Dans la note de lecture du livre de Diana K. Davis intitulé The Arid Lands. History, Power, Knowledge, rédigée par Tor A. Benjaminsen, l’auteur propose une lecture historique de l’instrumentalisation notamment politique de la question de la désertification des terres pastorales.
Beaucoup de choses ont été écrites sur les problèmes liés au concept de désertification et à la manière dont le discours sur la désertification est devenu aussi répandu, malgré l’absence de fondements scientifiques. Si les racines coloniales de ce discours ont été reconnues, la littérature s’est souvent concentrée sur les seules dernières décennies. La grande force du livre de Diana Davis, est qu’il résume et confronte ce discours sur la désertification aux recherches actuelles, mais surtout qu’il le raconte avec plus de détails et dans une perspective temporelle plus longue que les travaux existants sur le sujet. […]
Créateurs de désert. D. Davis remonte jusqu’aux auteurs de la Grèce et de la Rome antiques qui représentaient les déserts non pas comme des environnements dégradés, mais comme des lieux exotiques peuplés de curieux personnages décrits comme des propriétaires de grands troupeaux, des guerriers féroces, ou encore simplement des bandits.
Ce n’est qu’avec la colonisation européenne et l’expansion du capitalisme qu’a émergé l’idée selon laquelle les habitants des zones sèches étaient eux-mêmes responsables de la création de déserts. Il y avait une nécessité croissante à décrire les usages fonciers locaux comme destructeurs afin de justifier la spoliation des autochtones et de planifier d’autres usages pour ces terres, tels que des exploitations agricoles coloniales, des systèmes d’irrigation étatiques ou encore l’exploitation des forêts à grande échelle. Plus tôt dans la période coloniale, aux xvie et xviie siècles lorsque la colonisation était moins intense, les causes de la dégradation de l’environnement avaient pourtant souvent été reliées à des activités coloniales comme la plantation ou l’exploitation forestière.
Justifier la spoliation des populations locales. Mais avec l’intensification du colonialisme au xixe siècle, il y a eu un changement de pensée […]. De plus en plus, fonctionnaires coloniaux, officiers militaires, missionnaires et scientifiques ont accusé leurs sujets colonisés de créer leur propre misère en détruisant les ressources naturelles. Cela devenait la mission civilisatrice des Européens que d’apporter la science et le savoir pour mettre fin à la désertification, recréer les paysages boisés imaginés d’antan et améliorer la vie des sujets coloniaux.
Selon le discours dominant au sein des autorités coloniales, les populations des terres sèches avaient déforesté leur propre environnement, ce qui avait conduit à une diminution des précipitations et à la création de déserts : c’est la « théorie de la dessiccation ». […] Celle-ci a servi à justifier la politique coloniale de spoliation et d’accumulation de capital entre les mains des colons — un processus que D. Davis appelle « l’accumulation par la désertification ». […]
Si le terme « désertification » semble avoir été pour la première fois utilisé par le Français Lavauden en 1927, l’idée existait alors déjà depuis au moins 100 ans. […] Une revue française populaire écrivait en 1843 : « Les Arabes ne cultivent pas mais détruisent constamment en faisant pâturer leurs troupeaux et en brûlant les pâturages ».
Mais il n’y a pas que les autorités coloniales qui ont souscrit à ce discours. Après l’indépendance, il convenait aussi aux intérêts des nouvelles élites nationales qui ont en particulier émergé en Afrique. « De tels discours de crise accusant les populations locales d’être responsables de la désertification étaient extrêmement utiles […] car ils justifiaient de nombreux changements politiques, sociaux et économiques au nom de la protection de l’environnement », écrit D. Davis.
Des politiques coloniales à l’ONU. En outre, le livre démontre qu’il existe des continuités entre les politiques coloniales et les institutions actuelles de l’ONU. […] Les agences des Nations unies ont en grande partie remplacé les institutions coloniales comme les principaux acteurs soutenant et reproduisant le discours sur la désertification.
C’est une critique forte mais nécessaire. La gestion des terres arides est l’un des sujets où il y a une différence entre la science et les politiques. C’est aussi le cas du pastoralisme. Comme 88 % des terres arides sont également des pâturages, le pastoralisme reste un sujet important de ce livre. L’auteur montre que les mêmes arguments « environnementaux » ont été et sont employés par de nombreux décideurs politiques contre l’élevage pastoral.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’il y a toujours eu des voix qui s’élevaient contre ce discours et D. Davis en mentionne plusieurs de l’époque coloniale […]. Cependant, ces voix dissidentes furent ignorées, de la même manière que le livre de D. Davis est susceptible de l’être aujourd’hui par la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification et les autres acteurs puissants qui continuent de formuler des politiques visant à « sauver » les terres arides des habitants qui y vivent. Mais plus on produira de l’écologie politique critique aussi bien documentée, plus il sera difficile de l’ignorer.
Diana K. Davis est professeur de géographie à l’université Davis, de Californie.
Tor A. Benjaminsen est géographe et professeur à l’Université norvégienne des sciences de la vie.
Davis, D. K. The Arid Lands: History, Power, Knowledge, The MIT Press, Cambridge, MA, 2016.
Recensement du livre de Diana K. Davis intitulé The Arid Lands. History, Power, Knowledge par Tor A. Benjaminsen, dans Pastoralism: Research, Policy and Practice, octobre 2017.
Pour en savoir plus, vous pouvez aussi lire : Hesse, C. et al. Managing the Boom and Bust: Supporting Climate Resilient Livelihoods in the Sahel (IIED 2013).