En réduisant les risques pour les institutions financières, l’assurance agricole doit faciliter l’accès des petits producteurs agricoles au crédit. Pourtant, elle peine encore à se développer en Afrique de l’Ouest. Pourquoi ? Ces deux articles examinent cette question, du point de vue des institutions de microfinance et des producteurs.
IMF et assurance agricole : un amour impossible ?
L’agriculture a toujours été une activité économique risquée, notamment parce qu’elle est soumise aux aléas de la nature. Des conditions climatiques défavorables, et c’est la récolte de l’année qui peut être perdue. Ces risques qui pèsent sur la production et les rendements expliquent en grande partie la réticence des banques et des institutions de microfinance à prêter aux agriculteurs.
Sécuriser l’investissement agricole. L’assurance offre pourtant une réponse pertinente à la fois pour les agriculteurs et le secteur financier. En assurant leur récolte ou leur bétail contre les risques les plus courants, les agriculteurs réduisent leur exposition au risque et améliorent leurs capacités de remboursement. Pendant longtemps, les petits producteurs agricoles des pays en développement ont été considérés comme non assurables. Les capitaux à assurer étaient trop faibles, et les frais de gestion trop importants pour qu’une compagnie d’assurance puisse dégager une rentabilité suffisante sur le segment de l’agriculture familiale.
Néanmoins, depuis une quinzaine d’années, le développement de l’assurance indicielle a radicalement transformé l’assurance agricole. Contrairement à l’assurance traditionnelle qui fait appel à un expert sur le terrain pour évaluer la perte économique lors d’un sinistre, l’assurance indicielle fait appel à une variable (la pluviométrie par exemple) pour modéliser la perte de rendement. L’indemnisation est déclenchée à partir d’un seuil défini à l’avance, basé sur des données de rendement moyen ou de mortalité du cheptel par zone, sur des données météorologiques comme la pluviométrie ou les températures, ou enfin sur des images satellite qui vont mesurer la pousse de la végétation. Cette approche innovante, en réduisant les coûts d’expertise et de transaction, met l’assurance agricole à la portée des exploitations agricoles familiales.
L’assurance indicielle se heurte néanmoins au problème du risque de base. On parle de risque de base lorsqu’il existe un écart entre la perte estimée par l’indice et la perte réelle subie par l’agriculteur. Un agriculteur peut donc avoir payé une prime d’assurance, subir un sinistre, et ne pas recevoir d’indemnisation. Ceci peut être lié à un défaut dans la qualité des données, dans leur modélisation, ou à la géographie. Cependant, lorsque ce risque de base est faible et contrôlé, l’assurance indicielle constitue une réponse pertinente pour gérer les risques, notamment climatiques, qui pèsent sur la production. L’assurance agricole réduit le défaut de paiement des agriculteurs, et devrait donc faciliter leur accès au crédit. Pourtant, elle peine encore à se diffuser.
Le désintérêt des IMF pour l’assurance agricole. En théorie, l’assurance agricole a tout pour séduire les institutions de microfinance (IMF). Elle permet de sécuriser les prêts accordés aux agriculteurs, et donc potentiellement d’accroître la quantité de ces prêts. C’est aussi un moyen pour une IMF de se différencier de ses concurrents et d’attirer de nouveaux clients. Les commissions sur les primes distribuées génèrent également un chiffre d’affaires supplémentaire pour l’institution. Enfin, l’assurance agricole participe à la mission sociale de l’institution : certaines études démontrent que les agriculteurs assurés investissent plus dans leurs exploitations et obtiennent des revenus plus élevés que les agriculteurs non assurés (Make it rain, A. Schickele, 2016). Pourtant, force est de constater que peu d’IMF proposent de l’assurance agricole à leurs clients.
En juin 2015 à Dakar, la Fondation Grameen Crédit Agricole a organisé un atelier avec ses IMF africaines partenaires, pour mieux comprendre les raisons de ce désintérêt. Un des premiers motifs évoqués par les IMF est leur méconnaissance du produit, qui revêt une technicité et une complexité qui peuvent rebuter. De nombreuses IMF ont également cité le besoin de renforcement de leurs capacités, de formation de leur personnel voire d’adaptation de leur système de gestion pour proposer de l’assurance agricole à leur client. Certaines ont par ailleurs mis en avant le prix trop élevé de l’assurance (généralement entre 8 et 12 % de la somme assurée) et le manque de demande de leurs clients. L’assurance est en effet un service basé sur la confiance, et dont le bénéfice n’est visible qu’au moment d’un sinistre. Il est donc très difficile de convaincre les clients de la valeur de l’assurance.
On observe ainsi que dans les pays où l’assurance agricole s’est le plus largement répandue, celle-ci est fortement subventionnée. En Inde, elle couvre plus de 25 millions de petits producteurs grâce à un soutien public important. Pour bénéficier d’un prêt à taux préférentiel auprès d’une banque de développement agricole, les agriculteurs doivent obligatoirement souscrire à une assurance. La prime est subventionnée par le gouvernement fédéral et les États indiens, jusqu’à 80 % pour les agriculteurs les plus marginalisés.
Peut-on se passer des IMF ? D’autres canaux que les IMF existent pour distribuer l’assurance agricole. Il est par exemple possible pour les organisations de producteurs de souscrire directement à une assurance agricole pour leurs membres, comme c’est le cas du Réseau national des coopératives de producteurs de semences d’arachide au Sénégal.
Une autre voie prometteuse est celle que propose Acre Africa au Kenya, au Rwanda et en Tanzanie. Les agriculteurs qui achètent un sac de semences de maïs trouvent dans le sac un code à envoyer par SMS. En envoyant ce code, l’agriculteur est automatiquement géolocalisé et une couverture de 3 semaines contre le risque de sécheresse est activée. Le prix de cette assurance est inclus dans le prix du sac de semences. Si au bout des 3 semaines il n’a pas suffisamment plu pour garantir le succès de la germination, l’agriculteur est indemnisé du montant du sac de semences et peut acheter un nouveau sac pour replanter au cours de la même saison.
Faut-il néanmoins renoncer à travailler avec les IMF pour étendre l’accès à l’assurance agricole ? Un des grands bénéfices de l’assurance agricole consiste justement en un meilleur accès au crédit. Il semble donc nécessaire d’écouter leurs demandes pour renforcer leurs capacités sur le sujet. Si elles sont accompagnées, les IMF ont tout à gagner à intégrer l’assurance agricole dans leur offre de services.
Pierre Casal Ribeiro (pierre.casalribeiro@credit-agricole-sa.fr) est chargé de recherche sur les questions liées à l’assurance agricole au sein de la Fondation Grameen Crédit Agricole et de Pacifica – Crédit Agricole Assurances.
Assurance récolte et financement : des résultats contrastés au Burkina Faso
En 2011, l’arrivée en Afrique de l’Ouest de l’« Assurance Récolte au Sahel» (ARS) a été perçue par les institutions financières (IF) comme une opportunité pour sécuriser leur financement en direction des petites exploitations agricoles. Ce projet conduit par Planet Guarantee vise à développer des produits de microassurance récolte adaptés aux besoins des petites exploitations agricoles du Sahel. L’assurance couvre les producteurs de céréales contre le risque de perte de récolte en cas de déficit pluviométrique observé grâce à un dispositif satellitaire. Elle est censée encourager les producteurs à recourir à un crédit de campagne.
Encourager le crédit. Au Burkina Faso, l’ARS est vendue au début de la campagne agricole, seulement entre mai et juin. Elle est liée au crédit de campagne fourni par les IF (banques, IMF, coopératives) pour les dépenses en intrants agricoles. Ces crédits ont en général une échéance variant entre 9 et 12 mois et un taux d’intérêt nominal de 24 % en 2015. La prise du crédit chez les IF partenaires implique automatiquement l’achat d’une police d’ARS : pour obtenir le crédit de campagne, le producteur doit s’acquitter d’une prime d’assurance correspondant en moyenne à 10,8 % du montant sollicité. Toutefois, le montant de la prime varie selon les zones, certaines plus exposées que d’autres à la variabilité climatique. Il est aussi possible de souscrire à l’assurance sans prendre de crédit.
En cas de sécheresse, le processus d’indemnisation se déclenche et l’assureur devra rembourser, aux IF prêteuses, le capital restant dû, et aux producteurs, la partie du crédit qu’ils auront déjà remboursée ou, s’ils n’ont pas pris de crédit, la valeur correspondant (en crédit) aux surfaces assurées. Théoriquement, les IF sont ainsi protégées du risque d’impayés des crédits de campagne qu’elles octroient. Au niveau des producteurs assurés, le risque de décapitalisation lié au non remboursement du crédit est en partie réduit.
Une adhésion limitée. Planet Guarantee, l’organisme chargé de la conception du produit et de sa diffusion, visait au départ un objectif de 60 000 à 80 000 producteurs assurés en 2015 dans les quatre pays. Il notait en 2013 que seulement 17 987 producteurs avaient pu être assurés. Au Burkina Faso, en 2014, on dénombrait 3 420 producteurs assurés pour une superficie déclarée de 4 440 ha et 222 millions FCFA de capital assurés. Un total de 23,8 millions FCFA de primes ont été collectées cette année et 800 producteurs indemnisés.
Depuis 2012, l’Istom mène des investigations dans différents villages au Burkina Faso afin d’appréhender les effets et les enjeux de l’ARS pour les petites exploitations. Deux caisses villageoises, Lah et Tikan, affiliées à l’Association de promotion de la finance inclusive (APFI), une IMF partenaire, ont assisté à l’introduction de l’ARS en 2011 et 2012. Grâce aux données recueillies auprès de ces deux caisses, quelques éléments présentés ici questionnent l’impact de l’ARS sur l’accès au financement des petites exploitations.
Méfiance des agriculteurs. Depuis 2011, le nombre d’assurés dans les caisses villageoises a globalement augmenté, mais le pourcentage d’assurés, par rapport au nombre d’agriculteurs membres de ces caisses (le taux de prise) est resté bas (cf. graphique/tableau). On assiste plus à une extensification (hausse du nombre de villages couverts) de l’assurance qu’à une intensification (hausse du nombre d’assurés par village).
Des évolutions contrastées entre les caisses suggèrent plusieurs explications à ce succès limité. Les producteurs sont globalement méfiants car ils connaissent mal le dispositif. Cette méfiance a été alimentée pour certains par des « mauvaises expériences » d’indemnisation. L’assurance ne couvre en effet pas la perte réelle mais le montant du crédit ou la valeur correspondant (en crédit) des surfaces assurées. Même expliqué aux agriculteurs, ce facteur pose problème. L’assurance est par ailleurs parfois jugée trop coûteuse. Pour ces différentes raisons, la part du crédit agricole octroyé pendant la période de vente de l’assurance reste très limitée et dépasse rarement les 50 %.
Une déconnexion entre assurance et crédit ? Parallèlement à ces évolutions, on observe une différence de stratégie dans le recours au crédit et à l’assurance entre les producteurs membres des deux caisses. À Tikan, le crédit de campagne par hectare est en hausse, tandis que la superficie assurée par producteur diminue. En moyenne, les producteurs assurés contractent un montant de crédit plus élevé pour cultiver les céréales couvertes par l’assurance.
À Lah en revanche, le montant de crédit par hectare a tendance à se contracter alors que la superficie déclarée assurée par producteur augmente. Ce comportement s’assimile à une stratégie d’espérance de gain plus élevé en cas de sécheresse, surtout chez des producteurs qui s’assurent sans le crédit. Pour ceux de Tikan, on est semble-t-il dans une stratégie globale de gestion de l’exploitation agricole, d’autant que les montants mobilisés ne servent pas toujours à l’achat d’intrants pour les cultures assurées mais peuvent servir à répondre aux multiples besoins du ménage, avec également une espérance de gain chez certains.
Les données suggèrent ainsi un impact limité voire contrasté dans les villages. Si la surface dédiée aux céréales assurées tend à augmenter à Lah, elle ne conduit pas forcement les producteurs à demander plus de crédit. Pour les producteurs de Tikan, la prise de l’assurance semble s’accompagner d’un montant de crédit graduellement plus élevé mais se traduirait en moyenne par une baisse progressive de la surface assurée, ce qui peut correspondre à une sous-utilisation du potentiel en surface assurable existant des exploitations agricoles. Par ailleurs, l’expérience dans la gestion des risques, la compréhension du dispositif de l’ARS, ainsi que son coût moyen (prime), qui paradoxalement décroît à mesure que la surface assurée s’agrandit, peuvent en partie expliquer la différence de comportement chez les producteurs des deux caisses villageoises.
En somme, si des débuts encourageants ont pu être observés, l’assurance récolte au Sahel semble avoir une portée limitée au Burkina Faso. Dans nombre de villages, son impact sur la demande et l’octroi de crédit est loin d’être assuré. La demande potentielle nécessite d’être davantage comprise et requiert des produits qui répondent au mieux à ses besoins.
Compagnie nationale d’assurance agricole du Sénégal
Créée en 2008 et fruit d’un partenariat public-privé, elle réunit autour d’un capital de 1,5 milliard de FCFA l’État (36 %), les compagnies d’assurance et de réassurance (56 %), des organisations de producteurs et d’éleveurs (7 %) et des privés nationaux (1 %).
Sa réalisation fait du Sénégal un pionnier en matière de couverture des risques agricoles dans la région. Elle propose de nombreux produits couvrant une diversité de risques : dommages et vols sur des bâtiments et équipements, catastrophes naturelles, mortalité du bétail… L’État subventionne 50 % du coût de la prime d’assurance auprès de la CNAAS. La prime moyenne pour couvrir 1 ha d’arachide s’élève ainsi à 3 370 FCFA dont la moitié seulement est payée par l’agriculteur. La prime moyenne pour assurer un animal est de 5 % de la valeur de l’animal soit 2,5 % à payer par l’éleveur.
La couverture de cette compagnie reste modeste mais s’étend progressivement. En 2009-2010, les souscriptions aux polices d’assurance s’élevaient à 10 millions de FCFA. En 2013 elles ont fait un bond à FCFA 300 millions puis à FCFA 400 millions en 2014. En 2012, 2 103 producteurs avaient pris une assurance récolte, pour une superficie totale de 4 688 hectares. La même année, 156 éleveurs avaient assuré 61 571 têtes de bétail.
Yaya Koloma (y.koloma@istom.net) est enseignant chercheur à l’Istom (École supérieure d’agro-développement international). Ses recherches portent principalement sur les thèmes de la microfinance, du financement de l’agriculture, de la microassurance agricole, de la santé et de la pauvreté, en particulier en Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina Faso, Sénégal).