Les choix de mécanisation agricole pour les pays d’Afrique soudanienne doivent être raisonnés en fonction des objectifs de réduction de la pénibilité du travail humain et d’augmentation de sa productivité, sans pour autant occasionner de chômage ni de dégâts environnementaux.
Dans les pays du Nord anciennement industrialisés, l’emploi de tracteurs et d’engins motorisés pour déplacer et actionner les machines agricoles est intervenu à un moment où les agriculteurs équipés de divers équipements attelés avaient déjà les moyens de manier et transporter les matières organiques (biomasse des champs transportés vers les bâtiments d’élevage, fumier produit dans ces derniers puis étendu sur les champs, même lointains), de façon à assurer la reproduction de la fertilité des sols, sans ne plus devoir nécessairement laisser leurs terrains en friche (« jachère »). Le recours aux instruments motorisés y a permis d’accroître la productivité du travail dans des proportions considérables, par suite de l’extension des superficies mises en valeur annuellement par actif agricole, de la hausse des productions rapportées à l’hectare, et de la rapidité avec laquelle ont pu être réalisées les opérations post-récolte (battage, décorticage, etc.). La moto-mécanisation des travaux agricoles s’y est traduite par une accélération de l’exode rural, du fait du remplacement des travailleurs par les nouvelles machines, et ces derniers ont alors tant bien que mal trouvé des emplois en ville à une époque où les pays du Nord réalisaient leur révolution industrielle.
Mais tel n’est pas souvent le cas dans les pays non industrialisés du Sud où le remplacement direct des agriculteurs travaillant à la main par des engins motorisés se traduit aujourd’hui surtout par un exode rural occasionnant un taux de chômage croissant dans des bidonvilles surpeuplés.
La traction animale : une option intéressante pour les pays du Sud.
Le passage d’une agriculture manuelle à des systèmes de culture ayant recours à la traction animale permet souvent au contraire d’accroître sensiblement les productions à l’hectare sans provoquer de déplacements prématurés de main-d’oeuvre.
Ainsi en a-t-il été récemment dans les régions du sud du Mali où grâce à l’emploi d’équipements attelés, les exploitants agricoles ont été en mesure de substituer progressivement leur ancien système d’agriculture sur abattis-brûlis par des systèmes de culture dans lesquels les parcelles régulièrement amendées avec des matières organiques peuvent être désormais cultivées tous les ans, sans perte apparente de fertilité, du moins pour les agriculteurs ayant un nombre de bovins suffisant pour fumer leurs terres.
Il y a à peine plus de quatre décennies, dans les régions cotonnières du sud du Mali, seuls les « champs de case » situés à proximité des villages et fertilisés par les déchets de cuisine et les excréments de petits ruminants pouvaient être cultivés tous les ans, sans jamais être laissés en friche (« jachère »). Les parcelles plus éloignées, qualifiées de « champs de brousse », ne pouvaient être cultivées, quant à elles, qu’épisodiquement, après abattis et brûlis du couvert ligneux, entre des périodes de friche relativement longues. Les désherbages constituaient alors la principale contrainte pour les paysans dotés strictement d’outils manuels. Mais grâce aux crédits d’équipement octroyés par la Compagnie malienne des textiles (CMDT) et gagés sur la production cotonnière, nombreux ont été les agriculteurs qui purent acquérir des animaux de trait et des outils de culture attelée avec pour effet d’associer plus étroitement agriculture et élevage.
Les labours à la charrue et les désherbages au sarclo-bineur (« houe attelée ») leur ont permis tout d’abord de lutter plus efficacement contre les herbes adventices. Mais le recours à des charrettes attelées pour transporter des quantités accrues de déjections animales depuis les parcs où les animaux sont regroupés toutes les nuits en hivernage vers les parcelles à cultiver leur a surtout permis ensuite d’augmenter sensiblement les quantités de fumure organique apportées à l’hectare. Cela a rendu possible la mise en culture annuelle de ces parcelles, sans période de friche. Grâce à ces apports de fumure organique en provenance des parcs nocturnes, les terrains qui peuvent être cultivés tous les ans ne se limitent plus seulement à de petits « champs de case », mais couvrent désormais des superficies bien plus étendues. Ces parcelles accueillent les plantes anciennement cultivées sur les « champs de brousse » après abattisbrûlis : le cotonnier, les céréales (maïs, sorgho, mil, etc.) et l’arachide.
La décision d’emblaver tous les ans les mêmes champs semble bien avoir relevé d’un choix délibéré. Les paysans y avaient intérêt pour accroître leurs productions à l’unité de surface, dans un contexte de fort accroissement démographique. Les rotations de culture en continu, grâce aux apports réguliers de matières organiques et d’intrants chimiques, sont très clairement celles dont les rendements, les valeurs ajoutées et les revenus moyens annuels à l’hectare, sont les plus élevés. La rotation biennale intensive cotonnier – maïs et celle du maïs en succession continue avec lui-même parvenaient ainsi en 2007 à fournir une valeur ajoutée à l’hectare de l’ordre de 170 000 FCFA; tandis que les rotations dans lesquelles, faute de fumure, les agriculteurs devaient laisser périodiquement les parcelles en « jachère », ne fournissaient qu’une valeur ajoutée de l’ordre de 40 000 FCFA à l’hectare.
Mais bien que plus intensifs en travail, ces systèmes de cultures dans lesquels les champs parviennent à être cultivés tous les ans sont aussi ceux dont la productivité du travail est supérieure : de 1 500 à 2 000 FCFA par jour au lieu de seulement 700 à 1 000. Les parcelles cultivées tous les ans sont en effet généralement moins distantes de l’habitat que les terrains soumis épisodiquement à l’abattis-brûlis et occasionnent donc de moindres déplacements. Les champs étant défrichés une fois pour toutes, les nouveaux systèmes de culture n’exigent plus, par ailleurs, de procéder annuellement à des abattis exigeants en travail. Enfin, la division plus stricte des finages villageois en zones de culture et aires de parcours allège la surveillance des troupeaux. C’est cet accroissement de la productivité du travail qui explique pourquoi les agriculteurs ont eu intérêt à passer aux cultures continues sans y être contraints par une crise écologique préalable. Du fait d’assurer aussi des revenus supérieurs à l’hectare, le recours à la traction animale et aux engins attelés ne s’est pas traduit pour autant par une expulsion de la force de travail paysanne.
La culture attelée : une option pour la préservation des arbres au champs, source de fertilité.
Un autre avantage de la culture attelée est d’avoir permis le maintien d’un parc de nérés et de karités au sein des aires cultivées, avec pour fonction d’assurer un revenu complémentaire aux familles tout en assurant une fertilisation organique des sols grâce à la chute de leurs feuilles. Il n’en a plus été de même lorsque des exploitants agricoles un peu plus fortunés ont commencé à vouloir labourer leurs terrains avec des charrues tirées au moyen de tracteurs. Le passage de ces derniers dans les champs est en effet rendu plus difficile lorsque les terrains restent « encombrés » de tels arbres ; et la tentation est grande de vouloir alors les déboiser entièrement, avec pour conséquence de les exposer plus directement aux agents d’érosion.
Mais plus grave encore, sans doute, a été le fait que ces travaux moto-mécanisés ont contribué surtout à réduire les besoins en travail à l’hectare sans pouvoir pour autant assurer d’autres sources de revenus à la main-d’oeuvre ainsi déplacée. On peut se demander quel intérêt présente réellement, du point de vue de l’intérêt général, un tel processus destiné avant tout à remplacer la main-d’oeuvre : les gains apparents de productivité réalisés par les seuls actifs agricoles restant dans les exploitations ne représentent pas en effet une réelle augmentation de productivité du travail à l’échelle de la nation toute entière, sachant que la main-d’oeuvre déplacée par la motomécanisation de l’agriculture ne trouve généralement pas d’emplois dans les autres secteurs d’activités.
Il importe en fait de raisonner le recours à la mécanisation avec pour objectif de réduire la pénibilité du travail humain et d’accroître sa productivité sans occasionner de chômage ni de dégâts environnementaux. En Afrique soudano-sahélienne, à l’inverse de la moto-mécanisation agricole, le recours à la traction animale et aux engins attelés permet bien souvent de rehausser conjointement les rendements à l’hectare et la productivité du travail par actif, sans expulsion de main-d’oeuvre, du moins tant qu’il reste encore des terres cultivables disponibles.
Des outils innovants en traction animale
L’association Promotion d’un machinisme moderne à traction animale (Prommata) est l’héritière directe de Jean Nolle, ingénieur et agriculteur picard qui a inventé des outils de traction animale pour ceux qu’il appelait « les petits paysans oubliés ». Ayant travaillé de nombreuses années pour diverses organisations internationales (dont la FAO), Jean Nolle avait fait le constat que les outils proposés aux petits producteurs des pays du Sud n’étaient pas adaptés à leurs besoins, car peu maniables et nécessitant l’importation de matières premières coûteuses.
Depuis 2002, Prommata intervient sur différents projets de développement agricole en Algérie, au Burkina Faso, au Niger et à Madagascar.
Les outils mis au point sont simples et complémentaires : ce sont des porte-outils sur lesquels il est possible d’interchanger divers outils. Ce système, nommé Mamata (Machinisme agricole moderne à traction animale) peut s’adapter à tous les animaux de trait, tous les types de terrain et conditions climatiques. Le matériel est mis au point en fonction des besoins réels des petits agriculteurs d’une zone donnée et selon 3 principes : la polyvalence, la standardisation, l’autoconstructibilité.
Prommata fait la promotion de la Kassine, un porte-outil destiné aux petits paysans du Sud et adaptable aux petits animaux de trait. Sa légèreté, sa souplesse et son adaptabilité font que la Kassine est particulièrement efficace avec les ânes, animaux de trait des paysans les plus pauvres.
Parmi les porte-outils créés par Jean Nolle, la houe sine est le plus répandu en zones sahéliennes. Ce porte-outils est utilisé principalement pour le travail du sol à la dent sur sol léger, le sarclage et le sarclobinage. Il peut être attelé aussi bien à un âne, un cheval, ou une paire de boeufs, auxquels il est relié par des chaînes ou des cordes. Cette houe est très répandue au Sénégal (plus de 150 000).
Pour plus d’informations : http://www.prommata.org
Retrouvez également une vidéo de présentation de la kassine: http://www.agoravox.tv/actualites/technologies/article/la-kassine-26954