Brésil. Une manière de vivre.
Au Brésil, la notion d’agriculture familiale se développe depuis environ 20 ans. Avant, on parlait de petites paysanneries, mais petit à petit ce concept s’impose et le gouvernement a monté un programme national d’appui à l’agriculture familiale. Il y a même une loi qui définie cette notion. Elle intègre le critère de taille de l’exploitation mais aussi le mode de relations de travail. Je pense que c’est important à développer en ajoutant dans cette définition le mode de rapport à la nature et les modes de relations sociales. L’agriculture n’est pas un négoce pour la famille, c’est une manière de vivre. Bien évidemment, cela ne veut pas dire que les productions ne peuvent être vendues mais que le but premier n’est pas de vendre. C’est ça la différence avec l’agriculture productiviste. Tu es là pour vivre, tu peux vendre pour vivre mais tu as d’autres choses à faire avec ta terre. Les notions de respects des animaux, de la terre, de l’eau sont importantes tout comme la culture et les modes d’alimentation..
Cândido Grzybowski, directeur général de l’Institut brésilien d’analyses sociales et économiques.
France. Plutôt parler d’ « agriculture paysanne »
En France, après la seconde guerre mondiale la notion d’agriculture familiale avait un sens. C’était l’exploitation qui produisait pour se nourrir, qui permettait à quelques enfants d’aller dans d’autres secteurs économiques avec cependant une préservation de « la famille ». Or petit à petit à partir des années soixante, l’exploitation ne va plus produire que pour vendre à l’extérieur et en conséquence l’expression « exploitation familiale » n’a plus cours. Je connais des exploitations laitières où aujourd’hui ils ne consomment plus le lait qu’ils produisent, ils vont l’acheter en boite au supermarché !
Aussi pour moi aujourd’hui, « l’agriculture familiale » cela ne veut pas dire grand chose et ce terme peut englober des choses contradictoires. On ne peut pas utiliser le terme d’exploitation familiale pour parler d’une petite agriculture ou d’une agriculture qui va protéger l’environnement car il n’y a pas de correspondance entre ces notions. On peut l’opposer à l’agriculture industrielle, encore que cette dernière puisse aussi être présente dans l’agriculture familiale. C’est pour cela que nous préférons utiliser le terme d’« agriculture paysanne ». C’est un qualificatif dans lequel les gens se retrouvent mieux par rapport à ce contexte d’agriculture plus proche de l’homme, des ressources naturelles et à l’opposé d’une agriculture productiviste industrielle.
Jean Cabaret, producteur de lait, syndicaliste à la Confédération paysanne.
Luxembourg. Une exploitation sur laquelle travaillent les membres de la famille.
Pour nous au Luxembourg, une exploitation familiale est gérée par l’exploitant, qui assume la responsabilité financière, qui a la charge de la production et qui participe aux travaux. C’est une exploitation sur laquelle travaillent les membres de la famille avec éventuellement de la main d’œuvre extérieure. Je crois que le point essentiel est que je ne différencie pas les exploitations selon la taille. Le type et le mode de production ne sont pas non plus des éléments discriminants, il y a dans nos exploitations familiales une grande variation dans les productions qui peuvent être diversifiées ou uniques.
Josiane Willens, Centrale paysanne luxembourgeoise.
Niger. Un mode d’organisation qui permet de transmettre des civilisations, des cultures, de génération en génération.
Chez nous, une exploitation familiale est composée d’une famille dont les caractéristiques varient d’une communauté à l’autre (de 20 à 40 membres). Les activités menées sur l’exploitation sont pilotées par un maître d’œuvre qui répartit les tâches. Il y a une hiérarchie et des règles, le plus jeune a du respect pour l’ancien, l’ancien sait comment orienter les choses. Le lien familial est fort. Dans le groupe il peut y avoir des membres qui font de l’agriculture, de l’élevage, un peu de commerce et éventuellement quelques personnes qui sont fonctionnaires.
Aujourd’hui on a de plus en plus tendance à mettre en place de nouvelles règles de fonctionnement. Ainsi on est en train, avec les nouvelles lois modernes, de morceler les terres pour que chaque personne puisse avoir sa part. Il y a des avantages et des inconvénients à cela. Avantages, car les familles augmentent et parfois cela amène des conflits parfois meurtriers. En attribuant une parcelle à chacun on évite ce problème. Maintenant l’inconvénient c’est que tu as aujourd’hui des personnes qui n’ont plus de terre car les parents ne veulent plus donner un petit morceau de terrain à leurs descendants. Ces derniers sont donc obligés de migrer ou, s’ils en ont les moyens, d’acheter d’autres terres. En conséquence, avec ce modernisme, la solidarité entre les communautés et entre les familles disparaît, ainsi que le respect des enfants pour les parents. Même si les règles se maintiennent mieux dans les communautés nomades on commence aussi à voir ce problème. […]
Pour toutes ces raisons, chez nous, la notion d’agriculture familiale a beaucoup de sens. S’il n’y a plus ce système d’organisation cela posera beaucoup de problèmes. C’est ce mode d’organisation qui permet de transmettre des civilisations, des cultures de génération en génération.
Djibo Bagna, éleveur, coordinateur national de la Plate-forme paysanne du Niger.
Pologne. Aussi difficile à définir que le ciel ou la terre.
L’agriculture familiale, c’est aussi difficile à définir que le ciel ou la terre. Ce mode d’agriculture est encore majoritaire sur notre territoire. C’est tellement important que nos voisins nous appellent les « habitants des champs », le mot Pologne venant de cette expression. Pour moi il y a plusieurs éléments à prendre en compte pour parler d’exploitation familiale. D’abord il faut que la famille vive sur l’exploitation et garde le contact direct avec le travail de la terre. Le deuxième élément, qui est le plus important, c’est la fonction de formation car, sur l’exploitation familiale, on forme ses enfants. Une ferme familiale existe aussi par les liens qu’elle entretient avec ses voisins dans son village. Il n’est pas facile de déterminer le rapport entre la ferme familiale et la taille de l’exploitation. C’est d’ailleurs pour moi un piège. Ainsi par exemple on peut imaginer une ferme faisant de l’élevage extensif sur 500 ou 1 000 hectares qui soit gérée par une famille avec quelques ouvriers agricoles. Par contre une ferme qui fait plusieurs milliers d’hectares, ce qui existe en Pologne, qui a un ou deux tracteurs conduits par GPS avec un ouvrier travaillant à côté d’une famille n’est plus une exploitation au sens traditionnel, c’est une usine de production de matières premières agricoles.
Les paysans ont été les premières victimes des évolutions économiques qu’a connues la Pologne depuis 25 ans, avec la mise en place d’un libéralisme très sauvage. Une opposition démocratique au libéralisme a cependant mis en avant l’agriculture familiale en intégrant en 1993 cette notion comme une priorité dans son programme. En 1995, il a été inscrit dans l’article 23 de la Constitution que : « l’exploitation familiale est à la base du système agraire de l’État ». Mais cela n’a pas été défini plus précisément.
Piotr Dabrowski, agronome, syndicaliste et ex vice-ministre de l’agriculture polonais.
Sénégal. Au-delà de la famille, le « projet familial. »
Derrière le terme d’exploitation familiale nous mettons différents aspects et en premier lieu le fait que la famille soit l’unité de base économique. Ici la notion de famille est large. Elle comprend les frères, sœurs, cousins, etc., c’est-à-dire tous ceux qui vivent autour d’une même cuisine. Il y a toute une forme d’organisation au sein de la famille pour pouvoir réussir ce que nous intitulons le « projet familial ». Tout ce qui concerne les aspects sociaux et culturels qui ne sont pas pris en compte ailleurs, nous les considérons comme des éléments importants d’une exploitation familiale. C’est pourquoi nous ne voulons pas réduire notre vision de l’exploitation familiale à une approche simplement agricole. On veut bien vivre dans le monde rural, avoir à gérer une exploitation familiale et vivre aussi des activités non agricoles. Ce sont des éléments déterminants qui nous amènent à travailler autour de ce que nous appelons l’« assemblée de famille ». C’est une forme d’organisation où les responsabilités et les rôles sont clarifiés, où le projet familial, avec des objectifs précis, est construit à partir des apports de chacun.
Nadjirou Sall, agriculteur, producteur de tomates et d’oignons, secrétaire général de la Fédération des ONG du Sénégal – Action paysanne.
Ukraine. Moins de 50 hectares…
En Ukraine on parle d’exploitation familiale pour toutes les exploitations de moins de 50 hectares. Chez nous, la terre appartient à l’État, les agriculteurs en sont usufruitiers et ils n’ont pas le droit de la vendre, seule la mise en location est possible. La majorité des paysans travaille dans des conditions difficiles avec de simples outils manuels. Il n’y a pas beaucoup de machines agricoles et celles-ci sont très chères. L’État distribue très peu d’aides mais cela peut permettre aux exploitants de louer quelques matériels. Les petites exploitations ont également des difficultés à obtenir des crédits car ils n’ont pas les garanties nécessaires et elles ont du mal à écouler leurs produits en particulier les producteurs de légumes et de fruits. Tout cela fait qu’aujourd’hui les gens n’ont pas tellement envie de rester agriculteurs et il y a des départs importants vers les villes ou vers l’étranger.
Nataliya Horin, Dr. en Sciences économique, enseignante à l’université de Lviv, Ukraine [traduction de Marta Broniatowska].
Plus de 40 responsables d’organisations paysannes, d’ONG, de mouvements de consommateurs et d’associations de défense de l’environnement venus de trois continents se sont réunis en septembre 2007 en Pologne pour échanger sur le thème de la promotion de l’agriculture familiale et de la souveraineté alimentaire dans le cadre du Programme AlimenTERRE mené par le CFSI et SOS Faim Belgique et Luxembourg. La campagne se poursuit cette année. Plus d’information : http://www.cfsi.asso.fr http://www.sosfaim.be
Une version agrémentée d’autres points de vue est disponible en ligne, http://www.inter-reseaux.org