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Ceci est un article de la publication "71 : Jeunesses rurales africaines : contours, aspirations et perspectives", publiée le 11 janvier 2016.

L’AFOP au Cameroun : un exemple à suivre ?

Pierre-Blaise Ango

FormationJeunesCamerounAnalyse, synthèse

Le Cameroun met en œuvre depuis 2008 un processus de rénovation du dispositif de formation professionnelle agropastorale et de pêche qui constitue pour de nombreux acteurs un exemple en la matière dans la région. Comment a-t-il été mis en œuvre ? Quelles sont ses réussites, ses difficultés et ses enseignements pour la région ?

Grain de sel : Quand et pourquoi le programme Afop a-t-il été mis en place ?
Pierre-Blaise Ango : Le programme d’Appui à la rénovation et au développement de la formation professionnelle dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche (Afop) a été lancé en 2008 par le gouvernement du Cameroun, sous la tutelle des ministères en charge de l’agriculture et de l’élevage. Il s’inscrit dans le cadre du contrat de désendettement et de développement (C2D) négocié entre le Cameroun et la France. Afop vise la rénovation et le développement d’un dispositif de formation professionnelle agropastorale et de pêche pour améliorer la qualification des acteurs agricoles, notamment des jeunes et adultes désirant s’insérer dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et des pêches.
Le coût global de la première phase (2008-2012) s’élevait à 8 milliards de francs CFA (soit près de 13 millions d’Euros), dont 7,8 milliards financés par l’Agence française de développement (AFD). Pour la deuxième phase (2012-2016), le coût global prévu est de 32 milliards de FCFA (près de 49 millions d’Euros), dont 23 milliards financés par l’AFD.

GDS : Quel est le contenu de ce programme ?
PBA : Le programme Afop vient en appui aux administrations et aux structures de formation publiques et privées qui répondent à la demande de formation des jeunes projetant de devenir exploitants agricoles, des agriculteurs en activité et des jeunes diplômés du secondaire souhaitant se dédier au secteur agropastoral (formations de niveau BTS).
Ce programme agit à travers plusieurs leviers. La gouvernance des structures de formation a été revue dans le cadre de projets d’établissement garantissant un meilleur ancrage territorial des structures et une véritable implication des acteurs locaux (représentants des collectivités territoriales, des autorités traditionnelles et confessionnelles, des professionnels et des parents d’apprenants).
De nouveaux contenus de formation ont été élaborés : ils ne sont désormais plus des programmes de formation classiques avec une juxtaposition de disciplines scientifiques, mais ils découlent d’une description plus détaillée des métiers visés, des compétences et des capacités requises pour les exercer qui permettent de construire des modules de formation adaptés.
Le personnel en charge de l’animation du dispositif a été formé (ingénierie de formation, ingénierie pédagogique, ingénierie des dispositifs, ingénierie des projets et ingénierie financière) avec l’appui en formation-action d’un consortium international de 10 institutions françaises de formation portées par Montpellier SupAgro. Les structures ont également été équipées en matériels pédagogiques et didactiques et le cadre de vie des structures de formation (salles de classe et dortoirs) a été amélioré. Enfin, un dispositif complémentaire a été développé pour accompagner l’insertion des jeunes porteurs de projet à l’issue de leur formation.
Le dispositif qui couvre actuellement l’ensemble du pays a été progressivement densifié. Au départ 27 centres de formation ont été rénovés, puis 42, puis 75 aujourd’hui. Les écoles qui ciblent les apprenants de niveau BAC sont passées de 11 en 2010 à 26 à ce jour.
Dans les centres et les écoles, les jeunes sont admis au terme d’un test de sélection organisé au niveau national, suivi d’entretiens individualisés au niveau des structures de formation. Ces entretiens visent à établir la situation de référence des jeunes à l’entrée en formation ainsi qu’à appréhender leur motivation.

GDS : Quels sont les résultats du programme Afop ?
PBA : De 2010 à 2014, 3063 jeunes post primaires ont été formés au métier d’exploitant agricole et 2300 sont actuellement en formation. 70 maîtres pêcheurs ont fini leur formation dans les 2 centres rénovés de formation en pêche, dans lesquels 175 jeunes viennent d’être admis. Près de 1000 jeunes bacheliers ont été formés dans les métiers agropastoraux adossés à des BTS agricoles délivrés par l’enseignement supérieur.Environ 1000 jeunes formés issus du dispositif des centres se sont installés dans l’ensemble du territoire national, sur les 3063 formés depuis 2012. Les autres jeunes formés sont actuellement en train de finaliser et de valider leurs projets professionnels. Enfin, environ 2000 producteurs en activité suivent annuellement des formations modulaires dans les centres.
Le nombre de candidatures ne cesse d’augmenter et dépasse aujourd’hui de deux à trois fois le nombre de places disponibles. Le taux d’abandon des apprenants est faible (moins de 6 %). La grande majorité reste ainsi jusqu’à la fin de leur formation. Ils s’approprient leurs projets d’insertion et démarrent, pour beaucoup au cours de leur formation ou à la fin de celle-ci, des expériences de culture et d’élevage à petite échelle.
Des démarches et des outils de formation et d’insertion ont aussi été mis en place pour développer une formation professionnelle par alternance entre les centres et le milieu socioprofessionnel où interviennent des référents.

GDS : Quelles sont les limites et difficultés du programme ?
PBA : La première difficulté à laquelle fait face le dispositif rénové est l’inexistence d’une politique agricole, avec sa déclinaison en politique de formation. De ce fait, il existe des contradictions fortes entre les options de formation et de développement agricole promues par les différents bailleurs de fonds. Coexistent ainsi des visions différentes, certaines en faveur des exploitations familiales qui se modernisent progressivement et d’autres soutenant plutôt des exploitations de firme.
La deuxième difficulté concerne la massification du nombre des bénéficiaires. Une bonne formation professionnelle est presque toujours individualisée pour tenir compte non seulement des trajectoires de vie des apprenants (partir des acquis) mais également des projets de vie qui doivent être contextualisés au regard des ressources des porteurs de projets. Il devient alors difficile de concilier cette exigence de qualité avec la volonté des pouvoirs publics de former des milliers de jeunes.

GDS : Quelles sont les perspectives d’ évolution du programme Afop ?
PBA : Nous sommes à mi-parcours de la deuxième phase du programme. Il reste à évaluer le coût de ce dispositif et les bénéfices qu’il est susceptible de générer une fois les jeunes installés ainsi que ses externalités positives. Ce travail permettra de monter un argumentaire en faveur de la transformation de ce dispositif expérimental en politique publique de formation et d’insertion (dont le financement sera transféré à l’État).
La deuxième dimension évolutive de ce dispositif concerne la massification des cibles, pour proposer des offres de formation répondant à la demande sociale et économique d’autres cibles notamment les jeunes et les adultes en activité, ainsi que les jeunes formés nouvellement installés. En 2016, il est déjà prévu de développer de nouvelles compétences d’accompagnement des adultes au niveau des équipes pédagogiques.
Enfin, il est attendu au cours des mois à venir, un affinage des démarches et outils développés et éprouvés au cours 5 dernières années, en vue de leur capitalisation et diffusion.

GDS : Ce dispositif peut-il être un modèle pour les autres pays de la région ?
PBA : Le caractère reproductible de cette expérience est à chercher non du côté du dispositif en tant que tel, qui est loin d’être une recette magique ou un dogme, mais plutôt du côté de la démarche qui a été suivie. En effet, ce dispositif a été élaboré en co-construction avec différents acteurs : les experts du consortium, les cadres en charge de l’animation du dispositif, les directeurs, les équipes pédagogiques, les professionnels et les acteurs des territoires. Tous ces acteurs ont été véritablement associés à la définition des finalités, des stratégies, des actions, des démarches et des outils de formation et d’insertion. Cela a notamment permis d’adapter les formations au contexte local et de mobiliser les acteurs du territoire. Ce processus a été clé dans la réussite du programme et pourrait être reproduit dans d’autres régions.
Un autre choix que nous avons fait dans le cadre de l’Afop est porteur d’enseignements. C’est celui de responsabiliser les jeunes qui, par l’agriculture, prennent leur destin en main et réalisent un rêve de vie dont ils ont soigneusement dessiné les contours. Ils exercent alors un métier dont ils ont fait le choix et dont ils sont fiers. Ce passage de l’agriculture subie, comme une fatalité familiale ou sociale, à une agriculture voulue pour ses vertus économiques et d’équilibre socioculturel est la première étape, fondamentale, vers sa modernisation.

Pierre-Blaise Ango (angopb@yahoo.fr) est le coordinateur national du programme d’Appui à la rénovation et au développement de la formation professionnelle dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche (Afop) au Cameroun.

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