En Afrique de l’Ouest, si la transformation industrielle en jus naturels est souvent considérée comme la meilleure possibilité de valorisation des fruits, d’autres pistes de production de boissons locales via des procédés artisanaux améliorés ont le vent en poupe et sont à explorer.
Grain de Sel : Pouvez-vous nous présenter un aperçu de l’offre et de l’appréciation par les consommateurs des jus naturels locaux disponibles sur les marchés ouest africains ?
Cécile Broutin : Les données sur la consommation nationale des fruits et légumes transformés sont pratiquement inexistantes. On peut cependant constater que la vente de boissons obtenues par des procédés artisanaux améliorés se développe. Elle permet de valoriser l’offre saisonnière de fruits, mais aussi d’autres produits tels que les fleurs de bissap et le gingembre, et également des produits de cueillette comme le tamarin et le « pain de singe » (fruit du baobab). On note une demande croissante pour ces boissons à base de produits locaux (appréciés pour leur goût, leurs vertus médicinales et leurs prix), que ce soit pour la consommation familiale (surtout lors des cérémonies familiales et événements religieux) ou pour la consommation individuelle pendant ou hors des repas.
GDS : Quels sont les freins et pistes d’amélioration nécessaires au développement du marché de ces jus ?
CB : Ces boissons se trouvent en concurrence avec les boissons gazeuses, fabriquées sous licence par des industries nationales, les jus industriels importés ou fabriqués localement à partir de concentrés importés et parfois de fruits locaux. Leur vente est soutenue par d’importants moyens publicitaires que les petites entreprises ne peuvent pas mobiliser. Elles doivent donc aller vers le consommateur et s’appuyer sur le « bouche à oreille » et la promotion de proximité de produits naturels bien présentés (sachets avec logo et images).
Pour développer leur marché, elles doivent améliorer leurs procédés de transformation et la qualité des produits finis en adoptant des bonnes pratiques de production et d’hygiène, pour que les consommateurs soient rassurés sur l’innocuité des produits.
Les sachets soudés, transportés dans des glacières et pousse-pousse et vendus frais, avec des pailles, ont fait une percée importante sur les marchés urbains, grâce à l’amélioration de la qualité et de la durée de conservation par la pasteurisation et la conservation au froid. Ils doivent maintenant trouver leur place dans le réseau de vente des boutiques de quartier (où l’on va acheter des boissons gazeuses pour les enfants, ou quand un invité se présente).
GDS : Quelle expérience, selon vous, mériterait l’attention de nos lecteurs sur cette piste de valorisation artisanale améliorée ?
CB : Plusieurs petites entreprises, individuelles ou communautaires, ont fait le choix de ces produits de grande consommation. Au Sénégal les jus de bissap, gingembre, tamarin ont conquis de nombreux consommateurs mais aussi des institutions qui les proposent de plus en plus souvent lors des ateliers et séminaires.
On peut citer l’entreprise Free Work Service (marque Kumba) qui transforme et vend 3 000 à 4 000 sachets de 25 cl de jus par jour à Dakar et l’entreprise Maria Distribution qui a établi un contrat avec des groupements de la région de Tambacounda pour ses approvisionnements en matières premières. Avec d’autres petites entreprises, comme les GIE Afbar, Takku Liggeey, Safna, Shivet Fruit, elles ont créé une association professionnelle nationale, Transfruleg (transformateurs de fruits et légumes).
GDS : D’une manière plus générale, quelles sont les options aujourd’hui pour la valorisation des fruits locaux?
CB : Les possibilités d’exportation sont limitées en raison du prix des fruits souvent élevé en Afrique de l’Ouest, des difficultés de transport et des barrières réglementaires. La vente en frais sur les marchés nationaux/régionaux est donc la première voie de valorisation des fruits. Cependant, la production de jus et boissons pour la consommation de masse et la production de confitures et sirops pour le marché local haut de gamme (ménages aisés, étrangers et réceptifs touristiques) sont des pistes à explorer. Ces créneaux peuvent être valorisés par l’industrie mais surtout par les petites entreprises en mesure de proposer des prix plus compétitifs et de valoriser une offre de produits de cueillette et de fruits très dispersée, nécessitant des opérations préliminaires manuelles pour assurer la qualité des produits finis. Ils constituent donc un creuset d’emplois salariés (ouvriers) et d’auto-emploi pour des dirigeants de petites entreprises.
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- Cécile Broutin est responsable du Pôle environnement, filières et agricultures familiales (EFA) au Gret.
- Le Gret travaille depuis longtemps sur la valorisation des produits locaux (céréales, fruits, lait). Il réalise actuellement, pour l’Agence française de développement, une étude sur l’identification des métiers porteurs dans l’agro-alimentaire en Afrique subsaharienne et les besoins de renforcement du capital humain. Le secteur des boissons a été analysé à cette occasion, notamment au Sénégal.