Aujourd’hui la demande en céréale est là, mais il faut pouvoir y répondre sur les plans de la qualité, du volume, de la régularité. Il faut aussi que les marchés se fluidifient entre les pays de la Cedeao. Dans cet entretien, Mohamed Haïdara s’exprime sur les enjeux liés au commerce des céréales en Afrique de l’Ouest.
Grain de sel : Quelles sont les difficultés majeures que rencontrent les OP dans la commercialisation des céréales en Afrique de l’Ouest ?
Mohamed Haïdara : La mise en marché collective des céréales est difficile au niveau des producteurs. Cela est lié à l’insuffisance de lieux de stockage, mais aussi au manque de structuration des OP. Il est par exemple difficile de trouver une OP capable de satisfaire une commande de 5 000 tonnes ; un commerçant lui peut facilement les livrer.
Ensuite, se pose un problème de qualité. Pour le riz, on a des décortiqueuses qui donnent un riz usiné de bonne qualité, mais pour le mil le système de battage à même le sol donne un taux d’impureté assez élevé.
Il y a aussi des difficultés autour du transport. Quand vous chargez un camion de Bamako pour Niamey, malgré les règles de l’UEMOA et de la Cedeao, il y a toujours des tracasseries routières qui rendent le commerce difficile. Pour donner un exemple, nous étions l’an passé à la Foire internationale de Dakar, et j’ai vu des transformatrices du Burkina et du Mali, venues pour y vendre des produits transformés, qui ont du payer plus de 600 000 FCFA de « taxes ». Comment voulez vous que des pauvres dames transportant une ou deux tonnes de produits transformés payent 600 000 FCFA dans les postes transfrontaliers ?
Face à une mauvaise campagne de production, on a vu des pays décider d’empêcher la sortie des céréales du territoire, bien que ce soit contraire à toutes les dispositions de l’UEMOA et de la Cedeao, instituant la libre circulation des personnes et des biens. Ainsi des camions sont restés bloqués aux frontières. Ce n’est pas bon, car la filière céréalière est intégrée au niveau sous régional. Il faut un système de vase communicant si l’on veut aboutir à un certain équilibre.
On observe également un manque de professionnalisme des acteurs ; souvent une partie n’honore pas ses engagements dans un contrat.
GDS : Comment accroitre le poids des OP dans le commerce de céréales ?
MH : D’abord par le renforcement des capacités et l’organisation des producteurs. Il y a des initiatives intéressantes de mise en marché collective telles que Faso Jigi au Mali, ou le warrantage au Niger. Il faut accompagner ces mouvements et les consolider.
L’autre démarche, c’est en termes de plaidoyer au niveau sous régional. Le Roppa peut être un tremplin pour continuer un plaidoyer, de façon à lever toutes les contraintes qui pèsent au niveau sous régional, notamment les tracasseries routières.
Il faut aussi mettre en place un dispositif d’informations. Même s’il y a des initiatives, par exemple avec Afrique Verte, Fewsnet, les SIM au niveau de chaque pays, ou le projet ATP, l’information reste généralement insuffisante pour orienter les opérateurs céréaliers dans la sous région.
GDS : Est ce que les céréales locales répondent bien à l’évolution de la demande des consommateurs ?
MH : Bien sûr. Nous avons une chance formidable car la demande est forte concernant les céréales locales. On est loin de l’époque où l’on voyait les producteurs avec des céréales sur les bras et des stocks invendus. Aujourd’hui la demande est là. Au Mali, le riz local se vend bien. Il y a une demande solvable, depuis une dizaine d’années, même si le prix reste déterminant. Il reste à mieux structurer le marché pour que le paysan vive de sa production. La demande est également forte pour les produits transformés. Ils jouissent d’un véritable engouement dans les centres urbains, puisque personne n’a le temps de piler le mil.
GDS : Quelles sont les contraintes sur la transformation des céréales ?
MH : Il y a beaucoup de défis à relever. Jusqu’ici c’est une transformation qui reste au niveau des femmes, il y a peu d’usines semi industrielles. Il y a encore des problèmes de qualité, d’hygiène. La question des emballages se pose également pour des pays comme le Burkina et le Mali. On manque d’équipements adaptés, et de financements, pour acquérir la matière première et s’équiper.
Il y a aussi la volonté politique : pourquoi continue-t-on de consommer du coca ou des chips venant de l’extérieur dans les forums ?
Les OP gagneraient à plutôt s’orienter vers la contractualisation sur les opérations de transformation, en particulier pour le mil et le sorgho. Elles ne peuvent pas tout faire. Il est intéressant pour elles d’avoir des contrats pérennes et bien structurés avec les unités de transformation.
GDS : Est ce que la flambée des prix est une aubaine pour les producteurs ?
MH : C’est une aubaine pour les producteurs. Mais en même temps, le producteur reste aussi un consommateur. Il vend mais achète autre chose : le riziculteur vend le riz pour acheter du mil. Cela reste un problème entier : c’est vrai que la hausse des prix permet au paysan de vivre de sa production, c’est une opportunité à saisir ; mais il y a aussi la crainte que les consommateurs ne puissent pas suivre. L’État peut décider de faire des ventes subventionnées ou des distributions gratuites. Si l’équilibre n’est pas trouvé entre les producteurs et les consommateurs, on peut aboutir à des soulèvements. Quelle cohérence trouver dans les politiques ? Comment satisfaire les consommateurs au niveau social et favoriser la logique économique des producteurs (un prix correct) ? Les politiques sont souvent entre le marteau et l’enclume. L’équation n’est pas facile à résoudre.