L’aviculture est un secteur en plein essor en Afrique de l’Ouest. Au Bénin, grâce à l’accompagnement des autorités, on assiste au développement de cette filière, qui fait toutefois face à de nombreuses contraintes, liées notamment aux conditions d’accès au crédit, à la concurrence des importations et aux enjeux fonciers.
L’aviculture en Afrique de l’Ouest est une activité complexe dont l’importance varie d’un pays à l’autre. Au Bénin, pays de plus de 7 millions d’habitants, deux grands types d’aviculture sont pratiquées : l’aviculture villageoise, basée sur l’élevage de races locales suivant un système extensif, et l’aviculture « moderne », basée sur l’élevage de races importées.
L’aviculture villageoise se pratique en milieu rural. Elle joue des fonctions économique (viande de volaille pour la consommation, oeufs de table), de cohésion sociale (activité génératrice de revenus pour les femmes, prestige social) et culturelle (utilisation des poulets de race locale et des oeufs à coquille blanche lors des cérémonies traditionnelles et en ethnopharmacologie). Les maquis de tout le pays sont approvisionnés par ces élevages villageois, dont la qualité de viande est recherchée. Le cheptel national de race locale serait estimé à 12 millions d’oiseaux (FAO, 2007). Les domaines de l’habitat, l’alimentation, la santé et la génétique sont en cours d’amélioration. L’aviculture moderne est une activité purement économique. Autrefois l’une des principales sources de viande du Bénin, elle est actuellement réduite à la production d’oeufs de table. Le nombre de poules pondeuses s’élèverait à plus de 750 000 oiseaux répartis sur plus de 500 unités de production (contre 355 en 2007), employant directement environ 2000 personnes, dont 30% de femmes. Ce sous-secteur fournirait près de 195 millions d’oeufs par an, ce qui rapporté à la population béninoise équivaut à environ 27 œufs par habitant et par an (soit 50% des recommandations de la FAO). Une partie de ces élevages de volaille (poulet, pintade, dinde, caille, oie) est toutefois consacrée à la production de viande, de façon saisonnière, en vue des fêtes de fin d’année.
Ces deux sous secteurs sont complémentaires, tant sur le plan économique que socioculturel et géographique. Ainsi, si le système traditionnel est entièrement rural, l’élevage moderne est péri urbain. Cette répartition permet de réduire les coûts de production liés au transport. Mais on constate de nos jours une forte délocalisation des unités de production, du fait de l’urbanisation.
Il convient également de préciser la contribution du secteur avicole (surtout moderne) à l’agriculture périurbaine et à l’arboriculture au Bénin. En effet, les litières et les déjections sont utilisées comme fertilisants organiques par les maraîchers situés à proximité des grands centres urbains. Cette pratique favorise une agriculture durable.
Une filière en plein essor bénéficiant du soutien des autorités…
La politique gouvernementale actuelle a retenu l’aviculture parmi les 12 filières prioritaires. À ce titre, des actions sont en cours en appui direct à la production, comme le financement de plus d’une dizaine de microprojets avicoles par le Fonds national de la promotion de l’emploi jeune, ou l’élaboration de référentiels technico-économiques. En 2008, le ministère de l’Agriculture et de la Pêche a subventionné à 70% l’acquisition de poussins d’un jour, mais malheureusement cette action n’a concerné que 70 000 poussins (soit moins de 10% du cheptel national) et sa reproductibilité n’est pas certaine.
En ce qui concerne l’élevage des poulets de race locale, des actions d’amélioration de la production et de la productivité sont en cours, avec notamment « l’opération coq » qui consiste à introduire des coqs de races importées dans les élevages locaux. Ainsi, entre 2004 et 2006, plus de 10 000 coqs ont été introduits par différents programmes et projets. De même, des opérations de vaccination de masse ont été réalisées contre la maladie de New Castle. Cette opération a permis de former et d’installer des Vaccinateurs villageois de volaille (VVV) à travers tout le pays. Enfin un renforcement des capacités des agroéleveurs a également été effectué suivant l’approche Farm Field School (FFS).
… mais en proie à des difficultés.
Á l’instar de tout le secteur agricole, l’aviculture béninoise fait face à des contraintes de financement. Les petits producteurs, majoritaires, sont particulièrement vulnérables du fait notamment de l’émergence et de la persistance des épizooties. Cela leur rend difficile l’accès aux crédits auprès des banques. Ils se rabattent alors sur les institutions de microfinance, dont les conditions ne sont pas toujours appropriées : taux d’intérêt élevé (de 12 à 14% par an), remboursement des investissements sur une courte période (3 ans au lieu de 10 ans par exemple), exigence de garanties importantes. Selon une étude effectuée en 2007 par la Direction de l’élevage, sur 355 aviculteurs enquêtés, seuls 136 avaient été financés, dont 12 par des banques.
Le foncier est un autre facteur limitant le développement de la filière avicole, surtout en zone périurbaine : l’inexistence de plans d’aménagement du territoire pose des problèmes aux producteurs situés à la périphérie des villes. Contraints de se déplacer régulièrement, ces « aviculteurs itinérants » sont dans l’obligation de réinvestir sans cesse dans leur activité, avant même que leurs derniers investissements ne soient rentabilisés.
L’aviculture béninoise rencontre également des problèmes en termes de compétences techniques. Les employés sur les exploitations sont peu nombreux (3 ouvriers pour 1 000 poules pondeuses) et très souvent déscolarisés et recrutés sans aucune formation préalable. Les rares personnes ayant suivi une formation dans le domaine préfèrent créer leur propre élevage ou travailler dans le secteur public. L’administration publique manque elle aussi de personnel qualifié pour conseiller et assister les producteurs et à l’heure actuelle, l’assistance technique est uniquement proposée par des opérateurs privés.
La signature des différents accords économiques internationaux a conduit certains opérateurs économiques à s’adonner aux importations massives de viandes de volailles et d’oeufs de table. Si les importations d’oeufs de table ont été stoppées, grâce à une lutte des aviculteurs locaux, les importations de poulets par contre continuent d’envahir le pays au détriment de la production locale. Ces accords économiques, loin de promouvoir un quelconque développement, ont plutôt désorganisé la filière locale naissante. Les importations, soutenues par les décideurs politiques dans le but de favoriser l’accès aux protéines à moindre coût, ne sont qu’une simple fuite de responsabilité. Les décideurs devraient plutôt oeuvrer à promouvoir la production locale à moindre coût. Les récentes crises mondiales économiques et financières, couplées à l’apparition de nouvelles épizooties, devraient faire prendre conscience aux politiques de la nécessité de maîtriser les sources alimentaires. Les politiques et décideurs béninois devraient comprendre qu’en favorisant l’importation de viande en provenance d’autres pays, ils favorisent l’emploi des aviculteurs de ces pays exportateurs et en font perdre à leur propre pays.
Entretien avec Idrissa Kama
Idrissa Kama est vice président de l’Union des organisations de la filière avicole de l’Uemoa (Uofa/ Uemoa) et président de l’Union des acteurs de la filière avicole du Sénégal (Unafa).
Grain de sel : Quelle est la situation actuelle du secteur avicole ouest africain ?
Idrissa Kama : Aujourd’hui, il existe deux grands types de filières avicoles en Afrique de l’Ouest : la filière « industrielle » et la filière « traditionnelle ». Aujourd’hui, l’aviculture traditionnelle domine en Afrique de l’Ouest. Mais nous ne pouvons prétendre être compétitifs en développant uniquement une aviculture paysanne : l’aviculture industrielle doit également jouer un rôle.
La filière « industrielle » est assez jeune et très dynamique, avec un taux de croissance autour de 8% par an. Au niveau Uemoa, le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont les pays les plus avancés : on y rencontre des élevages aux effectifs importants, utilisant des systèmes de production modernes. Ce type d’aviculture se développe également au Mali, au Bénin et au Togo.
Au niveau des échanges sous régionaux, le Sénégal exporte 10 à 12% de sa production. La Côte d’Ivoire exporte des poulets issus des élevages industriels, mais importe également des volailles traditionnelles du Mali et du Burkina Faso.
La récente crise alimentaire a eu des conséquences assez dramatiques sur les filières avicoles : fin 2007, alors que nous avions réussi à limiter les importations de viande congelée et que la filière locale s’en retrouvait dynamisée, les intrants importés pour l’alimentation du bétail se faisaient rare : les poussins arrivés à terme n’avaient plus d’aliments… La diminution du pouvoir d’achat des consommateurs a réduit la demande en produits avicoles. En 2009, nous avons eu des périodes de méventes : certains accouveurs, en raison des invendus, ont dû étouffer des poussins et arrêter ou réduire leur activité.
GDS : Vous avez mis en place une organisation régionale des filières avicoles. Pouvez vous nous la présenter ?
IK : L’Union des organisations de la filière avicole des États membres de l’Uemoa (Uofa/Uemoa) a été créée en octobre 2006, à Bamako, lors d’un atelier regroupant les organisations professionnelles des filières avicoles des 8 États de l’Uemoa. Son siège se trouve à Ouagadougou.
C’est un cadre de concertation, de réflexion et d’action, dont les objectifs sont de sauvegarder nos intérêts, d’améliorer notre compétitivité, de structurer les filières avicoles, et de promouvoir les investissements dans l’aviculture.
Nous encourageons la concertation avec les pouvoirs publics, les bailleurs de fonds, les organisations professionnelles, le secteur privé et la société civile. Cela passe par la formation, l’information de nos membres, l’organisation de séminaires, le dialogue continu entre professionnels et la recherche de synergies. À ce titre, nous souhaitons publier un journal destiné aux professionnels de la sous région.
En plus des activités de lobbying, nous souhaitons améliorer les compétences techniques des professionnels. Pour cela, nous organisons des débats autour de journées techniques avicoles : les premières (Abidjan, juin 2008) avaient pour thème les maladies aviaires (maladie de New Castle, grippe aviaire) ; les deuxièmes (Dakar, 2009), l’accessibilité des produits avicoles au plus grand nombre de consommateurs.
GDS : Quelle est la situation actuelle du secteur avicole au Sénégal ?
IK : Au Sénégal, pendant 10 ans, la production a varié entre 3 et 5 millions de poussins de chair par an. Fin 2005, l’État a pris la décision de bloquer les importations de viande de poulet congelée et la production est passée à 7 millions de poussins en 2006, puis à 11 millions de poussins en 2007. Cette progression montre que le potentiel est énorme. Aujourd’hui, la capacité de production est de 27 millions de poussins par an. Mais cet élan a été freiné par la crise de 2008.