L’agroécologie couvre aujourd’hui une grande diversité de débats et de représentations tant individuelles que collectives. Cet article vise à préciser l’évolution du concept ainsi que les différents registres et pratiques qu’il recouvre dans le monde.
Céline Allaverdian est chef de projet (développement agricole et filière) pour le Gret au Myanmar
Pierre Ferrand est chargé de projet développement agricole et filière agroalimentaire au siège du Gret à Nogent sur Marne
Jean-François Kibler est représentant du Gret au Laos et chef de projet (Gestion des Ressources Naturelles)
Lucie Reynaud est Assistant Technique (développement agricole et agroécologie) pour le Gret au Cambodge
Les conclusions de cet article sont issues d’un chantier de réflexion initié par le Gret en 2010 sur l’agroécologie. Ce chantier a notamment nourri la publication d’un ouvrage en janvier 2013 sur l’agroécologie avec la C2A (Coordination Sud) : Répondre aux défis du 21e siècle avec l’agroécologie : pourquoi et comment ?
L’agroécologie est un terme qui est né dans les années 1930 et qui a évolué à travers divers écoles scientifiques et mouvements politiques. Aujourd’hui, le terme est fortement polysémique et couvre une grande diversité de représentations tant individuelles que collectives. Difficile de s’y retrouver dans ce labyrinthe sémantique ! Voici un petit précis pour y voir plus clair.
L’agroécologie : une science, des pratiques agricoles et un mouvement social
L’agroécologie est née dans les années 30 comme une science qui portait ses analyses sur la conduite de la parcelle. Elle se définit comme l’application de l’écologie en agriculture et porte son analyse sur les différentes composantes (plantes, animaux, sols, climat) et leurs interactions au sein d’un agro-écosystème (un écosystème aménagé par l’homme). Elle est associée à des travaux sur la protection des cultures, la gestion des maladies et ravageurs, la biologie du sol.
Progressivement, le concept évolue et dépasse l’échelle de la parcelle, avec des auteurs comme Miguel Altiéri. Dans les années 80, l’agroécologie devient une discipline scientifique à part entière avec son cadre conceptuel et sa méthodologie. Elle consiste à étudier par une approche holistique les écosystèmes agricoles en intégrant des dimensions sociales, environnementales et économiques. Depuis le début des années 2000, certains experts s’intéressent plus largement aux liens entre producteurs, consommateurs, territoire, société, ressources naturelles et production agricole : l’agroécologie embrasse alors une nouvelle dimension qui est celle du système alimentaire.
Parallèlement à cet élargissement de l’objet d’étude, l’agroécologie est également devenue un mouvement social, principalement via l’essor de l’agroécologie en Amérique Latine et plus particulièrement au Brésil, à partir des années 70, où un mouvement d’agriculteurs et d’ONG se développe en opposition à l’agriculture industrielle capitaliste. L’hoRIZon N°58
Cinq grands principes
En ce qui concerne les pratiques agricoles, l’agroécologie se fixe comme unité d’analyse de base l’agro-écosystème. Le point de référence est la compréhension de la nature afin de l’imiter. De là, découle cinq grands principes :
- le recyclage de la biomasse et l’équilibre du flux et de la disponibilité de nutriments ;
- la sauvegarde de conditions du sol favorables pour la croissance des plantes (à travers le renforcement de la matière organique des sols et de l’activité biotique des sols) ;
- la minimisation des pertes de radiation solaire, air, eau et nutriments (grâce à la gestion de microclimats, à la collecte de l’eau et à la couverture du sol) ;
- le renforcement de la diversification génétique et des espèces de l’agro-écosystème dans le temps et dans l’espace ;
- le renforcement des interactions biologiques parmi les composants de l’agro-biodiversité.
Des représentations diverses selon les continents
Le terme agroécologie a été développé au début du XXe siècle en Europe par des chercheurs. De fait, en Europe, ce concept a continué de se développer à l’état de sciences et de techniques. La forme technique et opérationnelle sur le terrain se matérialise majoritairement à travers l’agriculture biologique.
En Amérique latine, l’agroécologie s’est construite sur le rejet du modèle agricole industriel et de la politique agricole de modernisation jugée inappropriée pour les agricultures familiales. Les solutions sont recherchées du côté des agriculteurs, en partant du principe qu’ils possèdent un savoir empirique sur les ressources naturelles. Au Sud, la région est aussi le « berceau » de l’agriculture de conservation qui représente 6 % des surfaces agricoles mondiales. 85 % de ces surfaces sont concentrées aux États-Unis, au Brésil et en Argentine. Si l’agriculture de conservation peut à certains égards se prévaloir de l’agroécologie, la manière dont elle est pratiquée en Amérique du Sud impliquant concentration foncière, recours massif et systématique aux OGM et aux désherbants chimiques est bien loin des principes de l’agroécologie.
En Asie, l’agroécologie se décline notamment dans des systèmes de production précis tels que les Systèmes rizicoles intensifs ou adaptés autour de techniques spécifiques pour la culture du riz ou la lutte intégrée contre les ravageurs qui fut largement diffusée en Indonésie et aux Philippines vers la fin des années 80.
En Afrique, l’agroécologie se développe autour d’approches portées par des mouvements tels que Pelum, un réseau d’organisations de la société civile de l’Afrique de l’Est et Australe, qui mettent en avant la souveraineté alimentaire, la biodiversité, la défense des semences locales et les pratiques de conservation des sols. En Afrique de l’Ouest, les expériences se sont limitées pendant longtemps à des techniques précises telles que l’utilisation du compost, le Zaï, et l’usage d’arbres (parcs de Faidherbia albida…) mais aujourd’hui un nombre croissant d’organisations paysannes envisagent l’agroécologie comme un moyen de défendre et de promouvoir l’agriculture familiale et paysanne et s’emparent de ce concept. L’agroécologie se base alors sur les connaissances locales. Une diversité de techniques sont mises en oeuvre : fumure organique, phytosanitaires naturels (à base de Neem par exemple), paillage ou cultures en cuvette, plantation d’arbres…
Fédérer les écoles
Il existe de nombreuses écoles sous la bannière de l’agroécologie : agriculture biologique, agriculture de conservation, agriculture intégrée, agriculture durable… Malgré les différences, ces écoles contribuent à leur manière à rechercher des alternatives au système agro-industriel dominant et défaillant.
Face à cette diversité d’écoles et de « chapelles », il nous semble nécessaire de rassembler les mouvements vers le même objectif de « transition agroécologique ». Ce concept à vocation fédératrice permettrait aux acteurs promouvant de telles pratiques d’être plus audibles par les politiques et reconnaissables par les consommateurs. Il permettrait à ces acteurs de partager des palettes plus riches et plus nombreuses de pratiques et de connaissances, au sein notamment d’alliances nationales et régionales de partage de connaissances et d’expériences, rassemblant différents acteurs (chercheurs, développeurs, politiques, consommateurs, traders… mais aussi et surtout paysans) de différentes écoles (agriculture biologique, lutte intégrée contre les ravageurs, Système de riziculture intensif, agroforesterie, agriculture de conservation…) et de différents pays.
Définitions
Plusieurs approches peuvent être rattachées au concept d’agroécologie. Si toutes partagent le projet de réconcilier écologie et production agricole, les pratiques varient, notamment en fonction du degré de concessions faites au modèle d’intensification conventionnel. Au-delà de leur diversité, ces concepts ont en commun un refus de l’agriculture conventionnelle et un mouvement vers une agriculture qui tend à utiliser intensivement les capacités spécifiques des écosystèmes.
L’agriculture « conventionnelle » ou communément appelée « agriculture industrielle » : c’est l’agriculture au sens large (comprenant l’élevage) pratiquée principalement dans les pays industriels et les pays émergents depuis la « Révolution verte ». Ces agricultures sont caractérisées par une standardisation des facteurs de production, l’emploi de variétés à haut rendement, l’utilisation intensive d’intrants chimiques, le recours à l’irrigation, à la moto-mécanisation et généralement au crédit.
L’agriculture biologique : au-delà du refus de l’usage des engrais chimiques des pesticides de synthèse et des OGM pour les cultures et des farines animales, des acides aminés de synthèse et du gavage en élevage, elle est fondée sur le respect de l’activité biologique de la nature et en particulier de ses cycles
L’agriculture de conservation : c’est un terme générique qui rassemble les techniques agricoles protégeant le sol de l’érosion et de toutes les formes de dégradation. Trois principes en résultent : le recours à des rotations de cultures et des couverts végétaux, la réduction du travail du sol jusqu’à pratiquer le « semis direct », et la restitution au sol des résidus des cultures.
L’agriculture écologiquement intensive : elle est fondée sur l’idée que les mécanismes naturels, ceux qui sont décrits par l’écologie, peuvent être amplifiés jusqu’à devenir presque exclusifs (ou dominants) en termes de pratiques agricoles. Le concept rejoint le terme, plus ancien, de « révolution doublement verte » destiné à inciter la recherche à investir dans la définition de techniques agricoles et d’élevage à haut rendement, tout en respectant l’environnement.
Ces éléments de définition ont été repris du Bulletin de synthèse publié par Inter-réseaux en septembre 2011 : Agroécologie : où en est-on ?