Depuis le début des années 2010, le cadre harmonisé est l’outil de référence pour mesurer le niveau d’insécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest. Il permet d’évaluer les besoins d’assistance alimentaire, de concevoir des plans nationaux de réponse aux crises et de déclencher les interventions de la Réserve régionale de sécurité alimentaire.
Le cadre harmonisé a permis de moderniser le suivi de la sécurité alimentaire, basé depuis la fin des années 80 sur le suivi de la campagne agricole et les bilans céréaliers. Il a évolué vers une méthode plus holistique, incluant des données sur la nutrition, les marchés, et l’économie des ménages.
Vers une méthode plus holistique de suivi. Jusqu’à la fin des années 2000, le suivi de la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest était basé sur une série de paramètres clé (production agricole et pastorale en lien avec les chocs climatiques), avec une prise en compte progressive de la situation nutritionnelle, suite à la crise alimentaire et nutritionnelle du Niger en 2005.
Le cadre harmonisé est une adaptation de la méthode internationale IPC (integrated food security phase classification), qui combine des informations sur la sécurité alimentaire, la nutrition et les moyens de subsistance pour l’Afrique de l’Ouest. Cette méthode enrichit les analyses notamment grâce à la prise en compte de données sur les ménages. Le développement du cadre harmonisé a été porté par un partenariat multi-acteurs associant le Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel (Cilss), le Programme alimentaire mondial (Pam), la FAO, et des ONG régionales comme Save the Children, Action contre la faim et Oxfam. La recherche était aussi présente, avec le Joint Research Centre (JRC) de l’Union européenne, et le processus a été soutenu politiquement par la Cédéao, l’Uemoa et le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.
Le cadre harmonisé, désormais employé dans l’ensemble des pays de la Cédéao et du Cilss, se base sur le croisement systématique de données socio-économiques et bio-physiques, comme les scores de consommation alimentaire, le niveau de malnutrition aiguë des enfants, ou encore les différentiels de prix des aliments, l’évolution de la biomasse pastorale dans le temps, etc. Il permet aussi de projeter la situation à six mois, en proposant des scénarios. Cela rend possible une classification des zones administratives en cinq classes d’insécurité alimentaire, cartographiées selon une charte de couleur allant du vert au rouge foncé (voir encadré).
Proposition d’une méthode pour quantifier les contingents. Le cadre harmonisé exploite également les analyses sur l’économie des ménages, méthode dite household economy analysis (HEA). Ceci a permis de quantifier les contingents par zone considérée comme relativement homogène, en tenant compte des caractéristiques des ménages allant de « très pauvre » à « aisé ». Ces catégories se distinguent par la taille du ménage, les capitaux de production (terres, bétail), les équipements, les sources de revenus, et la structure des dépenses.
La prise en compte des prix des denrées (différence à la moyenne sur 5 ans) et les cartes de biomasse pastorale (qui donnent également la différence à la moyenne), sont des paramètres fondamentaux pour faire des projections. Ces indicateurs donnent les signaux précoces sur les conditions de la soudure agricole et pastorale.
Au niveau des pays, les analyses sont faites en octobre et en mars, en associant autour de la table tous les services et acteurs pourvoyeurs de données, sous l’égide de l’entité en charge du suivi de la sécurité alimentaire. Des équipes mixtes Cilss-Pam-FAO-ONGJRC sont présentes pour animer le processus d’analyse et appuyer les participants sur la méthodologie.
La mobilisation constante de nouveaux outils. Une des caractéristiques du cadre harmonisé est la possibilité d’intégrer de nouvelles données, comme les cartes de biomasse ou encore les projections de précipitations pour l’année en cours, qui peuvent être déterminantes pour la fin de la soudure pastorale. Ces outils servent à établir des scenarios sur le niveau d’insécurité alimentaire à venir, suivant les cinq phases décrites plus haut. Le principal défi est alors de trouver le bon équilibre entre les informations quantitatives, issues de dispositifs d’information et d’enquêtes éprouvées, et les informations qualitatives ou « à dire d’experts ». En effet, certaines informations qualitatives, comme l’accès à des revenus complémentaires (exode, orpaillage), ne doivent pas être sur-interprétées. Au fil des semaines, le suivi rapproché de la situation permet d’affiner le scénario et de confirmer ou non la situation, notamment pour la période cruciale de soudure (juillet-septembre).
Après une première phase de formation et de déploiement dans les pays du Sahel, le cadre harmonisé a été vulgarisé dans les pays côtiers du Golfe de Guinée, dans un contexte où les données de production sont moins robustes et systématiques. Pour compenser, des données basées sur la télédétection se sont révélées très utiles, notamment pour la partie Nord de ces pays, la zone de savane. Les prix des produits de rente (cacao, huile de palme) et de produits importés comme le riz, y constituent également des indicateurs clef.
La qualité des analyses du cadre harmonisé réside donc dans la capacité des systèmes d’information nationaux et régionaux à fournir des données fiables et régulières sur de multiples paramètres (production, revenus, marchés, etc.). Leur soutien et leur renforcement sont ainsi des points primordiaux.
Le rôle du RPCA pour prévenir les crises. Le cadre harmonisé est désormais utilisé comme référence par les agences des Nations unies (Pam, FAO et Unicef principalement) et sert au montage des plans de réponse. Le lien avec la Réserve régionale de sécurité alimentaire de la Cédéao (voir pages 30-32) est également fait, celle-ci pouvant être mobilisée sur requête des pays, à partir de la phase 3 dite « de crise ».
Au niveau international, il faut également souligner le rôle du Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA), présidé par la Cédéao et l’Uemoa et co-animé par le Secrétariat du Club du Sahel (logé au sein de l’OCDE) et le Cilss. Les concertations biannuelles permettent en décembre et avril d’établir un diagnostic régional partagé sur la base du cadre harmonisé et de mobiliser les donateurs. Ainsi, lors des dernières années, le RPCA a contribué à un meilleur ciblage des aides et des actions, en ne se focalisant pas seulement sur les zones sahéliennes soumises à de multiples stress (dont l’insécurité), mais aussi sur les zones d’insécurité nutritionnelle et de tensions sur les marchés. Une nouvelle interface web accessible sur le site du Club du Sahel donne facilement accès à toutes les cartes et bulletins d’analyse, avec les tableaux des populations dans chacune des 5 phases d’insécurité alimentaire. Au cours des dernières années, le RPCA s’est considérablement élargi et constitue désormais un forum inclusif de l’ensemble des parties prenantes de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Le RPCA réunit des décideurs ouest-africains et des responsables de la communauté humanitaire internationale. Il a consolidé une fonction d’alerte qui permet notamment aux instances idoines de la Cédéao et de l’Uemoa de décider des mesures à prendre.
Vers une meilleure utilisation du cadre harmonisé. Le cadre harmonisé a permis deux avancées majeures : l’une concerne le cadre d’analyse des crises alimentaires, et l’autre le consensus qu’il permet de construire sur le diagnostic. Il faut toutefois remarquer le lien inachevé avec les catégories de réponse face au risque de crise alimentaire. En effet, les plans de réponse à l’insécurité alimentaire au Sahel pourraient être affinés s’ils tenaient plus compte des différents indicateurs collectés et croisés pour chaque zone administrative. Une prise en compte croissante de la richesse des résultats pour calibrer la réponse pourrait donc être recherchée.
Par ailleurs, certains pays disposent maintenant de presque 10 ans de cartes et d’analyses basées sur le cadre harmonisé. Aussi, des analyses pluriannuelles en lien avec l’insécurité alimentaire chronique et la résilience pourraient être menées pour nourrir davantage encore les politiques structurelles de lutte contre l’insécurité alimentaire. Ce travail est amorcé avec la collaboration de la communauté de travail sur l’IPC.
Sébastien Subsol (sebsubsol@yahoo.fr) était chef de pôle « Sécurité alimentaire, nutrition et agriculture durable » au MEAE, il est désormais expert en changement climatique au Fonds international de développement agricole (Fida). Auparavant, il a travaillé plusieurs années auprès du Comité interÉtats de lutte contre la sécheresse au Sahel (Cilss) et a fait partie de l’équipe en charge du développement du cadre harmonisé.