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Ceci est un article de la publication "Agriculteurs et accès au financement: quel rôle pour l’État?", publiée le 6 décembre 2016.

Le warrantage paysan : stocker pour accéder au crédit ?

Inter-réseaux

CréditWarrantageBurkina FasoNigerAnalyse, synthèse

En Afrique, les institutions financières hésitent à prêter aux agriculteurs car ils présentent rarement des garanties suffisantes. Le warrantage permet aux agriculteurs de stocker leur production afin d’obtenir un crédit.

Le warrantage dit « communautaire » ou « paysan » existe depuis plusieurs années en Afrique de l’Ouest. Développé au Niger à partir de la fin des années 1990 par la FAO, il s’est répandu dans la région, en particulier au Burkina Faso.

Stocker pour se financer. Le warrantage offre l’opportunité aux producteurs de stocker une partie de leur récolte pendant la saison sèche dans un entrepôt de stockage sécurisé. Au niveau de l’organisation de producteurs, un comité de gestion est en charge de la constitution du stock qui a lieu d’octobre à décembre. La capacité des entrepôts dépasse rarement les 80 tonnes. Le stock constitue une garantie liquide et divisible et permet aux producteurs d’obtenir un crédit de 80 % de la valeur du stock à la récolte auprès d’une institution de microfinance. Le système de contrôle du stock — deux clés, réparties entre l’IMF et les producteurs — permet d’établir une relation de confiance avec l’IMF car le risque est plus faible. Les taux de remboursement environnent d’ailleurs souvent les 100 %.
Au Niger, le taux d’intérêt se situe généralement entre 2 et 2,5 % par mois. Au Burkina Faso, ils sont de l’ordre de 1,5 %, soit proches des pratiques de financement rural dans la région.

« Deuxième récolte ». Ce crédit permet aux producteurs de faire face à leurs besoins de liquidités sans avoir à vendre leur récolte à un moment où les prix sont au plus bas. Il permet aussi à certains producteurs d’investir dans des activités de contre-saison.
Six mois environ après la constitution du stock, entre avril et juin, les producteurs remboursent le crédit et les intérêts à l’institution de microfinance et s’acquittent des frais de stockage auprès de l’organisation. Le comité de gestion peut procéder au déstockage des sacs que les producteurs sont libres d’utiliser comme bon leur semble (consommation familiale, semences, vente). Les producteurs impliqués dans le warrantage au Burkina aiment appeler cette période de déstockage la « deuxième récolte ».

Warrantage à Madagascar: une révolution en matière de prêt
Les Greniers communautaires villageois (GCV) à Madagascar constituent une réussite en termes de warrantage. Les dépôts annuels sont estimés à 100 000 à 120 000 tonnes par an, constitués à 90 % de riz paddy. Les bénéficiaires déposant généralement de 1 à 2 tonnes, ces prêts concernent un grand nombre d’agriculteurs. Les GCV représentent plus de 40 % du portefeuille de prêts des deux principaux réseaux d’institutions de microfinance. Les taux de remboursement avoisinent les 99 %.
Les GCV ont été développés à l’origine par les Caisses d’épargne et de crédit agricole mutuels (CECAM). Plusieurs réseaux de microfinance les ont depuis adoptés. Toutes ces institutions pratiquent des taux d’intérêts de 3 % par mois. Les GCV ont au départ été conçus pour conserver les produits dans les magasins d’OP. Dans la pratique des dizaines de milliers de GCV à domicile conservent le stock de quelques déposants, sous double cadenas : le déposant dispose d’une des clés, l’IMF de l’autre. Grâce à une garantie de l’AFD, les banques commerciales refinancent les IMF à hauteur d’environ 18 millions d’euros par an.

Un développement rapide au Burkina. Au Niger, à la fin des années 2000, le warrantage concernait environ 5 000 tonnes de produits agricoles divers appartenant à 12 500 agriculteurs. Depuis, le volume de prêts semble avoir stagné, en raison de mauvaises récoltes, des difficultés d’un des prêteurs, du manque d’entrepôts et de la fin de l’appui de la FAO. Une importante organisation paysanne — Mooriben — a diversifié ses modes d’accès au crédit, notamment en contractualisant avec une banque.
Au Burkina Faso, un recensement des principales expériences de warrantage lors de la campagne 2012- 2013 faisait état d’environ 4 000 tonnes de céréales stockées, dans plus de 100 entrepôts de stockage, ce qui avait permis l’ouverture de près de 300 millions de FCFA de lignes de crédit auprès du Réseau des caisses populaire du Burkina (RCPB).
Le warrantage ne représentait alors au Burkina que 2 % du portefeuille de crédits agricoles de la RCPB, mais c’est un produit en plein essor. D’après des estimations du Cirad à partir des crédits du RCPB, les volumes de crédit ont augmenté de 191 % entre les campagnes 2011-2012 et 2012-2013.

Des entrepôts insuffisants et des prix volatils. Les principales contraintes au développement du warrantage aujourd’hui semblent être le manque d’entrepôts, dont le financement dépend de l’aide extérieure, et les capacités financières limitées des IMF. Les activités de stockage, de montage de dossier et de remboursement groupés demandent du temps et peuvent engendrer des frustrations pour les producteurs qui ont stocké en premier et qui doivent attendre leur crédit.
Par ailleurs, le warrantage est « rentable » économiquement pour le producteur lorsque le prix des produits warrantés augmente suffisamment, entre les phases de stockage et de déstockage, pour couvrir le taux d’intérêt versé aux IMF, le montant versé au groupement pour le stockage des produits et les pertes éventuelles de stockage. Selon les estimations, cette variation doit être supérieure à 14,5 % au Burkina, 17,5 % au Niger.
Or ce n’est pas toujours le cas. Selon une étude d’Afrique Verte, dans le cas du mil dans six villes du Niger entre 2001 et 2010 par exemple, le producteur était perdant dans près d’un tiers des cas.

Des banques frileuses. Dans 71 % des cas, le warrantage était une opportunité pour le producteur de mil. L’étude montre toutefois que les producteurs profitent plus de l’opération que le financeur dans environ 37 % des cas seulement. Selon l’étude, « la part qui revient au producteur est rarement proportionnelle au risque qu’il prend et le banquier ou l’IMF ne partagent aucunement le risque ».
Il semble y avoir encore un certain problème de confiance au niveau des institutions financières, malgré les taux de remboursement élevés.
L’État et ses partenaires ont sans doute un rôle à jouer pour rassurer les banques, en se portant garant pour les agriculteurs les plus vulnérables par exemple. Le financement de la construction d’entrepôts de stockage ou la mise en place d’une législation encadrant le warrantage sont d’autres leviers sur lesquels les pouvoirs publics pourraient agir pour appuyer le développement du warrantage en Afrique de l’Ouest.

L’essor de la tierce détention
Une autre forme de crédit-stockage s’est développée ces dernières années en Afrique de l’Ouest : la « tierce détention ». Les produits sont stockés dans un entrepôt privé placé sous le contrôle d’un tiers qui atteste de l’existence, la qualité et la quantité du stock et assure sa surveillance, ce qui permet au propriétaire des produits de solliciter un prêt.
Proposé à partir des années 1980 et 1990 par des sociétés internationales, et plus récemment nationales, ce service permet essentiellement de financer les opérations des importateurs et des exportateurs sur des produits comme le riz, le sucre ou l’huile dans le premier cas, le cacao ou le coton dans le second. Les banques de Côte d’Ivoire auraient mobilisé 2,6 milliards de dollars pour financer les produits de base en tierce détention destinés à l’exportation en 2011.
De plus en plus d’expériences voient les petits producteurs bénéficier de ce système.
L’innovation majeure vient de la société SEGAS au Burkina Faso qui s’est efforcée d’asseoir une clientèle parmi les OP. SEGAS-BF intervient sur près de 15 sites de stockage à travers le pays et vise à construire un réseau national. Elle réceptionne les marchandises que les particuliers et groupements déposent sur les sites de stockage, les pèse et les reconditionne, les traite avec un insecticide puis elle délivre des récépissés d’entrepôt aux déposants qui leur permettent d’obtenir un crédit auprès de l’IMF. Elle leur procure également des intrants et une recherche de marchés. Les agriculteurs sont prêts à payer SEGAS-BF deux fois le tarif facturé par leurs propres OP pour des services de tierce détention (soit 200 à 250 FCFA par sac de 100 kg). Il semble apporter une valeur ajoutée au système en veillant à la qualité et grâce à la plus grande souplesse et aux services complémentaires qu’il propose.

Cet article s’appuie en particulier sur les documents suivants :

  • Étude sur les systèmes d’entreposage et de tierce détention adaptés à l’Afrique sub-saharienne, AFD, CTA, FIDA, septembre 2014 ;
  • Assurer la viabilité et promouvoir le développement des systèmes de stockage alimentaire de proximité en Afrique de l’Ouest, Bureau Issala, Interréseaux, Oxfam, SOS Faim, mars 2016 ;
  • Le warrantage paysan, un outil de protection des ressources, article de Andrea Ghione, Félicité Kambou, Tristan Le Cotty, Élodie Maître d’Hôtel et Gauthier Malnoury paru dans Grain de sel no59-72, juin 2013 ;
  • Renforcer les capacités des réseaux d’organisations agricoles par l’analyse de l’évolution du prix des céréales locales au Burkina, Mali et Niger durant la période 2001- 2010, Afrique Verte Internationale, décembre 2010.
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