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Ceci est un article de la publication "Grain de Sel n°77 – Le conseil agricole a-t-il encore un sens aujourd’hui ?", publiée le 18 juillet 2019.

Une transformation des services de conseil agricole grâce au numérique ?

Florentin Modeste Bationo/Chloé Alexandre

Conseil agricoleTICBurkina Faso

Cet article propose une analyse des services de conseil agricole mobilisant les technologies de l’information et de la communication (TIC) au Burkina Faso. Innovation de niche ou effet de mode, à quelles conditions ces outils numériques répondent-ils aux besoins en conseil agricole ?

Dans les pays en développement, les technologies de l’information et de la communication (TIC) et le « D4Ag » (digital for agriculture) sont promus pour faciliter les activités de planification, production, transformation et commercialisation des agriculteurs mais aussi pour améliorer les services de conseil agricole.

Selon le Centre Technique de coopération Agricole, le montant des subventions attribuées par les bailleurs internationaux pour des solutions « D4Ag » en Afrique sub-saharienne a atteint 180 millions de dollars en 2018 (soit une hausse de 67% en 4 ans), à mettre en regard des 47 millions de dollars d’investissements des sociétés privées. Mais leur efficacité et viabilité restent à prouver.

Les usages du numérique dans le conseil agricole. Les TIC dans le secteur agricole au Burkina Faso ont d’abord été promues dans les programmes d’ajustement structurel des années 1980-1990. Ces expériences portaient alors sur les Systèmes d’Information sur les Marchés (SIM), conçus pour améliorer la liaison des productions au marché et assurer une répartition équitable des bénéfices au sein des filières. Dans la décennie 2000-2010, les ONG, les entreprises privées et les organisations de producteurs (OP) se sont peu à peu intéressées au potentiel des TIC pour le conseil agricole.

Les informations sur les prix des intrants et produits agricoles, la météo et les techniques de production sont les services les plus anciens et répandus. La démocratisation d’internet et du smartphone a ensuite permis la naissance de services de formation en ligne, de diffusion de vidéos, et d’outils d’aide à la décision sous la forme d’applications mobiles. Les OP sont plus intéressées par des solutions facilitant le suivi des membres et des activités, l’accès aux informations météo ou la traçabilité de produits destinés à des marchés plus rémunérateurs (bio, équitable, etc.).

Répartition des 25 initiatives « Digital for agriculture (D4Ag) » en fonction des services offerts au Burkina Faso. Source : Auteurs, à partir des données de Bationo (2018).

Des médias divers, des services peu interactifs et une couverture limitée. La majorité des services étudiés par Bationo sont accessibles par téléphones puis par outils connectés, permettant l’accès à des sites web et bulletins. Le téléphone sert principalement à l’envoi de SMS, mais il peut également servir à accéder à un centre d’appel ou à un serveur vocal interactif (SVI). Si les informations sont transmises par format écrit, les fournisseurs de conseil interviewés ont conscience qu’elles atteignent rarement les agriculteurs, peu alphabétisés. Les formats oraux (radio, SVI) sont plus accessibles, mais aussi plus coûteux à développer et ne permettent pas d’apporter un conseil spécifique.

Une étude menée en 2019 sur 15 services de conseil numérique montre que seulement 4 ont été conçus pour que les agriculteurs puissent poser des questions précises aux conseillers. La plateforme Vacis permettait aux producteurs de maïs et soja de faire remonter leurs questions via le mobile des conseillers à des chercheurs. La plateforme Tylaynet offrait la possibilité aux agriculteurs formés à la méthode Tylay (s’inspirant de l’approche bilan de compétences) de poser leurs questions à des conseillers. Ces deux initiatives n’ont pas perduré, mais les deux suivantes sont toujours actives. Le Centre d’appel Cocorico permet aux éleveurs d’accéder à des informations (produites notamment par imagerie satellitaire) sur les couloirs de transhumance, l’état des pâturages et des points d’eau, les soins vétérinaires. Le groupe WhatsApp du Cercle des Cuniculteurs permet aux 250 éleveurs de lapins membres d’échanger gratuitement pour s’approvisionner en intrants, diagnostiquer des maladies, ajuster leurs pratiques d’alimentation et de reproduction et vendre leurs animaux. Ce cas est illustratif de l’usage des réseaux sociaux par les agriculteurs, qui semble en pleine expansion, mais dont le développement reste conditionné à l’accès des agriculteurs à ces technologies. Au Burkina Faso, si 80% de la population était équipée de téléphones simples en 2016, on recensait seulement 11% d’utilisateurs d’internet, tous secteurs confondus. Qui plus est, les administrateurs du groupe WhatsApp témoignent du lourd travail pour contrôler la fiabilité des données partagées.

Malgré ces limites, les réseaux sociaux sont prometteurs pour favoriser les échanges entre agriculteurs ou entre savoirs « d’experts » et savoirs « paysans ». En effet, si la tendance actuelle pousse à mieux valoriser les connaissances des agriculteurs, ils sont encore rarement impliqués dans la production des informations. La majorité des services sert plutôt à mettre à disposition, via téléphone ou internet, des informations génériques conçues par la recherche ou des ONG. Ces approches, ne permettant pas d’interactions et s’apparentant à du transfert de connaissances, sont peu adaptées à la résolution de problèmes complexes.

Vers des réseaux inter-organisationnels complexes. Les fournisseurs des 25 services de conseil numérique étudiés en 2018 sont issus de la recherche (36%), des OP (28%), du secteur privé (24%), et des ONG (12%). On distingue quatre nouveaux profils d’organisations qui nouent des collaborations avec les acteurs historiques du conseil : opérateurs téléphoniques, développeurs informatiques, fournisseurs de logiciels et ‘agrégateurs’ de données, spécialisés dans la collecte, la mise en forme puis le partage d’information via des outils numériques. On observe ainsi le développement de réseaux inter-organisationnels complexes afin de rassembler les ressources financières, humaines et technologiques nécessaires au développement du service. Le service 321, offert par Orange et Viamo, propose des messages vocaux en langues locales, accessibles par téléphones simples, sur les bonnes pratiques de production pour six produits. Il a fallu plusieurs années pour qu’un accord soit trouvé entre Orange, Viamo et l’ONG fournissant le contenu à diffuser. La construction de ce contenu informationnel a nécessité plus d’un an de travail avec le Ministère de l’Agriculture. De plus, les contrats entre les différentes parties sont renégociés annuellement.

Des services instables et non-rentables mais des perspectives intéressantes. La conception de solutions technologiques, la production d’un contenu pertinent et la gestion du service coûtent cher. Actuellement, les services sont pour la plupart dépendants de l’aide au développement. 92% des initiatives sont soit entièrement financées à travers des projets, soit dans le cadre de partenariat privé-projet/ONG/bailleurs (Bationo). Ceci pose des questions sur la durabilité financière des initiatives. Certains cherchent cependant à s’autonomiser en diversifiant leurs activités. Des OP, comme celles de la filière niébé à Kaya utilisant un système d’information dans le cadre du conseil de gestion aux exploitations familiales, consacrent les bénéfices générés par la vente d’intrants, les services de stockage ou de warrantage, au financement du conseil. Des entreprises (comme EcoData qui gère le centre d’appel Cocorico) offrent des services (études de marché, enquêtes, etc.) à des OP ou ONG.

Mais tous les fournisseurs s’accordent : le conseil numérique n’est pas encore un secteur d’activités rentable. Pourtant, certains enjeux pourraient justifier l’usage du numérique pour le conseil. Les conditions sécuritaires au Burkina affaiblissent par exemple la présence des conseillers sur le terrain, rendant presque inopérants les dispositifs d’appui traditionnels. Le conseil à distance permettrait de continuer à soutenir les agriculteurs. Par ailleurs, la promotion de pratiques plus respectueuses de l’environnement pourrait être facilitée par ces outils, même s’il convient de prendre en compte les impacts écologiques négatifs des « high-tech ».

Vers une conception plus participative des outils du conseil. Pour améliorer la pertinence des outils créés, il convient de transformer leur démarche de conception. Les agriculteurs sont encore peu impliqués mais on tend vers des approches plus participatives. Des bailleurs soutiennent des démarches de co-création d’outils et services avec des OP. Les acteurs étatiques et incubateurs promeuvent quant à eux des « hackatons » pour soutenir le développement d’applications jugées socialement utiles. A l’heure actuelle, tous les fournisseurs cherchent, par tâtonnement, à développer des solutions pertinentes et économiquement viables. Il convient de réfléchir à des façons d’accompagner ces « bricoleurs » pour s’assurer que les solutions développées sont vraiment utiles aux agriculteurs.

Chloé Alexandre (chloe.alexandre@cirad.fr) réalise sa thèse au Centre de coopération Internationale en Search Agronomique pour le Développement (Cirad) sur les transformations du conseil agricole engendrées par le numérique au Burkina Faso.

Modeste Florentin Bationo est ingénieur agronome. Il capitalise plus de 10 ans d’expériences dans l’accompagnement de dynamiques et processus multi-acteurs d’innovation en milieu rural.

Les données de cet article proviennent pour l’essentiel des études suivantes :

C. Alexandre, Émergence du numérique et transformations des services de conseil agricole au Burkina Faso. Présentation au Symposium AgriNumA, Dakar, 28 avril 2019.

MF. Bationo, Capitalisation des expériences de TIC appliquées à l’Agriculture au Burkina Faso, 2018.

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