Selon les prévisions des Nations Unies, en 2015, 23 millions de personnes arrivent chaque année sur le marché du travail en Afrique. En 2030, elles seront 32 millions. La population active africaine devrait ainsi croitre de 300 millions de personnes d’ici 2030.
L’arrivée de ces jeunes va augmenter la quantité de travail disponible et ainsi la capacité productive de ces pays. Les niveaux de vie pourront progresser car le nombre de personnes actives par rapport aux bouches à nourrir va devenir plus favorable. Ce processus, appelé « dividende démographique », constitue un moment propice pour le développement économique et social des pays.
À condition que le contexte soit favorable. Car sans investissements conséquents dans la formation et l’éducation, dans les infrastructures et dans les filières productives afin de permettre à ces jeunes d’accéder à des emplois suffisamment valorisants et rémunérateurs, cette opportunité pourrait bien se convertir en risque. La pression croissante sur les migrations ou l’influence de plus en plus forte des mouvements armés dans certaines campagnes, qui concernent en particulier les jeunes, en témoignent.
Or le secteur agricole — qui emploie encore 50 à 60 % de la population dans la grande majorité des pays d’Afrique subsaharienne, et jusque 75 % au Sahel — aura du mal à « absorber » ces millions de jeunes. D’une part parce que la pression démographique a déjà conduit à un morcellement accru des exploitations, rendant celles-ci difficilement viables. D’autre part, parce que de nombreux jeunes, faute de rémunérations décentes et de conditions de travail et de vie attractives, se détournent de l’activité agricole, posant dans certaines régions la question du renouvellement des générations. Le développement d’activités non agricoles en milieu rural s’avère dans ces conditions absolument nécessaire.
Pour les États, la question « jeune » est ainsi devenue un enjeu majeur. Les pouvoirs publics ont multiplié ces dernières années agences et programmes en faveur des jeunes ruraux notamment, avec l’appui de leurs partenaires techniques et financiers. Pour les organisations paysannes également, la jeunesse est devenue une cible prioritaire, qu’il s’agisse de réussir la relève de leurs dirigeants ou de garantir la transmission et la survie de l’exploitation familiale. Ces deux objectifs sont liés et certaines organisations paysannes cherchent de plus en plus à encourager la formation de jeunes « leaders » paysans.
Ces différentes stratégies tardent malheureusement à se concrétiser. Surtout, elles peinent à appréhender ces « jeunes ruraux » dans toute leur complexité. Les différentes contributions de ce numéro rappellent à ce titre qu’il n’existe pas une mais des jeunesses rurales et que les catégories même de « jeune » et de « rural » sont loin d’être étanches et clairement définies. On assiste pourtant bien souvent à une schématisation de l’identité comme des aspirations de ces jeunes ruraux, qui n’ont d’ailleurs que rarement la parole.
Or, quand ils la prennent, leurs voix racontent autant de parcours et de projets de vie. Certains veulent en effet quitter l’agriculture, mais d’autres y voient des opportunités économiques et des possibilités d’épanouissement personnel, tandis que d’autres prennent la mesure de l’enjeu que ce secteur recouvre pour les sociétés. Certains peuvent paraître découragés, mais la plupart semblent prendre leur avenir entre leurs mains et inventer des solutions face aux difficultés rencontrées.
Fortes de cette diversité, les expériences d’insertion professionnelle montrent que l’accompagnement doit être individualisé pour être pleinement efficace, ce qui n’est pas sans poser la question cruciale et ouverte de leur « changement d’échelle », du financement et de la place des pouvoirs publics, du secteur privé et des jeunes eux-mêmes dans ces dispositifs.
Aujourd’hui, les discours et les politiques manquent encore certainement de moyens financiers et d’outils d’analyse pour répondre aux besoins et aux attentes d’une population dont le dynamisme et la diversité sont remarquables. Donner davantage la parole à ces jeunes contribuerait à construire collectivement des réponses pertinentes et durables.