« Donnez nous des prix comme ça pour 10 ans, et on est content !» disent des producteurs. Mais est-ce là une vision partagée par tous ? Une série de questions se pose. Les États vont-ils accepter ces hausses des prix agricoles mondiaux ? Celles-ci ont des conséquences immédiates sur les prix à l’alimentation des ménages urbains (les plus défavorisés en particulier), et les États ne seront-ils pas tentés de tout faire pour les réduire ?
Les prix des produits agricoles sur les marchés intérieurs et locaux vont-ils augmenter autant ? Il existe des données sur les marchés internationaux ou ceux des grands centres urbains, mais beaucoup moins sur les prix des marchés locaux : on peut penser que la hausse y sera moins forte.
Quelles conséquences pour les revenus des producteurs et ceux d’Afrique subsaharienne en particulier ? Cette question se pose véritablement, et les producteurs et leurs organisations doivent pouvoir aussi faire entendre leurs voix (positions) et voies (visions).
Les prix agricoles flambent mais surtout ils varient, et ce dans des proportions inhabituelles. Les producteurs sont certes habitués aux variations de prix saisonnières au sein d’une année, entre récolte et soudure en particulier. Mais, les variations des prix au sein de l’année et surtout d’une année à l’autre atteignent ces derniers temps des sommets, et les intermédiaires maîtrisent toujours mieux ces variations que les producteurs !
Comment et qui pourra aider les paysans confrontés dans ce contexte à des questions nouvelles de gestion : quelles productions faire, faut-il stocker ou non…?
Hausse des prix agricoles… et des prix à l’alimentation : un enjeu politique important ! Les conséquences de la hausse des prix ont été immédiatement répercutées sur les prix à l’alimentation des ménages urbains. Les populations les plus défavorisées, qui consacrent la plus grande partie de leur budget à ce poste, ont été les plus touchées…
Les dirigeants de tous les pays les moins développés le savent et se mobilisent. Certains sont tentés de remettre en place des systèmes administrés pour la production et la mise en marché des céréales. Les responsables agricoles le savent bien aussi, car des réponses apportées à ces questions dépendent évidemment les politiques et actions prioritaires qui seront décidées… et les paysans risquent d’être oubliés ! (Cf. le projet actuel de l’État burkinabè de fixer le prix du riz paddy à un niveau très inférieur au prix de marché du paddy, voire à ses coûts de production).
Une répercussion différente de la hausse des prix agricoles selon les producteurs. De nombreux échanges ont eu lieu ces derniers mois avec des membres du réseau et Pôle CEF en particulier autour de la question des conséquences de la hausse des prix agricoles pour les producteurs. Il ressort de ces discussions qu’il est nécessaire de préciser et travailler ces questions de très près.
L’augmentation mondiale des prix agricoles a un effet différent dans les régions à cause des frais de transport, des productions locales et selon les périodes : une hausse imprévue pendant le stockage ne bénéficiera qu’à ceux qui auront pu stocker… et aux commerçants. D’autre part, les producteurs peuvent-ils effectivement espérer une même hausse de la part des commerçants qui leur achètent leurs produits agricoles ? Les acheteurs font pression à la baisse surtout dans les pays à faible niveau de vie où beaucoup de consommateurs finaux ont un pouvoir d’achat très limité, et dans ces pays les gouvernements feront tout pour maintenir des prix bas à la consommation. Les échanges des responsables de différentes régions et l’observation des différents marchés (nationaux et locaux) apporteront un premier éclairage sur les effets différenciés.
Conséquences de la hausse des prix agricoles sur les revenus des producteurs. Si les prix agricoles ont augmenté, les producteurs ont-ils de meilleurs revenus ? Tout d’abord, un constat est nécessaire : les producteurs ne sont pas tous égaux devant les hausses de prix de vente. Les producteurs moins ouverts sur les marchés ont essentiellement des cultures vivrières dans le but d’essayer d’être autosuffisants : ils auront peu de revenu en plus. D’autres mieux placés – et peut-être ayant des moyens financiers leur permettant quelques risques – misent davantage sur les cultures de rente : ils auront des rentrées d’argent plus importantes… mais ils paieront plus cher les céréales qui leur manquent !
Ensuite, à côté de la hausse des prix des produits agricoles, l’augmentation du pétrole a entraîné une hausse des prix des engrais, de l’essence, des produits de traitements… Pour savoir rapidement s’il reste un gain pour les producteurs, il est facile dans les organisations paysannes et de producteurs (OP) de calculer les effets des hausses sur des marges-types par culture. Des calculs sont en cours sur des bases « estimées » dans certaines OP : les premiers résultats sont très contrastés ! Les dispositifs de Conseil à l’exploitation (CEF) nous donneront dans les mois qui viennent des résultats précis des enregistrements.
D’où la question essentielle : l’augmentation des revenus agricoles leur permet-elle d’avoir accès à plus de nourriture, leur donne-t-elle plus de pouvoir d’achat ?
Les producteurs sont aussi des consommateurs d’aliments et acheteurs d’autres produits : il faut donc comparer le surplus de pouvoir d’achat à la hausse des prix ! Il est à craindre que les agriculteurs les plus vulnérables ayant peu de moyens financiers aient une capacité moindre à sup-Forum Le dossier Les réponses à la crise porter les hausses des prix à la consommation. L’exemple de 2008 dans la zone soudano-sahélienne illustre bien cette interrogation : les récoltes 2006 et 2007 n’ont pas été bonnes, et nombreux sont les paysans qui à la dernière récolte en ont vendu une partie importante pour payer leurs dettes. Ils ont bénéficié d’un bon prix de vente… mais il a fallu payer cher les intrants pour 2008 et les autres produits industriels … et à la période de soudure ils vont racheter très cher et à crédit aux marchands les céréales qui leur manquent : leur revenu agricole aura sans doute augmenté mais pas leur pouvoir d’achat !
Il serait intéressant dans l’analyse des résultats 2008 tirés des CEF de faire ce type d’analyse, et pour cela de réaliser une enquête complémentaire sur les quantités et les prix des céréales achetées pour les besoins de la famille.
Cette hausse va-t-elle durer ? Les prix vont-ils rester stables ? Tous les experts ne voient pas une hausse durable des prix sur le long terme. Mais tous soulignent désormais l’extrême volatilité prévisible des cours, du fait de la variation annuelle des récoltes face à des besoins « rigides », de la diminution des stockages de la plupart des États, de l’absence de volonté de régulation des marchés au niveau mondial, et de la spéculation financière.
Il faut rappeler que l’agriculture ne permet pas de tels changements de la part des producteurs. Les producteurs ne peuvent ajuster dans la minute leurs productions directement en fonction des fluctuations du marché : nous ne sommes pas sur des marchés industriels ou financiers.
Contrairement aux vœux de tous les paysans du monde, il faut donc s’attendre à des prix instables… plus favorables aux commerçants qu’aux producteurs… sauf si dans un pays une régulation minimum est organisée par l’État ou par des OP fortes (avec des producteurs motivés et solidaires), et bien gérées.
Une conseillère CEF in Miniffi (Bénin). (© A. Legile)
Conséquences sur la gestion des exploitations familiales. Normalement avec de telles évolutions prévisibles, toutes les décisions de gestion de l’exploitation familiale sont à repenser. Des initiatives sont en cours, plusieurs réactions sont envisageables, par exemple :
- attitude défensive : réduction des achats d’intrants (réduire le « gaspillage », produire du compost), échelonnement des ventes ;
- attitude offensive : choisir les productions les plus demandées dont on espère que les prix resteront élevés, intensifier avec plus d’intrants, de meilleures semences, investir en culture attelée ou travaux de labours par tracteur pour cultiver plus de surfaces… avec le risque collectif de pressions foncières exacerbées, de concentration foncière accrue au profit d’investisseurs de gros capitaux privés !
En réalité, avec des prévisions de variations importantes, il faut raisonner « durablement » et ne pas se laisser leurrer par les effets d’une année : remplir son grenier d’abord et bien mesurer les risques des différentes cultures.
D’autre part, les décisions seront surtout fonction de la capacité fi- nancière de chacun ! Ceux qui n’ont aucune réserve financière et qui paient tous leurs intrants à crédit, ne peuvent pas prendre de risques car leur vie professionnelle est en jeu ! Il leur faudra toujours choisir la solution sécurisée « acceptable » par rapport à une autre meilleure mais hypothétique, « à risques » ! Ceux qui ont réussi à épargner et qui disposent d’une réserve financière peuvent en risquer une partie pour avoir plus de production, ou pour en stocker une partie.
Une réflexion de gestion est indispensable pour les adhérents au CEF et tous les groupes devraient « bousculer » leur programme de travail pour l’inclure rapidement. Cette réflexion concerne en fait TOUS les paysans car « la gestion au fil du temps » ne suffit plus !
Les organisations professionnelles doivent trouver des moyens pour informer les paysans, pour accélérer le développement de solutions techniques économes et efficaces, rechercher avec l’ensemble des forces paysannes les solutions collectives pour faire face aux difficultés (notamment crédit pour les moins favorisés, achats et ventes groupées : voir les témoignages de réussite… et aussi les causes d’échec) et si possible l’appui des responsables publics pour atténuer les variations de cours.
En conclusion, les paysans n’en tireront un mieux que si d’une part ils prennent individuellement des décisions nouvelles adaptées à leurs cas… et non comme avant, au « fil des jours » – cela pose une fois de plus la question des moyens humains et financiers pour le Développement et en particulier pour le CEF « porte d’entrée » du développement ! – ; et si d’autre part, collectivement, les organisations paysannes prennent la mesure des nouveaux enjeux, mettent en œuvre des actions efficaces, et obtiennent de la puissance publique des mesures politiques adaptées.
Article issu d’échanges au sein du pôle Conseil à l’exploitation familiale (CEF) Interréseaux – Afdi, avec en particulier les participations de Philippe Somé (Réseau gestion Burkina Faso, chargé de programme Fepa- B), Bernard Péneau (Groupe gestion Afdi), Anne Lothoré (Inter-réseaux Développement rural). Depuis son lancement en 2005, le Pôle CEF est un outil au service d’acteurs du conseil à l’exploitation familiale : il présente des analyses et questionnements autour de pratiques de CEF sur des terrains (Afrique de l’Ouest et France essentiellement) et est un espace d’échanges sur ces sujets (polecef@inter-reseaux. org).