La filière cacao et ses planteurs font face à des enjeux de surproduction et de baisse des cours mondiaux. Les principaux pays producteurs, le Ghana et la Côte d’Ivoire, habituellement concurrents, ont fait voie commune dans la bataille. Pour combien de temps ?
Grain de Sel (GDS) : Pourquoi le Ghana et la Côte d’Ivoire viennent-ils d’imposer aux acheteurs de cacao une taxe de 400 dollars la tonne de cacao ?
François Ruf (FR) : Le prix du cacao est fixé sur le marché mondial : l’offre et la demande sont anticipées par les acteurs sur 6 à 12 mois. Aujourd’hui on constate une surproduction, donc le prix reste comprimé. Le Ghana et la Côte d’Ivoire représentent près des deux tiers de la production mondiale. Pour infléchir la baisse du cours du cacao, ils ont décidé de faire voix commune face aux industriels. Cette décision historique les place en position de force.
Qu’ils ne l’aient pas fait plus tôt est étonnant. En 1988, le président ivoirien Houphouët-Boigny avait tenté un bras de fer avec l’industrie du chocolat pour retenir la production dans le pays. Ce fut un échec, la Côte d’Ivoire ne représentant alors que 30 % de l’offre mondiale de cacao. Aujourd’hui, les deux pays pèsent suffisamment pour que l’industrie ne puisse plus les contourner. Avec cette taxe de 400 dollars la tonne en plus du prix du marché, les gouvernements ont fixé un prix plancher de 825 FCFA le kilo pour les planteurs
- qui espéraient 1 000 FCFA.
GDS : Ces politiques peuvent-elles être efficaces et permettre de mieux rémunérer les producteurs ? Quels en sont les écueils ?
FR : Les 400 dollars supposés ne sont pas encore intégralement reversés aux producteurs… Mais on est en période électorale dans les 2 pays et les médias en parlent : les producteurs peuvent espérer approcher des 1 000 FCFA en 2020 sauf en cas de dévaluation ou glissement de la monnaie. Le Ghana a toujours joué sur cette variable.
Historiquement, les hausses de prix ont toujours profité aux instituts de régulation et stabilisation comme le Conseil Café-Cacao ivoirien ou le Cocobod ghanéen. Mieux rémunérer le producteur était un objectif plus que secondaire. Le cacao est en effet une manne financière pour les États : en 2019, le planteur touchait environ 60 % du prix export, les intermédiaires 20 % et l’État pas loin de 20 %. L’écueil est la capacité du Ghana et de la Côte d’Ivoire à rester solidaires sur le long terme. Alors que la Côte d’Ivoire veut officiellement stabiliser sa production, le Ghana veut dépasser le million de tonnes. Leurs politiques ne semblent déjà pas cohérentes. Or, grâce à un système de comptage de cabosses sur un échantillon national de cacaoyers, les industriels peuvent évaluer la production quelques mois à l’avance. Si elle augmente, ils accepteront peut-être de payer les 400 dollars mais sur la base d’un cours mondial en baisse ! Bref, la démarche des 2 pays voisins est fondée mais n’est pas à l’abri de quelques fissures.
GDS : Avec la suspension des ventes de la récolte 2020-2021, les acheteurs ne vont-ils pas se reporter sur d’autres pays producteurs ?
FR : Si bien sûr, les acheteurs vont forcément s’intéresser aux autres pays producteurs pour préparer une contre-attaque ! Même sans intervention de l’industrie, l’histoire des cycles du cacao est celle d’un déplacement des foyers de production. Les regards se portent vers l’Équateur ou le Pérou, en plein boom cacaoyer et vers l’Afrique centrale. Le cacao indonésien, en déclin et sous-coté par rapport au cacao ivoirien, pourrait aussi reprendre de la valeur.
Mais une production de cacao ne se manipule pas comme ça ! Prenez l’exemple du Vietnam : la société Mars souhaitait répliquer le boom du café au cacao. Ce fut un échec cuisant à cause du climat inadéquat de nombreuses régions et de la rareté des terres disponibles. Aucun industriel majeur ne devrait donc pouvoir se passer de la Côte d’Ivoire et du Ghana pendant quelques décennies.
GDS : Avec les élections présidentielles en 2020, les organes de régulation des prix du cacao ont-ils le champ libre ?
FR : Ces organes de régulation et de prélèvement constituent un État dans l’État mais sont proches du pouvoir et ne peuvent mener des politiques indépendantes. Pour l’instant, le Ghana et la Côte d’Ivoire ont coordonné leurs prix mais en cas de désaccord, le prix fixé pour les producteurs ghanéens pourrait augmenter avant celui des Ivoiriens, ou inversement. Les taux de change fluctuants entre le FCFA et le Cedi favorisent les écarts et la contrebande. Sur les 50 dernières années, dès que le différentiel de prix au producteur entre les deux pays dépasse 10 centimes d’euros d’aujourd’hui, plusieurs dizaines de milliers de tonnes passent d’un pays à l’autre. Il faudra que les politiques économiques et monétaires des deux pays s’accordent sur le long terme ! Pour cela, même si les pouvoirs en place devraient se maintenir, les élections de 2020 seront stratégiques.
EN SAVOIR PLUS : Lire la déclaration d’Abidjan “La côte d’ivoire et le Ghana ensemble pour faire face aux défis de l’économie cacaoyère”, du 26 mars 2018 : ici
François Ruf est chercheur économiste au Cirad et spécialiste du cacao et des agricultures familiales liées au cacao.