Au Burkina Faso, les ressources énergétiques sont rares, et l’énergie importée coûte cher du fait de l’enclavement du pays. Dans ce contexte, le développement de la culture d’agrocarburants ne pourrait-elle pas être un levier pour le développement du pays et de son agriculture ?
Le renchérissement de l’énergie fossile entraîne, pour les populations du Sud, une perte de compétitivité ainsi qu’une augmentation du coût de la vie. Soucieux de sa dépendance énergétique et de l’augmentation de sa facture pétrolière, le Burkina Faso s’intéresse aux agrocarburants comme source renouvelable d’énergie susceptible de remplacer les dérivés du pétrole. Mais les controverses sont nombreuses et méritent réflexion pour ne pas céder à la polémique qu’inspire le manque de connaissances sur le sujet : elles concernent les impacts écologiques, les effets sur la sécurité alimentaire via l’usage des sols et le prix des produits alimentaires, les politiques publiques d’accompagnement, et l’identité des bénéficiaires de l’essor de ces énergies alternatives.
Une étude réalisée en 2008 par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2IE) et le bureau d’études Initiatives conseil international (ICI), en aide à la décision du gouvernement burkinabè, sur financement de la GTZ/KFW, a montré que les avantages et les risques que représentent les agrocarburants doivent être examinés au cas par cas. Ils dépendent notamment du type de matière première, du schéma d’organisation des filières, du mode d’utilisation de l’énergie produite et des marchés ciblés.
Le pétrole, une source d’énergie coûteuse.
Le Burkina Faso se caractérise par une forte carence en ressources énergétiques : ni pétrole ni charbon, des potentialités réduites en hydroélectricité, des ressources solaires peu exploitées et un potentiel en combustibles ligneux endommagé. La consommation annuelle moyenne par habitant, correspondant à 2,5 stères de bois ou 275 litres de super, met en exergue la pauvreté du pays en énergie, dont le coût est prohibitif pour le développement industriel au niveau national et local. Les prix à la pompe ont augmenté de plus de 60% en 10 ans, et le coût moyen de production de l’électricité de plus de 40% en 4 ans. Ceci rend l’énergie inabordable pour une majorité de la population. En outre, les produits pétroliers à l’entrée au Burkina Faso subissent un surcoût d’environ 50% (transport et stockage), lié à l’enclavement du pays.
Cette situation rend la perspective d’utiliser des agrocarburants attractive pour alléger la facture énergétique nationale, baisser les coûts de production qui limitent le développement économique du pays, et développer des sources d’énergie en milieu rural.
Une rencontre entre innovation technique et potentialités agronomiques.
Différents types d’agrocarburants peuvent être produits au Burkina Faso. Néanmoins, la production d’huiles végétales brutes (HVB) à partir de plantes oléagineuses présente de nombreux avantages (technologie simple, accessible à toutes les échelles). Il est actuellement plus difficile d’y produire du biodiesel (procédé industriel non mature pour une estérification éthanolique) ou du bioéthanol (besoin en eau des cultures, procédé industriel énergivore, compétition foncière, risque d’exportation, etc.).
Dans ce pays, les terres agricoles annuellement emblavées ne représentent que 40% du potentiel cultivable, laissant de grandes superficies disponibles pour de nouvelles productions. Cependant, la situation foncière est très variable selon les régions et, notamment dans le Sud-Ouest, on peut trouver des situations de saturation des terres où la concurrence foncière est réelle. Les plantes énergétiques sont parfois cultivées à la place du tabac ou du coton car les paysans cherchent à diversifier leurs matières premières. Au nord du pays, les haies vives sont également encouragées par des associations, comme clôtures, ou parfois pour régénérer les sols et lutter contre l’érosion.
Compte tenu du contexte pédoclimatique, les plantes oléagineuses potentiellement intéressantes pour la production d’HVB sont le jatropha, le coton, le tournesol, l’arachide et le soja.
L’étude pragmatique des potentialités techniques des agrocarburants montre qu’il est pertinent de privilégier deux scénarios de développement : l’un vise la production de force motrice et le développement de l’électrification rurale; l’autre propose de substituer l’HVB aux hydrocarbures importés pour la production d’électricité dans les centrales thermiques alimentant le réseau national et/ou décentralisé.
Chacun de ces scénarios est évaluable selon plusieurs critères tels que les terres arables à mobiliser, les possibilités d’organisation de filières en aval de la production agricole, les capacités des acteurs, la rapidité de mise en œuvre des opérations, la flexibilité permise par les techniques et les marchés.
État des lieux et perspectives locales.
Dans un contexte de flambée des prix des denrées de base, les projets en cours au Burkina Faso se concentrent surtout sur le jatropha, dont l’huile n’est pas comestible. Il y a une assez bonne acceptation de la part des paysans, qui voient dans le développement de cette filière une source potentielle de revenus additionnels dans un contexte de crise du coton, principale culture de rente. Au Burkina Faso, 2 à 3 ans après sa plantation, le jatropha donne un rendement entre 1 et 1,5 kg de graine par pied. Il peut être vendu entre 50 et 100 FCFA/kg. Il faut environ 4 kg de graine pour extraire un litre d’huile.
Quelques projets concernent la mise en place de filières courtes pour la production locale d’HVB destinée à alimenter des équipements villageois générateurs de force motrice et/ou d’électricité, conformément au premier scénario. On recense six projets de ce type à dimension villageoise ou associative. Une faible mobilisation de surface est nécessaire au développement de ce scénario : entre 5 et 16 ha de jatropha peuvent subvenir aux besoins énergétiques d’une commune rurale. Ces initiatives peuvent également viser la reforestation, la régénération de sols dégradés et la lutte anti-érosive.
Plusieurs projets concernent la mise en place d’une filière de production d’HVB, et à terme pour certains de biodiesel, principalement à partir de jatropha. Si certains d’entre eux visaient le marché à l’export, tous maintenant se concentrent sur le marché national, voire régional, du fait de l’interdiction européenne d’importation d’agrocarburants. Ils sont conçus à partir d’un approvisionnement paysan car le gouvernement reste réticent à octroyer de larges superficies à la production d’agrocarburants, conscient des risques sur la sécurité alimentaire et de la concurrence sur les ressources foncières. Sept projets à dimension industrielle ont démarré, permettant aux paysans de diversifier leur production en consacrant chacun environ 1 ha de leur champ au jatropha. Les cultures sont localisées dans le sud du pays, sur des terres arables en culture de plein champ et parfois en association avec des cultures vivrières.
Ces projets pourraient correspondre au deuxième scénario de développement qui consiste à développer une filière HVB afin de produire de l’électricité. Cette option permet, avec une surface dédiée de 2 à 18% des terres arables selon la plante cultivée, et des technologies simples, de substituer 100% des hydrocarbures utilisés pour la production électrique. Elle permet de réduire la facture énergétique à hauteur de 30% des hydrocarbures importés et ainsi le coût de l’électricité tout en rémunérant les paysans burkinabè plutôt que les multinationales pétrolières.
Au total, l’ensemble des projets représente plus de 70 000 ha en plein champ à travers le pays, plus particulièrement dans le Sud où le climat et les rendements en graine sont les meilleurs, et parfois au Nord lorsque les associations l’encouragent.
Les agrocarburants pour améliorer les conditions de vie des populations.
Malgré le risque de concurrence entre productions énergétique et alimentaire, faut-il promouvoir la production d’agrocarburants dans l’intérêt des populations pauvres des pays du Sud ? La réponse est souvent donnée de façon univoque : étant donné que le pays n’a pas atteint son autosuffisance alimentaire et continue d’importer des produits agricoles, et qu’une grande partie de la population reste sous-alimentée, il est impensable d’allouer des ressources agricoles à la production énergétique. Mais ne peut-on pas retourner l’argument : si le Burkina Faso n’est pas autosuffisant sur le plan alimentaire, c’est peut-être que les déterminants sont davantage liés aux mécanismes économiques et à la qualité des politiques agricoles qu’aux disponibilités physiques et aux effets de substitution entre usages des produits, puisque la production d’agrocarburants est actuellement à un stade embryonnaire. En favorisant l’accès à l’énergie en zone rurale, ne pourraiton pas envisager des processus d’augmentation de la production agricole à la fois à usage alimentaire et énergétique ? Cette stratégie pourrait permettre de mécaniser les exploitations, d’améliorer les rendements, d’attirer des investissements, d’ajouter de la valeur à la production agricole par la transformation des produits et de générer des revenus à la fois directs (production de biomasse et transformation en énergie) et indirects (utilisation de l’énergie). Ainsi, pour constituer un vrai défi plutôt qu’un faux espoir pour le développement, une stratégie d’essor des agrocarburants à l’échelle d’un pays comme le Burkina Faso doit nécessairement s’affilier et non s’opposer à la politique nationale de développement agricole.
Bibliographie : Opportunités de développement des biocarburants au Burkina Faso. Cirad, 2IE, ICI. Rapport pour la KFW/ GTZ, Ouagadougou, décembre 2008, 166 p. http://jatroref.iram-fr.org/IMG/pdf/ETUDE_OPPORTUNITES_BIOCARBURANTS_Burkina.pdf