Entretien réalisé par Jade Productions au Burkina Faso en mars 2010.
Jade production (JP) : Pouvez-vous présenter votre organisation ?
Boureima Diallo (BD) : La Fédération des Eleveurs du Burkina (Feb) est une organisation faîtière regroupant 225 unions. Elle a été créée en 2001 et résulte d’une concertation entre des groupements d’éleveurs intervenant dans toutes les filières de l’élevage. Membre fondatrice de la Confédération Paysanne du Faso (CPF), la Feb est également membre du Réseau des éleveurs/pasteurs Bilital Maroobè et du Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest. Nous sommes représentés au Conseil d’administration du Fonds pour le Développement de l’élevage (Fodel).
JP : Quels sont vos objectifs ?
BD : A travers cette fédération, nous visons à défendre les intérêts des éleveurs et à promouvoir un élevage performant et durable en vue de la professionnalisation du secteur. Cela suppose l’information, la formation et la sensibilisation des éleveurs sur des expériences pertinentes en matière d’élevage.
JP : Quelles sont les activités que vous menez pour atteindre ces objectifs ?
BD : D’abord nous formons nos membres sur les techniques de fauche et de conservation du fourrage pour l’alimentation du bétail. Ensuite nous les sensibilisons sur la transhumance et les risques de conflits. Nous encourageons surtout les initiatives de sédentarisation et la vente groupée du bétail. Enfin, en cas de conflit, nous avons reçu l’autorisation de l’administration de créer un cadre de concertation entre les parties pour éviter toute dérive et régler le problème à l’amiable. Là, nous mettons en avant la nécessité de cohabiter dans la paix, car il y va de l’intérêt de tous.
JP : Quels sont les résultats que vous avez obtenus jusque-là ?
BD : Les acquis sont nombreux. Dans le passé, nos difficultés étaient liées au fait que personne ne savait où se situait sa responsabilité. Aujourd’hui, les éleveurs sont de plus en plus conscients de leur rôle, à savoir s’impliquer dans la gestion de la société. Il n’est plus question de s’isoler dans la brousse, mais de s’intégrer. Nous avons pu avoir quelques projets pour accompagner les éleveurs. Nous avons des plans d’actions et la fédération a pu avoir un siège à Ouagadougou. De plus, nous sommes de plus en plus écoutés. Le secteur de l’élevage jusque-là très mal loti par rapport au secteur agricole, retient de plus en plus l’attention de l’administration centrale. Lors de la dernière journée du paysan, nous avons reçu beaucoup de promesses sur le financement du secteur notamment. Reste à ce que les promesses se traduisent en actions concrètes.
JP : Quel sont les principales difficultés auxquelles le secteur fait face ?
BD : Quand on parle de l’élevage au Burkina Faso, on parle du problème d’eau. Les infrastructures comme les forages pastoraux, les pistes à bétail manquent cruellement. Cela mine les éleveurs dans leur activité. Il y a également le problème de pâturage qui contraint les éleveurs à migrer périodiquement vers les pays limitrophes comme le Togo. Cela ne se fait pas non plus sans difficultés. Les transhumants doivent payer au moins 5500F CFA par tête comme taxe d’entrée.
JP : Que préconisez-vous comme solutions ?
BD : La solution, c’est davantage de dialogue et de concertation entre les acteurs. Cela va nous permettre de rester permanemment en contact avec les difficultés du secteur et par conséquent de trouver les voies et moyens pour y remédier. Il en est de même pour les conflits. Il faut toujours privilégier le dialogue et éviter de se faire justice. C’est le message que nous transmettons à nos membres à chaque fois que nous en avons l’occasion.
JP : Qu’est ce qu’un bon leader paysan ?
BD : Un bon leader paysan est avant tout un bon exemple pour les autres paysans dans son domaine. Il ne suffit pas d’avoir le plus gros troupeau pour être un éleveur leader. Le bon leader agit comme un guide pour les autres. Il fait profiter de son expérience et de sa clairvoyance au plus grand nombre. Il a une parfaite maîtrise de son domaine et innove toujours pour anticiper l’avenir.
JP : Quelles sont les qualités que doit avoir un bon leader ?
BD : D’abord un bon leader doit avoir une bonne capacité d’écoute et de compréhension à l’endroit des autres. Il n’est pas permis à tout le monde d’avoir la patience d’écouter l’autre. C’est une qualité qui inspire le respect et la confiance. Ensuite, le bon leader doit être modeste. Il n’y a rien de pire que la prétention. Enfin, le bon leader doit être généreux, c’est-à-dire partager ses connaissances avec les autres, être toujours disponible pour donner son avis, des conseils.
JP : Le bon leader, pour qui travaille-il ?
BD : Un bon leader doit travailler pour tout le monde. Il se met au service de sa communauté. Les intérêts du groupe priment sur les intérêts égoïstes des individus. Si en tant qu’éleveur transhumant j’ai décidé à un certain moment de créer une ferme pour me sédentariser, c’est un message que je donne aux autres éleveurs comme pour leur dire : « le contexte nous force à changer nos pratiques. Stabilisons-nous et pratiquons notre activité dans la paix et l’entente avec les autres acteurs que sont les agriculteurs. On peut bien rester sur place et pratiquer mieux l’élevage. »
JP : Qu’est-ce qui vous motive en tant que leader ?
BD : Dans le temps, nos parents éleveurs avaient une vision très limitée de la pratique du métier. Avec 200 ou 500 têtes de bœufs, le propriétaire dormait néanmoins dans les arbres, se comportait comme un mendiant. Il ne cherchait pas véritablement à avancer. Certains éleveurs ont encore cet état d’esprit. J’estime qu’il est grand temps de changer cette manière de pratiquer le métier. C’est ça ma principale motivation : œuvrer à la professionnalisation de la pratique de l’élevage.
JP : Quels sont vos rapports avec la base ?
BD : C’est à la base que tout se passe. C’est là que les vrais enjeux se trouvent : l’alimentation du bétail, la disponibilité des ressources en eau, les pistes à bétail, etc. Je suis moi-même éleveur donc je côtoie quotidiennement ma base.
JP : Comment vous communiquez avec cette base ?
BD : Nous allons régulièrement à la rencontre des éleveurs pour échanger sur nos problèmes communs et partager des expériences. En dehors de cela, nous réalisons des émissions radiophoniques, nous faisons passer des communiqués. Nous profitons également des jours de marchés pour rencontrer certains éleveurs à la base. Le contact est permanent.
JP : Qu’avez vous apporté à votre organisation en termes de savoir et de savoir-faire ?
BD : Aujourd’hui, la fédération joue le rôle qu’elle devait jouer, à savoir chercher à résoudre les problèmes de la base. Ce n’était pas évident au départ. La recherche d’aliments à bétail, le regroupement des organisations des éleveurs, le renforcement des capacités, ce sont autant d’actions que nous avons pu mener. Par le passé, un éleveur pouvait vendre ses animaux et aller dilapider l’argent dans les bars. Avec la sensibilisation et la formation sur la bonne gestion, beaucoup ont pris conscience et cherchent à évoluer dans leur métier.
JP : Est-ce qu’on peut vous considérer comme un modèle ?
BD : Venez me voir dans ma ferme et après vous jugerez vous-mêmes. Car je ne suis pas bien placé pour vous répondre. Mais, je peux vous assurer que je reçois beaucoup de gens dans ma ferme qui viennent pour se nourrir de mon expérience. Lors de la dernière journée nationale du paysan, j’ai reçu une délégation de près de 150 éleveurs dans ma ferme.
JP : Quelle est la place de la femme au sein de votre organisation ?
BD : La place de la femme est déterminante dans notre organisation. Chez nous les Peulhs, l’animal appartient à l’homme, mais le lait revient à la femme. C’est un droit acquis. Mais beaucoup reste à faire pour améliorer leurs conditions et leur place dans la société. C’est pourquoi à travers nos statuts et règlement intérieur, nous mettons toujours en place les structures d’accompagnement des femmes. Aucun éleveur ne peut évoluer sans une femme à ses côtés.