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publié dans Autres publications le 23 septembre 2013

Note de synthèse de l’étude « Peuplement, marché et sécurité alimentaire »

Inter-réseaux

DémographieSécurité alimentaire et nutritionnelleAfrique de l’OuestAnalyse, synthèse

L’étude « Peuplement, marché et sécurité alimentaire » a été publiée en avril 2013 dans les Cahiers de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE/CSAO. L’intégralité de l’étude est disponible sur le site de l’OCDE : http://www.oecd.org/fr/csao/publications/poa.htm. Cette note de synthèse reprend certains éléments de l’étude, en se concentrant essentiellement sur les impacts des dynamiques démographiques sur l’organisation de l’espace rural et les enjeux agricoles et alimentaires ouest-africains.

Télécharger la version PDF de cette note de synthèse : http://www.inter-reseaux.org/IMG/pdf/Synthese_Etude_OCDE_CSAO.pdf

L’étude « Peuplement, marché et sécurité alimentaire » publiée par l’OCDE s’intéresse à la question de la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest, en prenant comme point d’entrée de l’analyse la géographie économique. Elle examine ainsi les dynamiques de la population et du peuplement, et en tire un certain nombre d’enseignements importants. Cet angle d’approche permet aux auteurs d’aborder certains aspects méconnus, ou moins connus, des dynamiques agricoles et alimentaires. S’appuyant sur des études récentes et des travaux de prospective, ce rapport permet également de dégager des tendances nouvelles et encore peu relayées. Cette synthèse reprend certains éléments de cette étude, en retenant essentiellement les impacts des dynamiques démographiques sur l’organisation de l’espace rural et les enjeux agricoles et alimentaires ouest-africains.

Regards rétrospectifs : les dynamiques de peuplement et leur impact sur le monde rural, l’agriculture et la sécurité alimentaire

Une forte croissance démographique

Entre 1950 et 2010, la population ouest-africaine est passée de 72 millions à 290 millions d’habitants : elle a été multipliée par plus de 4, ce qui correspond à une croissance particulièrement rapide. Sur la même période par exemple, la population de l’Europe a été multipliée par environ 1,5 environ, celle de l’Amérique du Sud par 2,5. Cette croissance rapide s’explique par le fait que l’Afrique de l’Ouest est l’une des dernières régions du monde à ne pas avoir achevé sa transition démographique.

La population ouest-africaine représente 28% du continent africain. Si l’on considère la région comme un « pays unique », elle est le 4e pays le plus peuplé au monde, derrière la Chine, l’Inde et les Etats-Unis.

Une urbanisation spectaculaire et contrastée

L’urbanisation est l’une des manifestations les plus spectaculaires des dynamiques de peuplement qui caractérisent la région. Entre 1950 et 2010, la population urbaine a été multipliée par 20, passant de 6 millions à 118 millions d’habitants. L’urbanisation a donc été rapide, bien que moins soutenue depuis les années 1980 : de 8% en 1950, le taux d’urbanisation de la région est passé à 41% en 2010. Le niveau d’urbanisation varie entre les pays : huit pays côtiers ont un niveau proche de 50% alors que le Mali, le Tchad et le Niger se situent sous la barre des 25%. La région compte désormais plus de 120 villes de plus de 100 000 habitants, contre 6 en 1950. L’image traditionnelle d’une Afrique de l’Ouest essentiellement rurale ne reflète plus la réalité.

Cette urbanisation s’exprime sous deux formes : le développement des plus grandes villes et celui du réseau des villes petites et moyennes. Le premier s’est opéré à un rythme d’abord rapide puis ralenti avec la survenue de crises financières puis économiques à partir des années 1980. Malgré ce ralentissement, la « macrocéphalie » (concentration de la population urbaine dans les villes les plus importantes d’un pays) constitue un trait fréquent de l’urbanisation en Afrique de l’Ouest : Dakar rassemble ainsi 47% de la population sénégalaise, Abidjan 38% de la population ivoirienne. Depuis les années 1980, la seconde forme d’urbanisation a pris le relais et participe au développement du marché intérieur (national et régional), notamment des produits agricoles. Le nombre des centres de plus de 5 000 habitants est passé de 500 en 1960 à 2 800 en 2011.

Une concentration de la population rurale

L’urbanisation n’a pas eu pour conséquence de vider les zones rurales. La population rurale a plus que doublé entre 1950 et 2010, passant de 66 millions à 172 millions. Le peuplement des zones rurales est affecté par des dynamiques importantes, avec des mouvements de migration entre zones rurales, marqués par deux tendances : des agriculteurs à la recherche de terres agricoles disponibles et une concentration croissante de la population rurale à côté des centres urbains qui offrent des débouchés commerciaux. La population rurale et les agriculteurs tendent à se concentrer dans les zones proches des villes et bien reliées à celles-ci. Une relation spatiale ruraux-urbains s’est ainsi installée et développée, et l’hétérogénéité des densités des populations rurales augmente.

Une croissance agricole impressionnante

Au cours des 30 dernières années, l’Afrique de l’Ouest est la région du monde qui montre la croissance la plus rapide en termes de production agricole. La production agricole brute augmente annuellement de 3,7% en moyenne entre 1980 et 2010, alors que la moyenne mondiale est de 2,2%. Avec un taux annuel moyen de 3,8%, soit plus que le Brésil et la Chine, la croissance de la production des céréales a été encore plus rapide.
Cette hausse de la production est due pour 1/3 à l’augmentation des rendements, 2/3 à l’augmentation de la surface récoltée. Depuis 1990, on observe une reprise de la croissance des rendements et un ralentissement de la croissance des surfaces récoltées, ce qui pourrait marquer un changement structurel en réponse à la densification rurale et à la réduction des terres disponibles. Contrairement à une vision encore largement répandue, la productivité par agriculteur a augmenté de 2,6% par an depuis 1980, même si elle a effectivement décliné entre 1961 et 1980.

Une population rurale de moins en moins agricole

Autre évolution importante, la population rurale est de moins en moins agricole. Alors qu’en 1950 la population agricole pouvait globalement être assimilée à la population rurale, dans les années 1990, 15% de la population rurale ne vivait plus de l’agriculture. Aujourd’hui, s’il n’existe pas de données précises, cette proportion peut être estimée à 25% et elle devrait encore augmenter avec l’urbanisation croissante.

Moins de producteurs pour nourrir davantage de consommateurs

L’évolution du ratio entre population urbaine et population rurale dans le temps fait évoluer la problématique de la sécurité alimentaire. Le nombre d’urbains par ruraux a été multiplié par 7 entre 1950 et 2010, passant de 0,09 à 0,68. La parité urbains / ruraux n’est pas encore atteinte, mais elle devrait l’être d’ici 2020. Le taux de croissance de la population devrait ralentir plus nettement une fois que la parité urbains / ruraux sera atteinte. Le ratio producteurs / non producteurs a lui aussi évolué. La part des producteurs dans la population totale est passée de 83% en 1960 à 50% en 2010. De ce fait, les producteurs doivent dégager davantage de surplus commercialisables afin de répondre à une demande croissante.

Une insécurité alimentaire forte malgré une meilleure disponibilité agricole

La croissance agricole régionale a permis une hausse de la production alimentaire disponible pour la consommation, qui est passée de 1 661 kcal/hab./jour en 1980 à 2 397 en 2007 (avant prise en compte des importations). Malgré cette hausse, la situation alimentaire et nutritionnelle des populations reste critique.
Selon la FAO, en 2006-08, 33 millions de personnes sont encore sous-alimentées, soit 12% de la population régionale. Selon l’Indice de la Faim dans le Monde (IMF) réalisé par l’IFPRI en combinant la sous-alimentation, l’insuffisance pondérale et la mortalité infantile, 17% de la population ouest-africaine est dans une situation alarmante en 2011 et 4% dans une situation « extrêmement alarmante ». Les crises à répétition témoignent de la forte vulnérabilité des Etats et populations aux chocs, et la renforcent. La prise en compte des risques et de la résilience est ainsi devenue une priorité des Etats et institutions de la région, comme en témoignent la stratégie régionale de stockage et les objectifs du 3e pilier de l’Ecowap.

Des espaces ruraux et urbains de plus en plus connectés et interdépendants

L’évolution du rapport entre population urbaine et rurale a engendré des dynamiques qui se renforcent mutuellement. L’urbanisation a créé un débouché croissant pour la production agricole tandis que les activités économiques en amont (intrants, services) et en aval (commercialisation, transformation) de la production agricole ont soutenu le développement du réseau des villes moyennes et petites et des métropoles. Ce réseau de villes petites et moyennes a en retour contribué à connecter les zones rurales et urbaines : ces villes agissent en tant que centres de marché pour la production agricole et rurale, stimulateur de l’activité rurale non agricole, lieux d’opportunités professionnelles et saisonnières pour les agriculteurs et facilitateurs d’économies d’échelle.

La croissance d’un réseau dense de zones urbaines a par ailleurs réduit la distance moyenne reliant les villages aux centres urbains. La distance moyenne séparant des agglomérations de plus de 10 000 habitants a été divisée par 3, passant de 111 km à 33 km entre 1950 et 2000. L’isolement des zones rurales a aussi été radicalement réduit par la révolution de la téléphonie mobile. Ces nouvelles connexions ont considérablement amélioré et entraîné l’intégration de l’espace rural à l’économie de marché.

Les dynamiques de peuplement des dernières années ont ainsi conduit à une interconnexion plus forte des espaces ruraux et urbains et à une intégration croissante de l’espace rural à l’économie de marché. Ces villes et marchés jouent un rôle essentiel dans le développement rural et agricole : les zones rurales les plus peuplées et les mieux connectées aux villes et aux marchés sont aussi des économies locales plus diversifiées. Les rendements et la productivité agricole y sont également plus élevés.

Un rôle accru du marché pour la sécurité alimentaire des populations

L’urbanisation croissante de la région, l’évolution du ratio entre producteur et non producteur, l’interconnexion accrue entre espaces ruraux et urbains ont conduit à renforcer le rôle du marché pour la sécurité alimentaire des populations, urbaines et rurales. Plus de deux tiers des besoins alimentaires des ménages sont assurés par le marché. Cette proportion dépasse en moyenne 90% pour les ménages urbains. Cette demande se traduit par une hausse de la part de la production commercialisée sur les marchés. Avec un taux de croissance annuel moyen de 5,5%, la production agricole marchande est en forte augmentation.

Le marché joue désormais un rôle central dans la sécurité alimentaire, pour les populations non agricoles comme agricoles qui vendent leur production sur les marchés mais qui s’y approvisionnent également. Il est également essentiel pour les ménages agricoles vulnérables, qui sont acheteurs nets de produits alimentaires.

L’importance croissante du marché et de la concentration dans la consommation et la production alimentaires crée une interdépendance plus forte entre les différentes zones géographiques et les acteurs. Ces interdépendances affectent les décisions de production, les choix des consommateurs et la portée des politiques nationales. Or elles ne sont pas suffisamment intégrées dans les analyses et formulation des politiques de sécurité alimentaire.

Un commerce agricole intra-régional largement sous-estimé

Le commerce intra-régional est réputé particulièrement faible en Afrique et en Afrique de l’Ouest en particulier. En 2008, il s’élève à 8,6 milliards selon la Banque Africaine de Développement, 7 milliards selon la CEDEAO. Les observations de terrain rapportent toutefois une dynamique forte du commerce intra-régional des produits agricoles, contredisant ces données. Ces sous-estimations importantes du marché et des quantités échangées s’expliquent parce que la grande majorité des transactions (informelles) ne sont pas enregistrées dans les statistiques et la comptabilité nationale.
Peu de travaux quantifient la taille réelle du commerce intra-régional des produits agricoles. L’étude réalisée par FARM en 2008 estime qu’il est sous-évalué de 400% (et de 200 à 300% par rapport au volume total échangé). D’après l’exercice de reconstitution des quantités produites mises en marché réalisé sur la filière maïs, les mises en marché sont estimées à 4,8 millions de tonnes, soit deux fois supérieures à celles estimées précédemment dans d’autres études. Les quantités échangées progresseraient ainsi deux fois plus rapidement que la production alimentaire de maïs, dont elles représentent désormais 60%.


Dynamiques de peuplement
Dynamiques de peuplement

Perspectives : identifier et anticiper les grandes évolutions pour mieux les accompagner

Accélérer la transition démographique

Bien que la croissance démographique ralentisse, la transition n’est pas achevée et la population ouest-africaine devrait doubler d’ici 2050, pour atteindre 595 millions d’habitants. Des politiques favorisant l’accélération de la transition démographique (diffusion des moyens modernes de contraception, encouragement des méthodes traditionnelles, médias pour informer les populations sur les avantages d’une natalité plus faible…) permettraient d’accélérer le développement économique et social et l’amélioration de la sécurité alimentaire : avec une baisse de la fécondité, les actifs produisant des biens deviennent plus nombreux que les inactifs qui en bénéficient.

Tirer parti de l’urbanisation pour favoriser la production agricole

La population urbaine atteindra 400 millions en 2050, soit deux urbains pour un rural, ce qui nécessité de repenser les stratégies de sécurité alimentaire. Une politique volontariste de limitation du niveau d’urbanisation, à supposer qu’elle soit réalisable, aurait un impact négatif sur les performances économiques de la région, y compris sur le niveau de vie des agriculteurs. L’urbanisation doit davantage être considérée comme un puissant moteur potentiel du progrès agricole car elle offre aux agriculteurs un débouché croissant à leur production, à condition que les populations urbaines disposent de revenus suffisants.

Baisse de la population agricole et enjeux de production

La population agricole commencera à décroître vers 2030 pour atteindre environ 130 millions en 2050. La proportion des non-producteurs en milieu rural devrait continuer d’augmenter pour atteindre 44% en 2050. Le rapport entre population non agricole et agricole devrait ainsi s’élever à 3,5 en 2050, soit une augmentation de 250%, ce qui impliquera des transformations majeures des systèmes agricoles. Les décennies à venir pourraient donc bien être celles d’une véritable révolution agraire caractérisée par des exploitations agricoles de plus grande taille, utilisant plus de capitaux et d’intrants agricoles.

Population agricole
Population agricole

Un paysage rural marqué par trois types d’exploitations agricoles

Les systèmes agricoles devraient connaître d’importantes transformations. Trois grandes catégories d’exploitations agricoles peuvent être envisagées :

  • – les petites exploitations (surface moyenne estimée à 4 ha) représenteront 72,5% de l’ensemble des exploitations. La majorité d’entre elles sera localisée dans des zones bien connectées aux marchés. Elles se spécialiseront vers des activités à plus forte valeur ajoutée (maraîchage, aviculture) et destinées au marché, ce qui pourrait être une source d’amélioration des revenus pour les producteurs mais également de diversité de l’offre pour les consommateurs. Les petites exploitations isolées auront des difficultés à intégrer ce processus de spécialisation, d’intensification et de création de revenu.
  • – les exploitations de taille moyenne poursuivront leur dynamique de spécialisation et d’intensification. Recourant au crédit et aux capitaux accumulés, elles opéreront selon une logique d’expansion à travers l’agrandissement des superficies et la conquête de nouveaux marchés, dont le marché régional. Elles devraient représenter 17,5% des exploitations.
  • – un changement essentiel sera l’émergence croissante de très grandes exploitations (jusqu’à plusieurs milliers d’ha), sous l’effet de l’augmentation de la demande intérieure. Cette production agricole extensive concernera essentiellement des produits vivriers, en particulier des céréales, à destination des industries de transformation et de la grande distribution. Ces exploitations viseront des zones de faible densité humaine. Cette dynamique commence déjà à émerger dans certaines zones, notamment au Nigéria, elle devrait concerner 10% des exploitations.

Accompagner les transformations spécifiques des différents types d’exploitations agricoles

Les transformations agricoles se feront à des rythmes différents. Les politiques agricoles devraient décliner des dispositifs spécifiques et ciblés pour des producteurs aux profils, enjeux et contraintes divers. Dans tous les cas, il faudra des cadres juridiques clairs (sur le statut des agriculteurs et le foncier) et institutionnels, des opportunités d’accès à des capitaux plus importants, le développement d’un complexe agro-alimentaire intégré.

L’avenir des systèmes agricoles ouest-africains passera également par l’amélioration du fonctionnement du marché commun alimentaire, la relance de la coopération foncière régionale afin de disposer d’un code de conduite et de normes pour les investissements privés dans le foncier et le soutien aux producteurs et à l’investissement agricole.

Exploitations par taille
Exploitations par taille

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