La décision d’étendre le Tarif Extérieur Commun (Tec) de l’Union économique monétaire ouest africain (Uemoa) aux États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao B) a été prise par les Chefs d’États et de Gouvernements de la Cedeao le 12 janvier 2006.
La définition d’une protection tarifaire commune aux frontières de l’espace Cedeao est une étape importante de l’approfondissement du processus d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest. La région dispose du potentiel de production lui permettant de nourrir sa population actuelle et d’assurer la sécurité d’approvisionnement d’une population estimée à plus de 400 millions de personnes en 2020. C’est le pari qu’elle a fait en adoptant en 2005 une politique agricole commune, l’Ecowap.
Pour atteindre cet objectif, le Tec doit contribuer à la création d’un environnement suffisamment stable et porteur qui garantisse la rentabilité des investissements, notamment dans les secteurs agricoles et agro-alimentaires, via des droits de douane suffisants, liés aux spécificités des différents produits et à leur compétitivité. L’enjeu est de limiter les importations extrarégionales de produits agroalimentaires, qui représentent encore aujourd’hui 85 à 90 % des importations de la région de ces mêmes produits, et de développer les échanges intra régionaux.
Du Tec de l’Uemoa au Tec de la Cedeao.
Lors de son adoption, le Tec de la Cedeao était basé sur le Tec de l’Uemoa. Les mêmes quatre « bandes » ou catégories de produits, auxquelles correspondent des niveaux de droits de douane s’échelonnant de 0 à 20 %, sont reprises, de même que les deux critères principaux utilisés pour ventiler les différents produits dans ces quatre catégories (cf. encadré n°1).
Et pourtant, après presque dix ans de mise en oeuvre du Tec de l’Uemoa, cette logique a montré ses limites et le besoin s’est fait sentir de revoir la protection de certains secteurs stratégiques pour le développement régional, en articulation avec les politiques sectorielles telles que l’Ecowap. Quelles sont donc les marges de manoeuvre ?
Dans cette perspective, trois principaux chantiers sont en cours: i) le changement de catégorie de certains produits, ii) l’ajout d’une catégorie supérieure, ou 5¨ bande, aux quatre catégories reprises du Tec de l’Uemoa et iii) la définition d’outils complémentaires de protection, en tirant les leçons du dispositif mis en oeuvre pour accompagner le Tec Uemoa.
Colmater les brèches avec la recatégorisation de certains produits ?
Dès l’adoption du Tec Cedeao, une marge de manoeuvre a été ménagée pour les États de la Cedeao non membres de l’Uemoa, en leur laissant la possibilité de demander des changements de catégorie et donc de droits de douane, pour un certain nombre de produits.
L’idée était de permettre aux États de la Cedeao, qui appliquaient des taux de droits de douane sensiblement différents de ceux prévus par le Tec de l’Uemoa, de mettre en place, pour leurs produits stratégiques, une politique tarifaire davantage conforme à leurs réalités et priorités socio-économiques. Deux listes d’exceptions ont été établies. Les exceptions de « type A » concernaient des produits pour lesquels les pays s’engageaient — à l’issue d’une période de transition de deux ans C — à appliquer le tarif commun. Les exceptions de « type B » concernaient les produits qui feraient l’objet d’une négociation ultérieure sur le niveau des droits de douane. Cette catégorie incluait des demandes de reclassement au sein des quatre bandes tarifaires et des demandes de création d’un niveau de tarif supérieur au plafond de 20 %.
Le riz et les produits de l’élevage permettent d’illustrer la complexité et la difficulté de ces négociations. Aujourd’hui taxé à 10 % (qu’il soit entier ou sous forme de brisures), le riz continue de diviser : certains États, davantage sensibles aux enjeux de moyen terme de promotion de leur filière, demandent un réarmement tarifaire ; d’autres, plus réticents car davantage dépendants des importations ou sensibles aux intérêts à court terme de leurs consommateurs urbains, plaident pour le statu quo ou demandent un désarmement tarifaire pour un bien qu’ils considèrent social par excellence. Parmi les produits de l’élevage, le reclassement à la hausse de la poudre de lait, demandé par certaines organisations professionnelles d’éleveurs (OPE) continue de faire débat (cf. encadré n°2).
La « 5ième bande » : avoir le courage d’envisager le moyen terme.
La décision de créer une cinquième bande au taux de 35 % est intervenue début 2009, soit trois ans après la décision portant adoption du Tec Cedeao. Cette 5ième bande offre la possibilité de revenir sur le niveau de protection de certains produits pour lesquels le Tec de l’Uemoa s’est avéré insuffisant.
C’est le Nigeria qui a proposé de créer une 5ième bande à 50 % car il souhaite protéger son tissu agro-industriel et industriel, mais il a finalement accepté de transiger pour une 5ième bande à 35 %, après d’âpres discussions avec certains autres États de la Cedeao. En février 2009, l’Uemoa et la Cedeao ont tenté de préciser les contours et le contenu de cette 5ième bande. L’objectif de protection des produits à fort potentiel de production locale a été retenu pour guider le choix des produits à inclure dans la cinquième bande du Tec Cedeao. Aussi, cinq critères d’éligibilité ont été proposés : i) la vulnérabilité du produit ; ii) la diversification économique ; iii) l’intégration régionale ; iv) la promotion du secteur et v) le fort potentiel de production.
Sur cette base, une première ébauche de liste régionale a été établie et un consensus provisoire a été trouvé. À ce stade, le besoin s’est fait sentir d’établir un cadre de référence régional pour le choix des produits éligibles à la 5ième bande et pour guider les arbitrages nationaux et régionaux.
Le dispositif complémentaire de protection.
Le 3ième chantier renvoie à la mise en place d’outils complémentaires aux droits de douane. L’enjeu est de pallier, au niveau de la Cedeao, les limites des outils complémentaires de protection définis au niveau de l’Uemoa (taxe conjoncturelle à l’importation, taxe dégressive de protection, valeurs de référence). Le Comité conjoint de gestion du Tec Cedeao précise qu’il s’agit « d’explorer les voies et moyens pour la mise en place d’instruments plus adaptés aux réalités de la région (…) », en proposant des outils complémentaires aux droits de douane ad valorem, qui se sont avérés inefficaces pour protéger certaines filières régionales, comme la filière avicole (cf. encadré n°3). Il s’agira notamment de réguler les prix d’importation pour permette à la région de réagir rapidement aux évolutions, à la baisse comme à la hausse, des cours mondiaux des denrées de base et éviter des impacts négatifs pour les producteurs, les transformateurs ou les consommateurs.
Les perspectives.
La prochaine étape clé du processus est bien la définition de la liste régionale de produits à inclure dans la 5ième bande et la reclassification de certains produits au sein des autres bandes.
À ce titre, la définition d’un référentiel commun pour l’élaboration de la liste de produits éligibles à la 5ième bande est une étape fondamentale pour asseoir une concertation fondée sur l’intérêt régional, avec les différents acteurs concernés. S’inspirer de l’approche développée pour déterminer la liste régionale de produits sensibles dans le cadre de l’APE en discussion avec l’UE, permettrait de renforcer la cohérence entre ces deux négociations menées en parallèle.
Mais au-delà des enjeux liés à la définition d’une approche commune, la 5ième bande place les États de la sous région face à des choix politiques forts. En modifiant le droit de douane sur certains produits, c’est le curseur entre les intérêts du monde rural et ceux des consommateurs urbains qu’il s’agit de repositionner, dans un contexte politique délicat. Les gouvernements d’Afrique de l’Ouest retrouvent un peu de répit suite à la crise récente des prix des denrées alimentaires de base, qui a fortement éprouvé les populations, notamment urbaines. Cette crise, qu’on n’ose pas encore penser durablement derrière soi, laisse une situation quelque peu paradoxale. Elle a certes provoqué une prise de conscience chez les dirigeants politiques d’Afrique de l’Ouest de l’enjeu de reconquérir leur souveraineté alimentaire. Mais lorsqu’il s’agit de revoir à la hausse les niveaux de droits de douane pour certains produits pour mettre en cohérence la politique commerciale avec les politiques sectorielles, on hésite à franchir le pas.
Encadré n°1 : Les fondements du Tec de l’Uemoa
Le Tec Uemoa, entré en vigueur en 2000, comporte quatre bandes, dont les taux de droit de douane correspondant sont de 0 %, 5 %, 10 % et 20 %.
Deux critères fondamentaux ont été utilisés pour le classement dans les différentes bandes : le niveau de transformation et la nature sociale des différents produits. En taxant davantage les produits transformés, l’Uemoa souhaite encourager et protéger les activités de transformation et de création de valeur ajoutée dans l’espace communautaire. Par contre, si le produit est un bien social (médicaments, livres, etc.), il est exempt de droits de douanes. De même, les biens de première nécessité sont faiblement taxés, à l’image des matières premières de base qui servent d’intrants aux industries régionales, des biens d’équipement ou des produits de grande consommation comme le lait en poudre ou les céréales (mil, sorgho, maïs).
Encadré n°2 : La révision de la taxation de la poudre de lait : la question de la poule ou de l’oeuf…
L’augmentation de la taxation de la poudre de lait (droit de douane de 5 % actuellement), demandée par certaines organisations d’éleveurs, est une question épineuse qui continue de faire débat. Elle constituerait un signal politique fort en faveur des investissements dans la filière lait local. Mais son effet sur le développement de la production et de la transformation du lait local, et donc sur les revenus des producteurs pauvres, est conditionné par la levée des contraintes en amont de la filière, notamment au niveau de la collecte. Par ailleurs, l’impact sur la création de valeur ajoutée serait mitigé puisqu’une partie non négligeable de la création de valeur se fait aujourd’hui via la transformation de la poudre de lait importée, y compris parfois pour les petites unités de transformation en milieu rural. Mais surtout, l’effet sur le pouvoir d’achat des consommateurs urbains serait négatif, au moins à court terme, le temps que la filière locale gagne en compétitivité.
Encadré n°3 : Quelles mesures pour consolider les progrès de la filière avicole régionale ?
Les produits de la filière avicole sont très vulnérables à la concurrence des importations. L’ensemble des produits de la filière viande de volaille sont taxés à 20 % dans le cadre du Tec Uemoa. Tous les produits de la filière viande de volaille figurent dans la liste régionale de produits sensibles APE.
La filière avicole locale a récemment bénéficié d’une protection sanitaire avec un embargo mis en place sur les volailles importées, dans la plupart des pays membres du l’Uemoa, suite à la crise de la grippe aviaire. Cet embargo est encore en vigueur aujourd’hui au Sénégal. La filière nationale a ainsi pu se relever, après avoir connu une crise aiguë au début de la décennie face à la concurrence des importations de l’Union européenne (bas morceaux vendus en dumping) et du Brésil. La taxation appliquée dans le cadre du Tec Uemoa s’était alors révélée insuffisante pour protéger la filière.
Compte tenu du faible prix des importations des découpes de volaille et soucieux de ne pas brusquement déprotéger la filière avec la levée des embargos sanitaires, certains pays de la sous région ont choisi d’appliquer une taxe fixe de 1 000 FCFA/kg, bien que non conforme à leurs engagements au titre de l’OMC. La généralisation de cette mesure à l’ensemble des pays de l’Uemoa est actuellement à l’étude.