Le Groupe de Travail Désertification a initié un chantier de réflexion sur le changement d’échelle de l’agroécologie au niveau du territoire. Les premiers résultats invitent à opérer le changement d’échelle pas seulement par la diffusion d’un modèle, mais plutôt par la conception d’un autre mode de développement agricole du territoire.
Adeline Derkimba est chargée de programmes Désertification au CARI (Centre d’actions et de réalisations internationales). Elle anime le Groupe de Travail Désertification et y coordonne le chantier « Territoires et Agroécologie ».
Marion Finet est stagiaire de Master 2 au sein du GTD. Elle a appuyé le chantier « Territoire et Agroécologie » du GTD d’avril à août 2014.
Patrice Burger est le directeur du CARI. Il défend la pertinence de l’agroécologie comme un moyen de lutte contre la désertification et la dégradation des terres depuis près de 30 ans.
Le GTD, réunissant des ONG, des scientifiques et des collectivités locales travaillant dans le domaine de la lutte contre la désertification, s’intéresse depuis plusieurs années à l’agroécologie. Il a édité un ouvrage en 2012 portant sur ce domaine : « Agroécologie, une transition vers des modes de vie et de développement viables. Paroles d’acteurs. ». Nous vous invitons à lire des éléments de synthèse de cet ouvrage dans une version plus longue de cet article publié sur le site d’Inter-réseaux : [->10756].
L’agroécologie est considérée comme un outil pertinent de lutte contre la désertification. L’expérience accumulée par des millions de praticiens « des agroécologies » dans le monde et qui se diffuse de ferme à ferme et de famille à famille en est une preuve majeure. Cela dit, l’une des questions non résolue aujourd’hui est celle de l’accompagnement du changement d’échelle des projets agroécologiques de l’exploitation jusqu’aux territoires voire aux pays entiers. Ce changement d’échelle est un élément clé pour lutter efficacement contre la désertification. C’est pourquoi le GTD a initié un chantier « Territoires et Agroécologie » afin de proposer des pistes pour accompagner la transition agroécologique à l’échelle des territoires. L’objectif est de proposer les bases d’un guide d’accompagnement à la transition agroécologique dans les territoires, qui devrait être disponible d’ici juin 2015.
Deux façons de concevoir la transition agroécologique
La première, opérée par plusieurs acteurs du développement, consiste en la diffusion d’un modèle d’exploitation agricole basé sur les principes de l’agroécologie. S’appuyant sur les effets de la multiplication d’expériences individuelles, à partir d’expériences pilotes par exemple, cette approche a le mérite d’une simplicité de mise en oeuvre et d’une certaine efficacité opérationnelle. Cependant, le manque de connexion entre cette multitude d’initiatives individuelles ne permet pas de constituer une masse critique permettant de peser pour une transition agroécologique d’un territoire. Au niveau du GTD, nous explorons actuellement une autre manière d’appréhender la transition agroécologique à l’échelle d’un territoire. Nous considérons qu’il faut changer notre façon de concevoir le développement agricole du territoire (vu comme un système) en s’appuyant sur les principes de l’agroécologie. Le changement d’échelle se fait alors par la conception d’un autre mode de développement agricole du territoire, basé sur des trajectoires écologiques et socio-économiques communes aux acteurs inscrits dans ce territoire.
Identifier les acteurs et leurs interactions
On va ainsi s’intéresser à l’agroécologie comme outil de développement territorial dans les zones soumises à la désertification. Parlant de territoire, il s’agit d’abord de définir l’échelle à considérer avec précision. À la confluence entre les dimensions biophysique et socio- économique, portée par un ou plusieurs modes de gouvernance, le territoire sur lequel on cherche à construire la transition agroécologique implique une articulation complexe entres différentes échelles. L’objectif étant de prendre en compte les zones soumises à la désertification et de permettre le développement de l’activité agricole, il va être nécessaire de réunir suffisamment d’acteurs (agriculteurs, techniciens, responsables politiques, scientifiques) et de mener des actions de manière participative et collective. L’identification des acteurs et des organisations territoriales, ainsi que leurs interactions, doit permettre dans un premier temps de mettre en évidence des synergies possibles et d’associer des compétences et des moyens transversaux au service du développement agroécologique du territoire.
Il s’agit ensuite de comprendre de quelle manière intégrer les éléments de l’approche agroécologique dans une dimension territoriale. Pour cela, la réflexion et l’analyse diagnostic du territoire peut se faire selon les lignes directrices suivantes : utiliser les savoir-faire locaux, disposer d’une vision dynamique et évolutive sur les ressources naturelles, comprendre l’organisation de l’espace, caractériser les modes de production, repérer les interactions entre élevage et agriculture, caractériser la vulnérabilité des systèmes locaux.
Accompagner la transition agroécologique
Conduire la transition agroécologique consiste par ailleurs à développer des démarches d’accompagnement et des outils de projet innovants qui puissent participer à l’émergence de conditions favorables pour l’évolution de l’agroécologie. Dans cette optique l’acteur du développement a un rôle à jouer à plusieurs niveaux. Il s’agit d’abord de susciter l’intérêt d’une démarche agroécologique auprès des paysans et des acteurs et favoriser une compréhension holistique et partagée des enjeux afin d’élaborer des actions qui répondent à des intérêts communs à l’échelle du territoire. Il faut aussi agir sur la gouvernance et créer un cadre favorable à la prise de décision collective, intégrer et contribuer à orienter les politiques publiques locales pour renforcer et appuyer la mobilisation des acteurs agricoles et de leurs actions. Enfin, favoriser l’insertion de la production agroécologique au sein de filières structurées et génératrices de revenus et mobiliser « la recherche » pour accompagner la transition et permettre l’évaluation des actions et le développement de leviers économiques, environnementaux et sociaux pourront aussi permettre ce changement d’échelle.