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Ceci est un article de la publication "Grain de Sel n°77 – Le conseil agricole a-t-il encore un sens aujourd’hui ?", publiée le 18 juillet 2019.

Acteurs privés dans le conseil agricole : le secteur maraîcher en Algérie

Patrick Dugué/Nadhir Laouar

Conseil agricoleSecteur privé et développementMaraîchageAlgérie

Face au désengagement de l’État, les services de conseil agricole ont évolué en accordant une place importante au secteur privé. Cet article revient sur les implications d’une telle évolution pour le secteur maraîcher de Biskra, en Algérie, où fournisseurs et détaillants d’intrants sont les principaux opérateurs de conseil.

Dans un contexte de retrait de l’État des services agricoles, les dispositifs de conseil en Algérie et en particulier dans la Wilaya (région) de Biskra sont dominés par les fournisseurs d’intrants sans encadrement spécifique de l’État. Celui- ci a maintenu son soutien à une recherche agricole publique et au système de contrôle de l’importation des intrants pour en garantir la qualité.

Biskra se situe à environ 400 kilomètres au Sud d’Alger. Depuis 30 ans, la région connaît une dynamique agricole remarquable, caractérisée par une forte extension des superficies irriguées (palmier dattier, maraîchage, pomme de terre) et une augmentation rapide de la production maraîchère sous serre froide, dénommée « plasticulture ». Biskra est devenue un grand fournisseur de légumes pour le marché national et une région très attractive pour les acteurs privés de l’agrofourniture. Les exploitations maraîchères, très intensives, font en moyenne 1 hectare (ha) et cohabitent avec des exploitations phoenicicoles plus grandes (de 5 à 15 ha) pratiquant aussi parfois du maraîchage sous serre.

Conseil agricole: un quasi-monopole des firmes et des détaillants de l’agrofourniture. Dès les années 1990, les difficultés des systèmes publics algériens de recherche et de conseil agricole à diffuser des innovations techniques ont été relevées. Ces institutions collaborent peu entre elles et sont faiblement connectées aux acteurs privés, réduisant ainsi leur impact sur le terrain.

Durant les années 2000, parallèlement au déclin du système public d’innovation, le nombre d’agrofournisseurs et de détaillants d’intrants (appelés « grainetiers ») n’a cessé d’augmenter. Ces acteurs privés ont développé des activités de transfert de connaissances et d’innovations et de vulgarisation agricole dans la région de Biskra, qui compte aujourd’hui 24 firmes d’agrofourniture et 50 grainetiers. Le commerce des intrants est la fonction de base de ces acteurs privés, mais leur forte concurrence les a poussés à adopter plusieurs stratégies pour élargir leur clientèle, parmi lesquelles la fourniture gratuite de conseils agricoles.

Aucun autre acteur privé du conseil ne s’est structuré dans la région. Cela s’explique par l’absence d’organisations de producteurs (OP) dans la région et le peu d’intérêt des acheteurs pour une amélioration de la qualité des légumes. De plus, il n’existe pas en Algérie de fonds dédié au conseil permettant l’achat de conseil auprès de bureau d’études spécialisé.

Un conseil agricole du secteur de l’agrofourniture multiforme. Le conseil agricole apporté par le secteur de l’agrofourniture prend plusieurs formes. Les grainetiers donnent aux plasticulteurs des informations techniques sur l’utilisation des intrants agricoles au moment de l’achat. Des journées d’information technique sur les cultures maraîchères et nouveaux intrants sont aussi organisées, plutôt par les firmes à destination des agriculteurs et des détaillants. Du conseil individuel basé sur le suivi de terrain est parfois apporté par les ingénieurs des firmes et les techniciens des grands grainetiers, mais il concerne peu de producteurs.

De nouveaux intrants pour plus de profits ? Les importateurs d’intrants sont représentés par des délégués technico-commerciaux dont l’objectif premier est d’augmenter leur chiffre d’affaire. Ces firmes ne cessent d’introduire de nouveaux intrants sur le marché. Présentés comme plus « modernes » et efficaces, ces nouveaux intrants sont généralement plus chers pour le producteur car les agrofournisseurs leurs assignent une plus forte marge. Cela pousse les détaillants et les délégués à recommander leur utilisation dans leur démarche de conseil. Les délégués technico-commerciaux organisent des journées de démonstrations au profit des agriculteurs et des grainetiers et leur rendent visite avant la campagne de production pour le choix des pesticides, semences et fertilisants, puis à deux ou trois reprises pendant la campagne. Il est possible de faire appel à eux en cas d’urgence. Le conseil peut aller au-delà et concerner les innovations pratiquées dans d’autres régions en termes d’irrigation, de densité de plantation, d’essais de nouveaux produits. Ils assurent alors le suivi régulier du processus.

Ces délégués ont su constituer un réseau de maraîchers prêts à tester ou acheter de nouveaux intrants avec lesquels ils discutent directement. Plusieurs moyens de communication sont utilisés : le téléphone, les rencontres au champ et pour certains agriculteurs, les réseaux sociaux (p. 8-9).

Plasticulture (aubergine), Biskra, mars 2019.

Trois formes de conseil apportées par les détaillants. Les grainetiers constituent l’interface entre les firmes d’agrofourniture et les agriculteurs car ils sont en contact permanent avec les uns et les autres. À Biskra, trois types de grainetiers ont des positions différentes vis-à-vis du conseil.

Certains, dotés d’une formation d’ingénieur agronome proposent un conseil de proximité. Ils réalisent régulièrement des visites dans les exploitations maraîchères de leurs meilleurs clients en termes de quantité d’intrants achetés et de leur propension à en utiliser de nouveaux. Lors de ces visites ils apprécient l’état des cultures et l’avancement de la campagne maraîchère et assurent un accompagnement technique continu. Ils apportent principalement des solutions passant par l’usage des intrants qu’ils commercialisent et moins souvent par des recommandations de choix de techniques culturales ou d’équipement.

D’autres ont un rôle de fournisseurs d’informations pour les agriculteurs. Ils expliquent alors le mode d’emploi des intrants qu’ils vendent, orientent les agriculteurs vers certaines pratiques culturales, et en déconseillent d’autres. Ces grainetiers fournissent aux délégués des firmes de nombreuses informations et les aident à constituer leurs réseaux.

Enfin, certains sont de « simples commerçants » qui se contentent de vendre des intrants agricoles en limitant le temps consacré à l’information des maraîchers. Ils répondent aux agriculteurs uniquement si ces derniers leur posent des questions précises. Ils ne participent ni au réseautage ni à l’encadrement des agriculteurs.

Le conseil, activité principale ou service auxiliaire des acteurs privés ? Pour les firmes et détaillants, le conseil est organisé pour fidéliser et accroître la clientèle. Ils fournissent également à crédit les intrants nécessaires à la production. Ces crédits sont sans intérêt, de courte durée, et concernent les agriculteurs fidèles, réputés bons payeurs, souvent les plus grands. La grande majorité des acteurs de l’agrofourniture ont adopté cette stratégie et à l’avenir ce sera peutêtre la qualité du conseil qui sera déterminant pour garder sa clientèle.

Les risques d’un système de conseil strictement privé. Le système de conseil agricole privé de la région de Biskra pour le maraîchage présente des risques majeurs. D’abord, il est très peu diversifié dans le fond et la forme, et répond partiellement aux questions posées par les producteurs. Il n’aborde pas la gestion économique et financière de l’exploitation, ni le conseil stratégique. Ensuite, ces acteurs privés ne prennent pas en considération les enjeux environnementaux et sociaux de l’agriculture régionale. Les intrants sont utilisés à fortes doses car les conseils fournis orientent les producteurs vers une « chimisation » de l’agriculture et un recours aux semences importés toujours plus fort. Ceci peut entraîner des problèmes sanitaires et environnementaux. Les agriculteurs, faute d’informations et d’alternatives proposées localement, demandent des produits toujours plus efficaces, mais souvent plus dangereux et facteurs de résistances des maladies culturales. Ainsi à l’échelle de l’Algérie, la consommation de pesticides agricoles a été multipliée par 3,5 depuis le début des années 2000.

Une nécessaire intervention des pouvoirs publics. De tels risques nécessitent une intervention de l’État, d’abord en se réappropriant le pilotage du conseil agricole. Cela nécessitera la mobilisation et la redynamisation des instituts techniques publics. Mais l’État devrait aussi favoriser l’émergence d’OP fonctionnelles de façon à rendre les agriculteurs moins dépendants du secteur de l’agrofourniture.

Nadhir Laouar (nadir.laouar@yahoo.fr) est enseignant chercheur à l’Université de Khenchela (Algérie).

Patrick Dugué est agronome au Cirad, Montpellier (France).

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