! Mieux vaux accepter les privations aujourd’hui, et ouvrir la voie pour les années à venir. Les paysans ont compris cela et s’engagent avec sincérité dans la lutte.

JP : Comment communiquez avec cette base ?
OT :
Nous communiquons à travers nos tournées dans les villages. Nous tenons régulièrement nos assemblées générales. Bien sûr, il y a les moyens de communication tel que le téléphone portable qui est de plus en plus répandu dans les villages.

JP : Qu’avez-vous apporté comme plus à votre structure en termes de savoir et savoir-faire ?
OT :
C’est surtout mon expertise acquise après des années de militantisme dans le milieu syndical. Je me sens très à l’aise dans mes fonctions de secrétaire général du Syntap. Quand bien même ce n’est pas toujours facile. Je suis obligé d’abandonner ma famille pour les tournées. C’est le prix de l’engagement. En dehors des acquis dont j’ai parlé plus haut, nous avons entrepris une démarche de développement des filières avec l’appui de certaines ONG. Nous avons ciblé un certain nombre de produits comme le sésame dans les zones cotonnières notamment et les cultures de contre-saison.
Au niveau de l’élevage, nous encourageons la sédentarisation des acteurs à travers la création des fermes. Cela permettra non seulement de rendre le secteur plus performant, mais de réduire considérablement les conflits agriculteurs-éleveurs.

JP : Est-ce que vous pouvez vous considérer comme un modèle pour les autres paysans ? OT : Je ne commettrai pas l’erreur d’affirmer cela. Il faut se dire qu’il y a des paysans qui ne sont pas à ma place mais qui sont plus expérimentés que moi. Comme je vous l’avais dit, j’avais abandonné l’agriculture depuis que je suis rentré dans l’armée. C’est à ma retraite que je suis retourné à l’agriculture. Ce qu’on apprend souvent dans les fascicules, avec le personnel d’encadrement n’est pas toujours conforme à la réalité. Pour moi la vraie connaissance est celle des paysans qu’il ne faut pas négliger. Nos paysans ont un savoir faire et maîtrisent parfaitement leur métier.

JP : Quelle est la place que vous avez accordée à la femme au sein de votre structure ? OT : La femme comme l’homme, c’est pareil. Nous ne faisons pas de distinction. Dans le milieu rural, la femme joue de très grands rôles. Elle s’occupe de la gestion au quotidien de la nourriture de la famille à travers la part de céréales que le chef de famille lui remet au fur et à mesure. De plus en tant que symbole de la fécondité, la femme s’occupe des semailles. Il en est de même pour la récolte et le transport des céréales des champs vers le domicile. Cela montre à quel point la femme et l’homme sont complémentaires en milieu paysan.

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