La crise de 2008 a provoqué un réel sursaut des États ouest africains en matière de politique agricole. De nombreux programmes de relance de la production vivrière ont été mis en place et ont obtenu des résultats en termes de production. Cependant, des questions se posent encore sur la durabilité de ces soutiens.
Depuis 2008, année de « vie chère », on assiste en Afrique de l’Ouest à une relance des appuis des États à la production céréalière. En effet, dans un contexte de hausse des prix des céréales sur le marché international qui s’est répercutée sur les prix des céréales ouest africaines, divers États ont décidé des subventions en faveur de l’agriculture vivrière, avec un focus particulier sur le riz. Dans une moindre mesure, le maïs, l’arachide, le mil et le sorgho en ont également profité. On citera en particulier la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana) du Sénégal, l’Initiative Riz du Mali, le Plan d’urgence pour l’agriculture et la sécurité alimentaire (PUASA) du Bénin, les plans de relance du riz et autres vivriers de la Côte d’Ivoire. D’autres États ont fait des efforts renouvelés : le Togo, le Niger, le Tchad, la Mauritanie, le Burkina Faso.
La relance de la riziculture irriguée locale était au coeur de ces plans, en raison de l’importance de cette céréale dans l’alimentation des populations, des potentialités d’accroissement de sa production et de son poids dans les importations nationales. Au Sénégal par exemple, sur 55 000 tonnes d’engrais subventionné en 2010, 20 000 tonnes ont concerné le riz. Au Bénin, ce sont 11 000 ha de bas fonds qui ont été aménagés pour la riziculture lors de la première année du PUASA.
Au départ, ces plans ont été définis dans l’urgence, n’ont pas été réfléchis sur le long terme et n’ont donc pas pris en compte l’ensemble des maillons des filières céréalières. En 2008/2009, ils étaient focalisés sur la production, avec des appuis à la fourniture d’engrais (subventions et crédits remboursables en nature), de semences (subvention), de pesticides (subvention), de matériels agricoles (dotation aux coopératives). À partir de 2009/2010, les autres maillons (conseil agricole, production de semences, transformation, commercialisation) ont été mieux considérés. En 2011, ces plans de relance continuent et les États entendent faire des efforts dans la durée malgré les coûts budgétaires induits.
Le tableau ci-dessous donne quelques chiffres concernant ces plans de relance de la production céréalière.
Quelles ont été les impacts de ces plans jusqu’ici ? L’impact sur la production céréalière, notamment rizicole, est notable, en particulier au Mali, au Sénégal, et au Burkina Faso. Des polémiques existent sur les chiffres réels de production additionnelle, car les mesures de relance sont intervenues au cours d’une période où la région a connu deux très bonnes années sur le plan climatique (2008 et 2010), et les intrants (semences et engrais) ont parfois été mis à disposition tardivement.
Cependant, la tendance des prix nous indique assez clairement que la production céréalière est soutenue. Au Mali, les prix du riz local, autour de 300 FCFA le kilo entre 2009 et 2011, pèsent sur ceux du riz importé, qui s’ajustent. C’est donc le riz local malien qui impose petit à petit son prix directeur, car il est présent toute l’année et « fait masse » sur le marché. Au Sénégal, le maintien du prix d’achat du riz local décortiqué au producteur dans la fourchette de 250-300 FCFA le kilo stimule les producteurs de la Vallée, qui confirment des hausses de production. Plus généralement, on constate le passage de paliers de prix dans les principaux bassins rizicoles. Le riz paddy, qui était acheté à environ 100 FCFA le kilo avant 2008, a atteint un peu partout le plancher de 150 FCFA le kilo, grâce à l’inflation importée qui a permis durant deux ou trois campagnes un relèvement du prix au producteur, dans les pays où le riz importé continue d’imposer un prix directeur. Ce facteur, couplé à une bonne pluviométrie en 2008 et 2010, a certainement joué sur la hausse de la production vivrière régionale, en parallèle de la fourniture d’intrants subventionnés.
Un autre impact est à noter. L’appui à assez grande échelle en matière de fourniture d’engrais subventionnés a permis à plusieurs pays de remonter le taux d’engrais utilisé à l’hectare, et de se rapprocher de l’objectif de la Cedeao qui est de 25 kg/ha sur les cultures vivrières. Le tableau ci-dessus montre les impacts, directs et indirects, en termes de hausse de la production et de quantité de fertilisant à l’hectare, obtenus durant ces dernières campagnes agricoles, pour un panel de pays.
Ce tableau montre que la production dépend encore fortement de la pluviométrie (faibles productions céréalières au Sénégal en 2007, au Burkina en 2009). Mais il permet également de suivre la progression de la production de riz, qui a largement profité des nouveaux programmes de diffusion d’intrants subventionnés, notamment d’engrais.
Par ailleurs, les plans de soutien à la production ont permis la relance des investissements dans deux secteurs : la recherche et les aménagements agricoles (périmètres irrigués et restaurations des sols). En matière de recherche- développement, le Sénégal et le Mali ont intensifié les tests sur le riz NERICA (New rice for Africa, variétés conjuguant les hauts rendements de variétés asiatiques et la robustesse de variétés africaines). Le Sénégal a développé des sites en « système de riziculture intensive » (SRI) ensemble de techniques qui permettent d’économiser de l’eau et des intrants.
Sur le plan des aménagements, on a assisté à une relance de l’aménagement des bas fonds (au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Burkina) et à la mise en production de nouveaux périmètres irrigués (au Mali, au Tchad, au Sénégal). La restauration des terres est également concernée avec la recapitalisation des sols en phosphore dans certaines parties du Sénégal et des aménagements antiérosifs supplémentaires au Niger.
Enfin, les États tentent de réinvestir dans le conseil agricole : recrutement de nouvelles promotions d’agents vulgarisateurs au Mali, lancement annoncé de centres de formation agricole au Niger.
Malgré les résultats indéniables atteints, plusieurs challenges demeurent. Ces plans définis dans l’urgence gagneraient à être mis en cohérence avec les différentes politiques nationales et régionales de développement agricole, de financement de l’agriculture, de transformation et de commercialisation des produits. Une meilleure implication des organisations de producteurs, de leurs faîtières nationales et régionales, reste à construire. Le manque de concertation sur le prix d’achat par l’État d’une partie des surplus céréaliers a parfois provoqué des frictions avec les OP. La qualité des intrants, le réseau de distribution et le ciblage des bénéficiaires devraient être améliorés, même si au Sénégal par exemple, l’agriculture familiale a bénéficié de 85% des intrants distribués. Le retard dans la mise en place des intrants est décrié dans tous les pays. Il faudra également trouver des fonds sur la durée. Le financement à venir des plans nationaux d’investissement agricole (PNIA) conçus sous l’impulsion de la Cedeao pourra apporter des solutions.
Les résultats atteints restent donc fragiles. On constate déjà par exemple une baisse des prix d’achat au producteur pour le riz dans plusieurs bassins de production, en raison notamment de problèmes d’organisation des filières.
Quelques pistes peuvent être explorées pour consolider les efforts. Une meilleure répartition des engrais tout d’abord. Ils sont prioritairement ciblés sur les zones irriguées. Or, de petites doses d’engrais couplées à des techniques de restauration des sols peuvent aboutir à des résultats conséquents en céréaliculture pluviale. Dans le même ordre d’idée, on constate que l’essentiel des investissements en matière d’aménagement des terres a concerné les zones irriguées. Un effort plus conséquent en restauration des sols pour l’agriculture pluviale devra également être fait. Enfin, une vraie politique de soutien aux prix pourrait être envisagée, à l’instar de ce que le Niger a tenté pour le niébé en proposant un prix d’achat incitatif pour les stocks publics. En ce qui concerne les céréales, notamment le riz, c’est plutôt l’inverse qui a été constaté, certains États tentant de racheter la production au dessous du prix du marché pour récupérer partiellement la subvention.
D’autre part, on peut envisager en fonction des zones la mise en place d’un véritable crédit agricole, quitte à subventionner le taux d’intérêt. En effet, la mise en place massive d’intrants subventionnés tous les ans sera budgétivore. Un crédit adossé à la production, encadré par les OP, pourrait être tenté, à l’instar de ce qui est fait dans les filières cotonnières. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le Bénin dans le cadre du PUASA où les engrais étaient remboursés en nature.
Les instruments de politique de l’Ecowap relatifs aux filières céréalières
Dans le cadre du plan régional d’investissement agricole pour la période 2010-2015, la Cedeao a adopté un ensemble d’instruments qui concernent directement les filières céréalières. Il s’agit notamment :
a. Des mesures de nature réglementaire :
- La normalisation de la qualité des intrants (engrais, produits phytosanitaires) ;
- L’adaptation du régime commercial extérieur : cet aspect comprend l’adoption définitive d’un Tarif extérieur commun (TEC) commun aux 15 pays, la re-catégorisation au sein des cinq bandes du TEC des produits céréaliers, la classification dans la catégorie 0 des intrants, la mise en place d’un mécanisme de sauvegarde aux frontières ;
- La suppression effective des entraves internes au commerce régional et l’harmonisation de la fiscalité interne sur les produits céréaliers (TVA notamment).
b. Des mesures incitatives ciblant l’intensification de la production dans les exploitations familiales. Ces mesures comprennent :
- Un programme régional de cofinancement des subventions aux engrais, qui vise à encourager les États à appuyer la promotion des intrants, via des programmes de distribution de coupons, impliquant les OP, les distributeurs et le secteur bancaire, y compris les IMF, dans sa gestion ;
- Un programme de cofinancement de l’équipement ciblé lui aussi sur les exploitations familiales, construit à l’identique du précédent ;
- La reconnaissance du métier de distributeur d’intrants et l’accréditation de ces derniers de sorte qu’ils puissent s’impliquer dans les programmes de coupons intrants et coupons équipements ;
- La mise en place de fonds de garantie destinés à inciter les banques à financer le secteur agricole, et la bonification des taux d’intérêts.
c. L’incitation au stockage en vue d’une meilleure régulation du marché et d’une amélioration de la valorisation des productions agricoles : stockage de proximité, stockage d’interventions publiques ou dans le cadre des interprofessions, stockage régional via l’accréditation d’entreposeurs régionaux, capable de promouvoir avec le secteur bancaire des opérations de warrantage à plus grande échelle. Ces incitations comportent :
- L’aide à l’investissement dans les équipements et les infrastructures de stockage ;
- La mise en place de fonds de garantie pour inciter les banques à développer du crédit de commercialisation auprès des OP ;
- La bonification des taux d’intérêts.
d. L’appui au développement des interprofessions nationales et la promotion des cadres de concertation entre ces interprofessions à l’échelle régionale.
D’autres mesures concernent l’adaptation au changement climatique avec notamment l’appui à la recherche sur les impacts et les techniques agricoles permettant de s’adapter à l’évolution du climat, la diffusion des innovations, etc.
Dès 2011, ces instruments devraient commencer à être mis en oeuvre. La Commission de la Cedeao consacre 150 millions de dollars sur ses fonds propres pour le cofinancement du programme régional pour les cinq prochaines années.
Sources : R. Blein et B.G. Soulé
Entretien avec Malick Sow (Fapal) sur la relance des politiques céréalières au Sénégal
Grain de sel : En 2008, année de « vie chère », les pays d’Afrique de l’Ouest ont relancé leurs appuis à la production céréalière. Quelle place ont eu les organisations de producteurs (OP) dans la définition et la mise en oeuvre de ces plans de relance au Sénégal ?
Malick Sow : Au Sénégal, les autorités ont lancé la Grande offensive pour la nourriture et l’abondance (Goana) en 2008. L’idée en soi n’était pas mauvaise. Mais le principal problème, c’est que l’État souhaitait s’appuyer sur de « nouveaux acteurs » (des fonctionnaires, des grands investisseurs) pour mettre en oeuvre ce plan. En gros, il voulait mener la Goana sans les producteurs agricoles. Les producteurs et leur organisation (le CNCR) n’ont été ni consultés, ni associés à la conception et la mise en place de la Goana. Pire, devant la résistance des producteurs, l’État a ensuite favorisé l’émergence d’autres plateformes de producteurs et la création d’un nouveau syndicat agricole (le Japandoo) pour déstabiliser et supplanter le CNCR.GDS : Que pensez-vous du contenu de la Goana ?
MS : La Goana est très orientée sur la production de riz et de maïs, qui ne concerne pas toutes les zones du Sénégal et qu’une minorité de producteurs. Ce sont par ailleurs des cultures principalement tournées vers la vente, bien qu’une partie soit autoconsommée. Nous aurions préféré que l’État cible des spéculations qui épousent la diversité des zones agro-écologiques de notre pays. Comme le sorgho et le mil, qui sont cultivés par trois quarts des producteurs sénégalais.GDS : Les chiffres officiels montrent un appui conséquent de l’État, notamment à travers des subventions aux engrais. Quelle est la réalité sur le terrain ?
MS : Je ne suis pas un « technicien de chiffres », mais à partir de mon vécu, je peux affirmer que cette subvention a plus profité aux intermédiaires qu’aux producteurs. Nous n’avons pas du tout ressenti les retombées de cette subvention sur le terrain. Les producteurs n’ont souvent pas les moyens de payer comptant leurs engrais, même subventionnés ; les intermédiaires ont acheté les engrais subventionnés et les ont revendus aux producteurs, parfois au double du prix. Même les autorités ont reconnu que cette subvention a été détournée.GDS : Les chiffres officiels révèlent un impact positif de ce plan sur la production céréalière, avec des augmentations importantes de la production. Qu’en pensez-vous ?
MS : Je prends les chiffres officiels avec des pincettes. Les autorités ont leurs chiffres ; nous, producteurs, avons les nôtres. Les chiffres annoncés sont loin de la réalité. Ils ont été préparés dans des bureaux. Certes, il y a eu une augmentation de la production, mais de là à dire que nous sommes désormais autosuffisants en riz…GDS : Quelles sont vos propositions pour augmenter durablement la production céréalière ?
MS : Il faut avant tout que l’État ouvre des négociations sérieuses avec les OP, notamment le CNCR. Nous attendons la mise en oeuvre de la Loi d’orientation agro-sylvo-pastorale élaborée depuis 2004, qui prend en compte l’ensemble des problématiques, de la production à la commercialisation en passant par le financement rural. Les producteurs sont aujourd’hui confrontés à de sérieux problèmes d’insécurité foncière : l’État doit aller vers une réforme foncière qui sécurise les exploitations familiales. Mais j’insiste : l’État doit accepter de remettre le CNCR à la table des négociations.Malick Sow est le secrétaire général de la Fédération des associations paysannes de Louga (Fapal) au Sénégal.