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publié dans Ressources le 6 septembre 2006

Les enjeux et les marges de manœuvres de la Cedeao face aux défis des négociations agricoles / J.Gallezot. – Roppa

TECAfrique de l’Ouest

J. Gallezot. – ROPPA [Réseaux des organisations paysannes et de producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest], 2006. – 47 p.

Ce document a été écrit à la demande du Roppa. Les opinions exprimées et les arguments employés dans la présente étude sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions du Réseau des organisations paysannes et de producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA).

L’Afrique de l’Ouest est en fait un grand PMA qui connaît un déficit alimentaire croissant. Avec un PIB annuel per capita d’environ 500$US, contre 1170$US en moyenne pour les pays en voie de développement, la zone est en effet parmi la plus pauvre du monde. Les pays de l’Afrique de l’Ouest, avec 13 pays sur 16, sont majoritairement classés parmi les Pays les Moins Avancés (PMA). Par ailleurs, en écartant les produits tropicaux destinés à l’exportation (cacao, café, etc..) et les produits agricoles non alimentaires, le constat d’un déficit alimentaire croissant de la CEDEAO s’impose, il a été multiplié par 3 de 1995 à 2003, passant de 1,6 à 4,3MM de $.

Pour envisager un mode de développement qui contribue de manière durable à la satisfaction des besoins alimentaires de la population, il est nécessaire de réduire la dépendance alimentaire et d’inverser cette tendance. Cette étude a pour objet d’identifier les enjeux et les marges de manoeuvre qui s’offrent aux pays de la CEDEAO pour mieux adapter les instruments économiques aux objectifs de la Politique agricole et à la mise en place prochaine d’un APE avec l’UE.

L’analyse des avantages et désavantages comparatifs de la CEDEAO, souligne que les céréales (froment de blé, le riz semi blanchi, le riz en brisures), les sucres, le lait (lait en poudre et granulé), et les préparations alimentaires (à base de concentré de café et aliments pour enfants à base de lait) ont clairement une contribution négative au solde. Globalement ce sont les relations commerciales avec l’UE qui présentent la contribution la plus avantageuse au solde de la balance commerciale alimentaire de la CEDEAO. Cette contribution est également favorable sur le marché indien. En revanche, les relations avec L’Asie et la Chine, les USA – Canada et l’Amérique du Sud, ont une contribution négative au solde alimentaire.

La mise en place d’un Tarif extérieur commun (TEC) qui soit mieux ancré à la politique agricole de la CEDEAO serait une réponse crédible face à la baisse des prix des importations et à la croissance du déficit alimentaire. Pour garantir une réduction de la dépendance alimentaire, il s’agit surtout de mettre en avant les conditions de l’intégration régionale. Le bilan de cette intégration, sur le plan de la production et des échanges alimentaires, est à ce jour négatif. La part des échanges intra-régionaux relativement au total des importations de produits alimentaires ne cesse de diminuer. Déjà minime en début de période (11%) cette part ne représente plus aujourd’hui que 7% des mportations. Les complémentarités productives entre les pays sont pourtant importantes et la capacité des producteurs à répondre aux enjeux est réelle.

Les entraves à cette construction régionale sont à chercher du côté d’une protection extérieure actuellement insuffisante pour permettre la mise en place d’une préférence communautaire. À cela vient s’ajouter le fait que la libre circulation des biens au sein de la zone n’est pas complètement assurée. Une protection extérieure harmonisée et renforcée dans le domaine alimentaire associée à une suppression des entraves à la circulation intérieure apporterait source d’économie importante. Cette orientation permettrait de réduire à la fois les coûts de contrôle interne et ceux qui sont liés à la déviation de trafic ou à la fraude. Elle simplifierait en outre la gestion des règles d’origine à l’exportation.

Cette orientation est sans doute un défi lancé aux donateurs (Banque Mondiale) ou aux organismes d’appui des programmes d’ajustement structurels (FMI) qui souhaitent que le TEC soit le moins contraignant possible. L’inquiétude, certainement partagée par les décideurs de la CEDEAO, est ici que le niveau de taxation des produits alimentaires de base renchérisse les prix sur le marché domestique et réduise le pouvoir d’achat des ménages, ce qui aurait une incidence également sur la pauvreté. Dans ce cas, prendre en compte des objectifs propres à la Politique agricole entraînerait une hausse du TEC sur les produits agricoles et aggraverait la situation.

La réflexion sur la Politique agricole devient, dans le cadre de ce raisonnement, très secondaire car la concurrence par les prix permet de satisfaire les conditions optimales du bien-être. L’objectif premier étant de répondre à l’importance de la pauvreté urbaine qui se développe en Afrique de l’Ouest. Toutefois cette voie qui milite pour un TEC peu contraignant ne fait pas la démonstration d’une réduction de la dépendance alimentaire, ni d’une reconquête des marchés locaux de production alimentaire, ni même d’un schéma vertueux de développement durable.

Une substitution des productions locales par des importations plus compétitives aurait, compte tenu de l’importance de l’agriculture dans la CEDEAO, des vertus de très court terme. D’une part, en voulant réguler le revenu réel des pauvres par de bas prix de l’alimentation, on accroît dans le même temps le nombre des pauvres en déclassant les actifs agricoles qui représentent 65% de l’ensemble des actifs. D’autre part, une défense de la production vivrière est fondamentale vis-àvis de la dépendance alimentaire et des facteurs de risque associés à l’importance de l’alimentation dans cette région du monde. Ce sont les termes d’une politique agricole s’appuyant sur les conditions d’un développement durable qui justifierait un relèvement du TEC pour les produits alimentaires. Ce sont là des attributs de la souveraineté de la CEDEAO à définir cette politique économique.

Une telle option doit cependant être compatible avec les négociations en cours du cycle de Doha et les engagements pris par les pays membre à l’OMC. Les possibilités de pouvoir augmenter pour les produits alimentaires les taux de protection du TEC semblent limitées par le fait que certains pays de la CEDEAO ont notifié à l’OMC des taux plafonds relativement bas (Côte d’Ivoire, Bénin, Sénégal,..) En revanche, des marges de manoeuvre apparaissent avec les mesures du Traitement spécial et différencié et notamment celles de sauvegarde spéciales (MSS). En ce sens, une tarification différenciée pour les produits alimentaires serait compatible avec le renforcement de l’actuelle TCI. De manière à être en conformité avec les règles de l’OMC, le renouvellement de la TCI devrait introduire une distinction plus opérationnelle entre des actions de sauvegarde, visant à corriger la baisse des prix et celles relatives à la poussée des importations.

Les conditions d’un APE avec l’UE pourraient dès lors être envisagées en écartant les produits alimentaires du processus d’ouverture du marché de la CEDEAO. Une asymétrie d’ouverture des marchés, entre l’UE et l’Afrique de l’Ouest, est en effet conforme aux règles en usage pour la fixation des accords régionaux. Un degré d’asymétrie conséquent serait ici amplement justifié par la présence majoritaire de PMA qui indépendamment d’un APE, bénéficie des avantages de l’initiative européenne “Tout sauf les armes”.

Une ouverture de « l’essentiel des échanges » au sens de l’Article XXIV (GATT-OMC) doit en effet tenir compte de la proportion du commerce des PMA qui est exemptée d’une contrainte d’ouverture. Ainsi les scénarios d’une ouverture de 70% ou 50% des marchés de l’Afrique de l’Ouest peuvent être avancés. Ces scénarios conduisent à un taux de libéralisation de respectivement 83% ou 72% de l’ensemble du commerce. Dans ce cas, les marges de manoeuvre de l’Afrique de l’Ouest deviennent plus importantes. Elles permettent d’exclure du processus d’ouverture de son marché à la fois les produits alimentaires et d’autres produits jugés sensibles, le temps que la zone de libre échange se construise. Ce peut être le cas de produits agricoles non alimentaires ou d’un certain nombre de produits industriels, notamment de l’industrie textile et des industries d’amont et d’aval de la production agricole.

La faiblesse du TEC actuel laisse peu d’alternative au choix de renoncer à mettre en place une zone de libre-échange. Il conviendrait au contraire de s’appuyer sur l’UE et l’OMC pour faire valoir au sein de la CEDEAO la nécessité d’un développement durable s’appuyant sur la souveraineté alimentaire et renforçant les instruments de cette politique.

Jacques Gallezot est Directeur de recherche à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), Chercheur associé au Centre d’Etudes Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII) et membre de Institut National Agronomique de Paris-Grignon à l’UMR d’Economie Publique

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