Grain de sel : Pouvez vous présenter la plateformepanafricaine des organisations paysannes ?
Mamadou Cissokho : La Plateforme panafricaine des organisations paysannes n’existe pas encore officiellement, elle est en cours de création. Elle fait suite au processus de structuration des organisations paysannes (OP) en Afrique, qui a débuté avec la naissance du Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa) et d’autres réseaux dans les régions africaines — la Fédération des agriculteurs est africains (EAFF), la Plateforme sous-régionale des organisations paysannes d’Afrique Centrale (Propac), la Confédération des syndicats agricoles d’Afrique Australe (Sacau) et l’Union maghrébine des agriculteurs (Umagri).
Quand les chefs d’État ont lancé le Nepad (le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, avec l’intégration d’un volet agriculture, le Cadep), le Roppa s’est mobilisé afin que les réseaux régionaux d’OP puissent être impliqués dans ce programme. Avec l’appui du Fida, les leaders des 4 OP régionales subsahariennes ont ainsi pu, pour la première fois, travailler ensemble sur ce programme.
Nous nous sommes également mobilisés ensemble sur les négociations des APE : chaque région a conduit une étude sur l’impact potentiel des APE, puis nous avons fait une synthèse et des recommandations. Nous ne sommes pas opposés à un partenariat avec l’Europe, mais la manière dont le projet était conçu ne nous convenait pas. La partie est très déséquilibrée : d’un côté l’Europe, unie, avec des dizaines d’années de structuration économique et de politique agricole commune, et un projet d’ouverture de son marché régional très fluide ; de l’autre des régions comme l’Afrique de l’Ouest, qui vient d’établir sa politique agricole et qui commence juste à construire son marché régional, à qui l’on demande d’ouvrir son marché en quelques années ! Réunis à Addis Abeba en 2008, les leaders des 4 réseaux régionaux d’OP au Sud du Sahara ont décidé de mettre en oeuvre un processus devant aboutir à la construction d’un réseau continental. Il a fallu pour cela être solidaires, dépasser les divergences pour se concentrer sur les questions qui touchent à nos métiers d’agriculteurs, de pêcheurs et d’éleveurs. J’ai été désigné facilitateur pour la construction de cette plateforme, et l’une de mes tâches principales a été de rallier l’Umagri à notre cause. Elle s’est finalement jointe à nous comme futur membre fondateur.
La plateforme panafricaine des paysans souhaite être une interface au sein de l’Union Africaine : il existe déjà des réseaux continentaux de syndicats, d’ONG, de femmes, mais pas encore de plateforme paysanne continentale. Nous espérons aboutir à la création officielle de cette plateforme d’ici mars avril 2010.
GDS : Quelles sont actuellement les activités de la plateforme ?
MC : Pour avancer ensemble, nous travaillons sur des sujets importants à l’occasion de forums continentaux, portés chacun par une région. L’Afrique de l’Est a déjà organisé un forum sur la compréhension du Cadep l’an dernier au Rwanda. Le Roppa, accompagné du Cilss, de la Cedeao et de la FAO, a prévu d’organiser en novembre ou décembre un forum sur la souveraineté alimentaire portée par l’agriculture familiale dans le contexte du changement climatique. Les représentants des différentes régions y seront invités. L’Afrique centrale a proposé l’accès au financement de l’agriculture familiale, et au niveau du Maghreb, une proposition sur l’entreprenariat des femmes a été faite.
Parallèlement, nous restons ensemble dans tous les débats : la mobilisation sur les APE n’est pas terminée et, en ce qui concerne les négociations à l’OMC, les réseaux iront ensemble porter leur voix lors de la prochaine rencontre prévue en novembre.
GDS : Qu’est-ce qui fédère ces différents réseaux au niveau continental ?
MC : Globalement, nous sommes d’accord sur le fait que nous devons pouvoir vivre de nos métiers et que pour cela nous devons avoir des prix rémunérateurs dans la durée. Sur ce point, tous les paysans du monde sont unanimes. Tout le monde reconnaît aussi l’importance de l’agriculture familiale, car dans la majeur partie de l’Afrique, ce sont des familles qui produisent.
Nous nous posons la question de savoir quelle devra être l’agriculture africaine de demain. L’Afrique est un continent de petites agricultures familiales, attachées à produire une bonne partie de son alimentation, mais qui apporte aussi, dans une région comme l’Afrique de l’Ouest, 33 % du PIB régional : on ne peut donc pas la mettre au rebut…
Nous sommes également d’accord et fiers de fournir nos régions en produits alimentaires, mais aussi d’exporter. Pour cela nous pensons que le marché ne s’écrit pas au singulier mais au pluriel. Exporter ne signifie par uniquement expédier des produits vers l’Europe, les États-Unis ou la Chine : quand le Sénégal envoie des produits au Ghana, c’est déjà de l’exportation. Nous pensons enfin qu’il y a en Afrique d’importantes pistes de marchés à structurer : les marchés doivent être construits avec des mécanismes, des règles sur la circulation des produits, leur qualité. Nous avons déjà fait des demandes à ce sujet aux autorités.
Il est cependant difficile de trouver des accords à 100 % sur tous les sujets. Cela dit, il n’y a pas de réelles divergences entre les réseaux, mais plutôt des réalités et des intérêts différents.
Dans la construction continentale, nous sommes dans un processus fondé sur la solidarité dans l’autonomie (principe de subsidiarité). À l’échelle continentale, il est évidemment impossible de traiter toutes les questions : certaines relèvent du niveau local ou national, et il est important de respecter l’autonomie des pays, pour ne se focaliser que sur les questions transversales concernant tous les pays, comme les négociations à l’OMC, ou encore le taux élevé des crédits, le coût de l’énergie, le transport, les infrastructures…
Si nous arrivons à nous battre ensemble pour régler ces problèmes majeurs, le reste sera du détail. Nos partenaires doivent aussi comprendre qu’il faut qu’ils travaillent au renforcement de ces processus, qu’aujourd’hui la structuration aux niveaux national, régional et continental est un enjeu primordial pour les paysans.