Au Bénin et en particulier à Zogbodomè, beaucoup délaissent la production de coton au profit de celle de soja, plus rentable. L’Union communale des producteurs de Zogbodomè s’est lancée dans l’appui à cette culture à travers l’octroi de crédits à ses membres et la vente groupée de leur production grâce à un contrat avec un industriel.
Dans le département du Zou, au centre du Bénin, l’Union communale des producteurs de Zogbodomè (UCPZ) a entrepris depuis 2007 un processus de mise en marché collective de produits agricoles. L’union a ciblé le soja dans cette démarche en raison de deux importants marchés potentiels d’écoulement de ce produit : deux industries de production d’huiles végétales (à Zogbodomè et dans la commune voisine de Bohicon) ayant une capacité totale de transformation d’environ 1 000 000 de tonnes par an, et des femmes transformatrices de soja en fromages et autres produits dérivés.
La première opération de mise en marché collective, menée en 2007-2008, n’a pas été une réussite : sur la base d’un objectif contractuel de 100 tonnes à livrer à un industriel, l’UCPZ n’a pu livrer que 10 tonnes. En effet, les producteurs n’ont pas respecté leurs engagements car beaucoup étaient contraints de rembourser en nature les usuriers et collecteurs de produits agricoles qui avaient préfinancé leur campagne. Pour lever cette contrainte, l’UCPZ a décidé de pré-financer partiellement ses producteurs à travers des crédits intrants pour la campagne 2008-2009, ainsi que des crédits pour les frais de campagne en 2009-2010. Cette action a permis d’augmenter de façon substantielle la quantité de soja vendue via l’organisation, à la grande satisfaction du client.
Des contraintes au niveau des semences et de la mise en marché du soja.
À Zogbodomè, le coton occupait il y a quelques années une place très importante. Mais aujourd’hui le contexte n’est plus favorable à cette culture : les prix s’effondrent sur le marché international, les producteurs sont payés avec des retards. Dans la vague de restructuration au sein du réseau Fupro, l’UCPZ s’est engagée dans un processus de diversification des productions et d’offres de services économiques à ses membres. Ainsi elle a identifié plusieurs contraintes dans la filière soja locale :
- Un approvisionnement difficile en semences au moment opportun : pour se procurer des semences de soja, les producteurs sont parfois obligés de parcourir de longues distances. Ces déplacements, parfois infructueux, rendent difficiles les planifications des producteurs et obligent à des semis tardifs, ce qui provoque des baisses de rendement ;
- Une faible disponibilité des semences de qualité : les semences livrées et achetées ne sont pas toujours certifiées et produites par des spécialistes. Il s’agit parfois de réserves sur des productions ordinaires : il s’ensuit de faibles taux de germination, une maîtrise difficile du cycle de la variété et des rendements faibles ;
- Une mise en marché du produit « hasardeuse » : la plupart des producteurs de soja ont des difficultés à trouver des acheteurs offrant des prix suffisamment rémunérateurs, ou utilisent une grande partie de leur production pour rembourser les crédits de campagne qui leur sont octroyés par des usuriers. Ces crédits sont parfois remboursés à des taux d’intérêt de 100%, du fait des techniques de remboursement en nature pratiquées. Le soja est cédé au prix le plus bas de la campagne, sans aucune marge de négociation possible de la part des producteurs.
Les stratégies mises en oeuvre par l’UCPZ.
L’UCPZ a mis en place un certain nombre de stratégies pour tenter de partiellement libérer ses membres de l’emprise des usuriers et des collecteurs. C’est ainsi que, grâce aux appuis du Programme d’appui à la diversification des filières agricoles (PADFA) et du Centre communal pour la promotion agricole (CeCPA), l’UCPZ a sélectionné 10 producteurs pour produire localement des semences de soja, et ainsi réduire la dépendance de la Commune de Zogbodomè vis-à-vis de l’extérieur pour l’approvisionnement en semences de qualité. Chaque producteur semencier dispose en moyenne d’un hectare pour produire des semences de soja. Cette opération a permis à l’UCPZ de disposer d’un stock de 9 tonnes de semences à la fin de la campagne 2008-2009 ; cette quantité permettra d’emblaver environ 450 ha. L’opération devrait se poursuivre et être renforcée dans les années à venir pour rendre la commune entièrement autonome en semence de soja, la quantité produite cette année ne représentant en effet que 15% de la demande locale.
Les semences sont ensuite fournies par l’UCPZ à crédit aux producteurs en début de campagne. Les producteurs remboursent l’UCPZ en « équivalent poids » au moment de la récolte. Les semences sont ainsi indirectement subventionnées, car le remboursement en nature n’a pas la même valeur marchande que les semences initialement fournies. En 2008-2009, environ 6 000 producteurs ont bénéficié de semences à crédit. Les frais de distribution sont pris en charge par les producteurs (ils sont fonction de la quantité fournie et de l’éloignement des villages).
Les crédits intrants sont octroyés aux producteurs progressivement : la première année, un producteur ne peut bénéficier que d’un crédit semences ; si le remboursement se passe bien, l’UCPZ peut lui octroyer à partir de la campagne suivante un crédit intrants (2 sacs d’engrais par hectare) et un crédit de campagne pour les frais d’entretien de la culture et de récolte (maximum de 40 000 FCFA/ha).
La mise en marché du soja est collective, à travers un contrat avec un industriel. L’UCPZ et l’industriel s’accordent en début de campagne sur un prix plancher de vente du soja. Les termes de l’accord sont signés par les deux parties. Ce prix plancher était de 150 FCFA/kg pour la campagne 2008-2009 (145 FCFA/kg payés au producteur et 5 FCFA/kg prélevés pour les frais de fonctionnement de l’union). Le prix de vente est ensuite renégocié en cours de campagne, à la hausse, entre l’UCPZ et l’industriel. Il est censé être supérieur à celui des usuriers. En 2008-2009, l’industriel a renégocié le prix à 155 FCFA/kg.
Au moment de la récolte, l’UCPZ met en place un comité en charge de la pré-collecte du soja dans les 77 villages de la commune, puis évacue les productions vers l’usine.
L’UCPZ implique fortement les autorités locales dans le processus. Cela permet, entre autres, de dispenser de taxes locales les véhicules transportant le soja.
Des résultats encore mitigés mais encourageants.
Au cours de la campagne 2008-2009, les surfaces emblavées en soja ont augmenté de façon spectaculaire : 3 280 hectares contre 300 hectares prévus par l’UCPZ en début de campagne (sur la base des semences livrées par l’union). Les producteurs se sont montrés enthousiastes par le fait que le paiement du soja soit comptant, et qu’ils soient impliqués dans tout le processus (fixation du prix, contrôle de qualité, pesée et livraison à l’usine). Ils ont délaissé le coton, au profit du soja plus rentable. Si les livraisons de l’UCPZ à l’industriel ont augmenté de 400% entre les deux dernières campagnes, le contrat avec l’industriel n’a toutefois pas pu être complètement honoré. En effet, afin de ne pas perdre leur marché, les usuriers ont volontairement augmenté leurs prix de 5 à 10 FCFA/ kg au dessus du prix négocié avec l’industriel et se sont hâtés d’acheter le soja aux producteurs, pour le revendre aux fabricants d’aliments pour animaux des grands centres urbains. L’UCPZ n’a donc pu livrer à l’industriel que 60% des 300 tonnes initialement prévues. Il faut noter que cette hausse des prix par les usuriers a tout de même participé à l’amélioration des revenus des producteurs. Mais les usuriers ne pesant pas les productions achetées bord champs (à la différence de l’UCPZ pour la vente à l’industriel), il n’est toutefois pas exclu qu’il y ait eu des tromperies de la part des usuriers sur le poids des sacs…
Par contre, plus de 90% des crédits octroyés via l’UCPZ ont été remboursés. La forte implication de l’industriel à tous les stades de l’opération a permis de nouer un partenariat durable, malgré les difficultés rencontrées.
Par ailleurs, avec cette nouvelle approche, l’UCPZ commence à disposer de statistiques précises sur la production (surfaces, quantités de semences, nombre de producteurs, rendements, etc.), ce qui constitue un véritable outil de planification et de décision.
La mise en place du crédit et l’organisation de la vente groupée ont permis de générer des ressources internes pour le fonctionnement de l’union (environ 350 000 FCFA, soit 27% des salaires).
Cette expérience montre que l’organisation des producteurs peut avoir un impact sur les négociations des prix des produits agricoles. Par ailleurs, l’offre de services économiques permet à l’organisation de générer des ressources internes indispensables à son fonctionnement. Enfin, la fidélisation des producteurs à la vente groupée passe par un contrat soutenu et par un crédit en début de campagne.
L’UCPZ ne compte pas s’arrêter là. Son objectif pour les années à venir : pré-financer les charges de production de 500 producteurs avec écoulement de la totalité de leur production via le système de vente groupée mis en place. Une expérience à suivre !