Depuis 2005 la Confédération Nationale des Associations de Caféiculteurs, tire l’attention du Gouvernement burundais sur les dangers et les injustices d’une privatisation du secteur de café qui ne tient pas suffisamment compte des intérêts des producteurs. Ces derniers se sentent exclus des débats à ce sujet, ils n’ont pas été impliqués dans l’étude faite sur le secteur, le Gouvernement ne réponde pas aux lettres que la CNAC lui adresse, la presse nationale ne fait pas écho de ses conférences de presse, alors qu’un premier lot de stations de lavage de café a été vendu au groupe WEBCOR. La CNAC a alors saisi un dernier instrument : elle a traduit le Gouvernement en justice.
L’euphorie des caféiculteurs de mai 2007 n’a pas duré.
A l’occasion du 1er mai 2007, le Président burundais annonçait une augmentation du prix de café aux producteurs de 25%, ainsi que la propriété du café pour les caféiculteurs jusqu’à l’exportation. Ces décisions furent l’objet d’une réunion de tous les intervenants du secteur (l’Office nationale du café, les gestionnaires des stations de lavage, les usiniers, et les CNAC). A l’issue de cette réunion un communiqué de presse du Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage confirmait les principes et modalités d’exécution. Les stations de lavage et les usines seraient désormais des prestataires de services pour les producteurs, et seraient rémunérés par kilo traité. Evidemment ce changement fondamental n’a pas plu aux gestionnaires des stations de lavage, qui se voyaient désormais privés de leurs marges bénéficiaires juteux.
En 2008 une étude sur le désengagement de l’Etat du Burundi de la filière café, a été menée par un consortium de bureaux internationaux. Malheureusement la CNAC, représentante de 130.000 ménages de caféiculteurs organisés n’a pas été consultée lors de cette étude. Pire le rapport de l’étude, tout en référant parfois à l’existence et au rôle de la CNAC, est d’avis que les producteurs ne sont pas encore organisés . Malgré cet avis négatif sur le mouvement paysan, l’étude propose, pour une plus grande motivation des producteurs et donc pour une meilleure durabilité du secteur, de réserver 25% des actions des stations de lavage de café aux producteurs organisés. Le conseil de ministres du 17 décembre 2008, en étudiant la stratégie proposée par l’étude, confirme cette option mais au même temps émet un nombre de réserves par rapport à certaines autres propositions.
Certes dans l’avis d’appel d’offres international pour la vente des stations de lavage et des usines de café du 5 juin 2009 dans le journal « Le Renouveau » il est nulle part fait mention d’une implication quelconque des caféiculteurs dans l’achat de ces infrastructures essentielles. Cet appel a conduit à l’achat de trois lots de stations de lavage dans les provinces de Kayanza et Ngozi par le multinational WEBCOR, laissant dans l’embarras les caféiculteurs.
Erreurs de procédures et monopole des importateurs de café
La loi no. 1/03 du 19 février 2009 portant révision de la loi sur l’organisation de la privatisation des entreprises publiques, des services et des ouvrages publics, stipulait notamment :
- Dans son article 1 : que la cession intégrale ou partielle des actions des entreprises publiques qui aurait pour conséquence de faire perdre à l’Etat la majorité qu’il détient dans une entreprise, ne peut intervenir que par une loi ; et
- Dans son article 11 : que la valeur de référence retenue par le CIP (Comité Interministériel de Privatisation) en matière de prix doit être portée à la connaissance du public lors du lancement du dossier d’appel d’offres.
Ni l’une, ni l’autre clause a été respectée lors de la vente des premiers lots de stations de lavage de café. En plus certains réserves émis par le Conseil des ministres du 17 décembre 2008 n’ont pas été respectés. Voilà la première raison pour laquelle la CNAC a déposé plainte au niveau du Tribunal administratif.
Mais il y a beaucoup plus que la CNAC reproche au Gouvernement burundais, notamment la spoliation des intérêts des caféiculteurs, et cela à trois niveaux. En commençant par les prélèvements que l’Etat a opéré pendant plus de 10 ans sur le prix de café au producteur. Sur chaque kilo de café vendu, l’OCIBU retenait 60 FBU dont la moitié servait à rembourser le crédit reçu de la Banque Mondiale pour l’installation des stations de lavage, et l’autre moitié à élargir le verger de caféiers au Burundi. Est-ce que par ce retenu servant au remboursement du crédit de la BM, les stations de lavage en question n’appartiennent pas aux caféiculteurs ? Par ailleurs, outre ces prélèvements , il y a eu création de fonds et achat d’actions/titres par l’OCIBU dans d’autres sociétés sur les recettes du café, dont les valeurs ne sont pas connus par les producteurs. Deuxièmement avec la vente des stations de lavage aux importateurs, les caféiculteurs perdent de facto leur propriété du café car ils seront obligés de céder les cerises aux propriétaires de ces stations, ainsi ils dépendront de nouveau de ces derniers pour le prix et les modalités de paiement des cerises comme cela fut le cas avant mai 2007. Et troisièmement en vendant les stations de lavage dans des lots dont les stations se trouvent proches l’une de l’autre, l’Etat met leur acheteur en position de monopole vis-à-vis des producteurs. En effet, les cerises de café étant périssables endéans de quelques heures, les caféiculteurs n’ont pas d’alternatives pour livrer leurs cerises car toutes les stations de lavage près d’eux appartiennent au même propriétaire.
Toutes ces raisons font que les caféiculteurs, à travers leur confédération nationale, n’acceptent pas l’idée que les producteurs auront, dans le meilleur des cas, seulement 25% des actions des stations de lavage. Ils réclament au moins 51% des actions pour pouvoir influencer la politique/la gestion de ces stations de lavage pour pouvoir ainsi défendre leurs intérêts en tant que producteurs, toute en veillant à la durabilité économique du secteur café dont dépend de centaines de milliers de familles paysannes burundaises.
C’est avec espoir et détermination que les responsables de la CNAC se rendent au tribunal demain.
Frans van Hoof, Bujumbura, le 24.11.2009
Documents de référence
- Marlagne – Agrer – Eureka Consulting, “Désengagement de l’Etat du Burundi de la filière café » Rapport de stratégie version finale, 12 décembre 2008, pp121 – 124
- Avis d’Appel d’Offres International (AAOI) Désengagement de l’Etat du Burundi de la filière café, tel que paru dans le journal « Le Renouveau » de vendredi 5 juin 2009
- Compte rendu de la réunion du Conseil des Ministres du mercreid 17 décembre 2008, tel que transmis aux (Vice-)Présidents et aux (Vice-)Ministres en date du 31/12/2008 par réf. No. 110/SGG/552/2008.
- Loi no.1/03 du 19 février 2009 portant révision de la loi sur l’organisation de la privatisation des entreprises publiques, des services et des ouvrages publics.
- Communiqué de presse du Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, en date du 15 mai 2007, relatif à l’augmentation du prix au producteurs du café de 25% telle qu’annoncée par son Excellence le Président de la République en date du 1er Mai à l’occasion de la fête des travailleurs.