En étudiant les économies des exploitations familiales, la Fongs et ses associations paysannes membres se sont rapprochées des réalités et des logiques paysannes du monde rural sénégalais. Les familles et les économies rurales sont diverses, incluant des stratégies autour d’activités non agricoles, et pour les appuyer, il faut d’abord les comprendre.
Jusqu’au milieu des années 1990, les associations liées à la Fongs établissaient, comme beaucoup d’organisations paysannes à cette époque, des « programmes » basés sur l’expression des besoins de leurs membres. Ils comportaient, entre autres, une collection de projets d’activités génératrices de revenus, projets généralement rangés dans un volet « promotion féminine ».
Resituer l’exploitation familiale dans l’économie rurale.
À partir de 1996, la Fongs a imprimé un tournant. La Fédération a évalué les limites de ces approches trop dichotomiques et sectorielles, qui correspondaient mal aux réalités paysannes et à la façon de penser des paysans. Cette approche séparait par exemple l’agricole et le non agricole, ne permettant pas ainsi de saisir toutes les stratégies au sein d’une famille. La Fédération s’est en effet rendue compte qu’elle avait « sauté le niveau de l’exploitation familiale », qui est la cellule de base où se prennent les décisions, non seulement économiques, mais aussi sociales. Elle a alors commencé à étudier plus finement le fonctionnement des exploitations familiales.
Des premiers résultats de la Fongs basés sur l’analyse du réel.
Les premières recherches systématiques ont été réalisées en 1998 sur trois terroirs du bassin arachidier. Ces analyses, basées sur l’étude des exploitations familiales, ont montré qu’au Nord du bassin, la majorité des familles ne pouvait assurer plus de trois mois de leur consommation avec leur production agricole. La pratique d’activités non agricoles en saison sèche était devenue indispensable à la sécurité alimentaire des familles.
Ces études montraient que les paysans du bassin arachidier étaient devenus « des paysans à temps partiel » vivant souvent pour l’essentiel d’activités non agricoles réalisées sur place ou à l’extérieur (apports des exodants, émigrés ou membres de la famille installés en ville). Ce constat a modifié le regard sur les stratégies et pratiques au sein de ces exploitations familiales. Ces premiers résultats ont ensuite été corroborés par des recherches réalisées par la Fongs auprès de familles rurales dans plusieurs autres régions.
Une production de connaissances paysannes sur l’économie rurale à l’échelle nationale.
En 2002, la Fongs a procédé à une lecture globale de l’évolution de la condition paysanne au plan national. Ceci lui a permis de formuler une vision politique et économique paysanne pour construire autrement le futur du monde rural, exprimée dans son document d’orientation stratégique.
La Fongs a alors élaboré le Programme pour autonomiser la réflexion et l’action durable (PARAD). Les activités ont démarré par des auto-analyses paysannes de l’environnement et des pratiques des associations de la Fongs. Un important travail de diagnostic et de caractérisation a permis de déterminer 6 grandes zones agro-écologiques (ZAE). La prise en compte de la dimension socio-économique et culturelle a permis d’affiner les critères de l’analyse. Ainsi, 46 sous-zones ont été identifiées grâce à la lecture des paysans et des ruraux.
En 2004, la Fongs a créé dans chacune des ZAE des pôles de compétences économiques paysannes, appelés Cellules régionales d’appui aux initiatives économiques (CRAIES). En 2005, ces cellules ont commencé à étudier les stratégies paysannes dans chacune de leurs zones en s’appuyant notamment sur les bilans de campagne des exploitations familiales. Elles ont pu commencer à identifier les bases des différentes économies paysannes, selon les zones agro-écologiques. Elles ont pris comme point de départ l’analyse de la façon dont les familles rurales assurent leur subsistance alimentaire (fonction « nourricière » de l’agriculture). Le croisement de ces analyses a permis de repérer des différences mais aussi des constantes, et d’esquisser ainsi une typologie des économies rurales sénégalaises.
De la micro-économie agricolo-agricole à l’économie rurale.
Les analyses de la Fongs ont conduit à renouveler le regard sur les réalités paysannes et à ne plus considérer seulement les économies rurales sous l’angle micro- économique des exploitations familiales et de leurs activités, mais sous l’angle de dynamiques économiques dans lesquelles les acteurs du monde rural sont insérés. Ainsi, on peut distinguer 3 types d’économies rurales au Sénégal :
- des économies et sociétés basées sur l’agriculture ou l’élevage : dans ces régions, un nombre significatif d’exploitations agricoles ou pastorales sont excédentaires (Niani, Sud du bassin arachidier, une partie de la Casamance orientale, bande des Niayes, zone du Delta). Les paysans et les éleveurs peuvent vivre de leur agriculture ou de leur élevage. Ce type d’économie prend appui sur un fort potentiel agricole naturel et la disponibilité de facteurs de production. Les activités non agricoles y ont leur place, mais elles sont étroitement articulées au secteur agricole ; elles sont cependant de nature différente selon le degré d’insertion au marché et les modes de production. Dans ce type d’économie, le développement du secteur non agricole peut être recherché dans le sens d’une meilleure valorisation de la production primaire.
- des économies et sociétés instables : les taux de couverture agricole sont de façon prédominante inférieurs à 6 mois par an (Nord du bassin arachidier, moyenne et haute vallée du Fleuve Sénégal, qui sont également les grands bassins d’émigration). Ces économies étaient auparavant basées sur le premier cas de figure ci-dessus mais elles en sont sorties, provisoirement ou définitivement, pour différentes raisons (troubles ou crises, dégradation des ressources naturelles). Dans ce cas, les revenus des transferts monétaires jouent un rôle important dans l’économie des familles et des villages, de même que les métiers non agricoles (en particulier le secteur des services). Étant donné la variété des situations, l’analyse du secteur non agricole et des actions à entreprendre doit être faite au cas par cas.
- des économies non agricoles et nouvelles sociétés (région Est de Tambacounda, Ouest du bassin arachidier) : dans ces régions, avec de faibles taux de couverture agricole (souvent moins de trois mois par an), les ruraux ne comptent plus sur l’agriculture pour vivre, mais sur les apports de l’émigration et des activités non agricoles. Les rapports sociaux se modifient, évoluent en même temps que ces activités non agricoles émergent. Ainsi, par exemple, dans la région de Mecklé (bassin arachidier), l’Union des groupements paysans de Meckhé (UGPM), membre de la Fongs, a établi des comptes d’exploitation de ses membres montrant que les recettes (incluant la valorisation de l’autoconsommation) tirées de l’agriculture et de l’élevage dans cette région ne représentent pour la majorité des exploitations familiales que 2 à 9% des recettes totales.
Cette réalité sur les économies rurales permet de changer le regard que l’on porte sur les économies des exploitations familiales et surtout sur les logiques paysannes tournées vers les activités rurales non agricoles. En établissant un rapport direct entre les performances de l’agriculture et la transformation des comportements professionnels de ces « paysans à temps partiel » s’orientant vers de nouveaux métiers, on arrive alors à sortir de la simple énumération d’activités non agricoles pour chercher à mieux comprendre une logique économique paysanne.
L’émergence ou le renforcement de ces « économies non agricoles et des nouvelles sociétés » démontrent aussi l’importance de définir des politiques qui soutiennent le développement des secteurs non agricoles : pour que les ruraux puissent rester chez eux et y vivre suffisamment correctement pour n’avoir plus besoin de s’expatrier si ce n’est pas leur souhait. De même, ces différentes économies montrent l’importance de continuer à approfondir les connaissances de ces réalités paysannes à l’échelle locale, au sein des organisations paysannes.
Valoriser les connaissances paysannes pour influencer les politiques agricoles.
Une meilleure connaissance des réalités paysannes a permis à la Fongs d’être plus efficace dans l’appui à ses membres mais aussi dans sa capacité à influencer les politiques agricoles. Actuellement, la Fongs mène deux programmes de renforcement des économies rurales : le Programme pour autonomiser la réflexion et l’action durable (PARAD) et le Fonds d’appui aux initiatives rurales (FAIR). Le FAIR est un projet de rechercheaction orienté vers les crédits d’investissement. Dans sa mise en oeuvre, il finance aussi bien les activités agricoles que le secteur non-agricole (menuiserie, restauration, etc.).
La Fongs défend l’idée que les exploitations familiales doivent être considérées dans leur grande diversité en prenant en compte la place des activités non agricoles. Ainsi, la conception des politiques agricoles et de développement rural doit s’appuyer sur les dynamiques économiques intégrant la synergie des activités agricoles et non agricoles.
La Fongs – Action paysanne, plusieurs dizaines d’années d’existence, et toujours de nouvelles questions pour mieux répondre à ses membres
La Fédération des organisations non gouvernementales du Sénégal (Fongs) est l’émanation de 3 000 groupements villageois et touche plus de 2 millions de personnes dont 65% de femmes. Créée en 1976 sur l’initiative de 9 leaders d’associations paysannes, elle a été reconnue officiellement le 12 octobre 1978 comme une organisation à vocation socio-économique sans but lucratif. La Fongs est un mouvement paysan autonome qui compte aujourd’hui plus de 150 000 membres actifs regroupés dans 32 associations paysannes de dimensions variées réparties sur l’ensemble des 11 régions du Sénégal. Son siège est à Thiès, à 70 km de Dakar. (www.fongs.sn)
La Fongs veut répondre à trois questions fondamentales : 1. Comment faire pour que le paysan réussisse à développer et faire vivre son exploitation ? 2. Comment faire pour que le paysan arrive à faire face aux politiques libérales ? 3. Comment faire pour que le paysan reconstruise et consolide les structures de base qui constituent son « périmètre de sécurité » (famille, communauté villageoise et intervillageoise, groupements villageois, unions, associations, etc.) ?
Fongs – Action paysanne
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