De nombreux ouvrages et colloques traitent des problèmes cruciaux de l’alimentation de la population mondiale, de la nécessité de consacrer plus d’attention à cet enjeu majeur et donc de faire du développement agricole une priorité, en particulier en Afrique. Un point de vue sur ce sujet pour continuer ce débat…
L’afrique subsaharienne est la région du monde où la part de la population agricole est, en proportion, la plus importante (près des deux tiers), mais où la ration alimentaire par personne est la plus faible en calories (2392 kcalories/j/hab, alors que les pays de l’OCDE sont à 3900 kcalories/j/hab) ainsi qu’en protides et en lipides. C’est aussi la région où la population devrait augmenter le plus fortement, passant de 700 millions en 2003 à 1,6 milliard en 2050. Pour faire face à la fois à cette augmentation de population et à une amélioration de la ration alimentaire à un niveau correct de 3000 kcalories/j/hab, la production agricole devrait être triplée d’ici à 2050. Alors que les leaders paysans africains militent pour conquérir leur souveraineté alimentaire, des travaux de prospective mettent en doute la capacité des agricultures subsahariennes à mieux nourrir leur population dans les prochaines décennies.
Ainsi deux scénarios ont été élaborés par la prospective Agrimonde, conduite par le Cirad et l’Inra. Dans un premier scénario, la croissance économique est privilégiée aux dépens de l’environnement et, dans un deuxième scénario la recherche d’un développement durable (utilisation de moins d’engrais que dans le premier) et d’une diminution des pertes le long de la chaîne alimentaire de la récolte à la consommation sont mises en avant.
Dans les deux hypothèses, l’Afrique subsaharienne en 2050 serait en déficit alimentaire, mais de façon plus importante dans le deuxième scénario.
Par rapport aux autres régions du monde, l’Afrique subsaharienne, comme l’Amérique latine, se caractérise par des surfaces cultivables importantes encore disponibles et par des surfaces irriguées faibles.
Agrimonde estime, en 2000, les surfaces cultivées en Afrique subsaharienne à 202 millions d’hectares et la FAO évalue à 22% la part des surfaces cultivées par rapport aux surfaces cultivables ; une bonne part de ces surfaces cultivables actuellement non cultivées sont fragiles et doivent être protégées. Les rendements en équivalent blé, pour comparer les calories disponibles par hectare, sont estimés à 1 tonne en Afrique subsaharienne, soit trois fois moins que ceux des régions du monde les plus productives (ces dernières étant souvent près d’atteindre un seuil difficile à dépasser sans remise en cause des équilibres d’écosystèmes déjà mis à mal dans trop de cas).
En Afrique subsaharienne, malgré des zones excédentaires en produits vivriers et malgré le dynamisme des agricultures périurbaines, la balance commerciale des produits agricoles pour l’alimentation est déficitaire pour des produits essentiels comme les céréales, l’huile, le poisson, la viande d’animaux à cycle court et le lait. Si la balance commerciale entre importations et exportations de produits agroalimentaires est légèrement excédentaire, cette région s’adapte difficilement à la demande urbaine de produits plus faciles à cuisiner et peine pour augmenter les échanges régionaux.
La question qui est posée, après les émeutes de la faim de 2008, est celle du risque de nouvelles crises alimentaires et de l’augmentation de la part des africains mal nourris du fait de l’augmentation rapide de la population et de la stagnation de la production, en particulier au niveau des rendements en céréales et tubercules. Ceci est d’autant plus inquiétant que la crise économique en cours, les menaces de crise climatique, la dégradation de certains écosystèmes surexploités et le manque d’intérêt de trop de responsables politiques confortent actuellement les prévisions pessimistes concernant l’Afrique subsaharienne. Comment sortir du pénible contraste entre les multiples beaux discours sur la nécessité de promouvoir les agricultures africaines et la faiblesse des résultats des actions engagées pour y parvenir ?
Dans cette région où le potentiel d’augmentation de production est important, il s’agit de maîtriser l’utilisation d’une abondante énergie solaire, d’une eau à la disponibilité aléatoire et de sols souvent difficiles à cultiver. Ce ne sont pas les solutions techniques qui manquent, allant de l’emploi de plus d’engrais à la mise en place de nouveaux systèmes de production agro écologiques ; ce sont les conditions de leur mise au point et de leur mise en oeuvre qui doivent être réunies.
Comment appuyer les agricultures familiales subsahariennes ? Comment promouvoir en leur sein le capital humain disponible, sachant que celui-ci est actuellement gaspillé faute de mise à disposition de possibilités de formation et d’innovation, et d’un environnement social, économique et réglementaire favorable ?
Ceci ne nécessite-t-il pas avant tout une volonté politique africaine forte, et pas seulement au niveau gouvernemental, pour promouvoir des politiques publiques réellement concertées, nationales et régionales ? Les priorités ne doivent-elles pas être choisies avec les organisations agricoles, mais aussi avec les autres acteurs, dont les consommateurs urbains ? La « ténacité » ne doit-elle pas être le maître mot pour permettre que les modalités mises au point avec les acteurs concernés soient ensuite appliquées dans la durée ?
Même en cas d’augmentation substantielle de la production vivrière de l’Afrique subsaharienne, au vu de la diversité des situations et des aléas multiples, les échanges agricoles seront toujours nécessaires entre zones excédentaires et déficitaires régionales. L’enjeu est la régulation de ces échanges en période de prix bas comme élevés ; ceci nécessite de mettre en place des mécanismes de stabilisation des prix, de stockage et de protection, à envisager à différentes échelles, mais en priorité au niveau régional.
D’après tous les prévisionnistes, il est illusoire de compter sur de fortes augmentations des prix agricoles en Afrique subsaharienne, vu la pauvreté des populations urbaines, pour permettre aux agriculteurs familiaux d’investir sur leurs exploitations. Ceci renvoie à la nécessité de transferts financiers en leur faveur et d’investissements publics pour améliorer leur environnement économique et social, à l’exemple de ce qui a été fait et est encore fait dans le cadre des pays de l’OCDE. Le débat porte sur la nature et les montants de ces transferts, sur leur origine, sur la maîtrise de leur mise en place, sur leurs conditions et sur leur compatibilité avec les doctrines libérales actuellement dominantes. Pour sortir de ces débats par le haut, un rôle majeur revient aux responsables africains qui doivent créer un climat de confiance vis à vis de ceux qui les soutiennent financièrement, mais aussi et surtout vis à vis de leurs mandants en rendant crédible leurs politiques et leurs projets.