La flambée des prix des produits laitiers sur le marché international a surpris : le lait en poudre écrémé, négocié à environ 2 300 USD la tonne en juillet 2006, atteint 5 000 USD en juillet 2007. Les réactions des secteurs laitiers au Niger et au Sénégal présentent des convergences intéressantes.
Les importations de produits laitiers ont débuté dans les années 70 pour s’accroître et devenir massives de 2000 à 2006 (82 000 tonnes équivalent lait pour le Niger, 250 000 tonnes équivalent lait pour le Sénégal en 2006). La hausse des prix de 2007 a induit au Niger une forte baisse des importations laitières de l’ordre de 28 % en volume et de 50 % en valeur, restant encore supérieures à la moyenne des 11 dernières années. Le phénomène est moins marqué au Sénégal, où la faible baisse des importations en volume en 2007 (6 %) n’a pas enrayé la croissance du coût des importations qui est passé de 25 milliards de FCFA en 2002 à 50 milliards de FCFA en 2006 et 58 milliards de FCFA en 2007. Au plan des politiques, les intérêts divergent. Au Sénégal, les importateurs et les consommateurs ont plaidé en 2007 pour une baisse des barrières tarifaires, tandis que les acteurs des filières locales et les services de l’élevage entendaient tirer partie de ce nouveau contexte pour relancer le secteur laitier. Le gouvernement sénégalais a tenté d’endiguer les prix à la consommation (exonération des droits de douane et de la TVA pour le lait en poudre et plafonnement du prix de détail dans la région de Dakar) et a élaboré un programme national de relance de la filière laitière (Prodelait). Processus analogue au Niger où la mobilisation des associations de consommateurs a abouti à la défiscalisation du lait en poudre, accompagnée de l’esquisse d’un Projet intégré national de développement de l’élevage laitier (Pidel) réclamé par les acteurs de la filière locale appuyés par le ministère de l’Élevage. Mais aucun des programmes n’est encore lancé en 2008. En outre, existe un débat dans les deux pays entre les tenants de la relance de la production par le développement d’unités intensives et les associations d’éleveurs agropastorales, telles la Fédération nationale des acteurs de la filière lait au Sénégal (Fenafils) ou l’Association pour la redynamisation de l’élevage au Niger (Aren), visant à organiser les débouchés et la mise en place de centres de collecte.
Sénégal, 2006 (© A-L. Constantin, CFSI)
Filière lait en poudre. La flambée des prix a amené les industries laitières des deux pays à réduire leurs importations et à mettre en place des actions analogues visant la maîtrise des coûts, la diminution des quantités vendues traditionnellement, un ajustement par la baisse de la qualité (dilution de la poudre), l’importation de poudre de lait de moindre qualité, etc.
Filières locales. Au Niger, les contraintes pour intensifier rapidement et collecter la production empêchent les producteurs laitiers proches de Niamey de tirer pleinement profit de cette nouvelle donne, même s’ils bénéficient de meilleurs prix sur les marchés. La flambée des prix a, par contre, induit une multiplication des collecteurs de lait cru qui approvisionnent les laiteries et les commerçantes de lait caillé au niveau des centres ruraux. Les principales laiteries industrielles se livrent une concurrence acharnée pour la collecte de lait cru. Au Sénégal, dans les zones intensives des Niayes et péri-urbaine de Dakar, les dépenses en aliment bétail s’alourdissent, mais malgré la répercussion sur le prix de vente, le lait cru reste compétitif grâce à l’augmentation du prix du lait importé. Dans les systèmes agropastoraux de la région de Kolda, les nombreuses mini laiteries artisanales en zone périurbaine collectant le lait en milieu rural sont concurrencées par le regain d’activités des petits éleveurs-colporteurs, du fait de la compétitivité du lait local. Le prix du lait au producteur a augmenté mais semble juste compenser la hausse des coûts de production.
Les dépenses en produits laitiers des consommateurs sont sans doute plus importantes dans les ménages nigériens que sénégalais, mais la hausse des prix a généré des stratégies comparables de réduction de la consommation. Les produits laitiers sont réservés aux enfants tandis que les adultes consomment les protéines d’origine végétale. Les ménages plus aisés s’orientent vers le lait cru devenu compétitif.
En conclusion, le niveau élevé des prix des produits laitiers sur le marché mondial en 2007 a redonné un avantage temporaire au lait local, malgré une hausse modérée du prix d’achat au producteur. Mais la nouvelle baisse des prix en 2008 montre que la volatilité des prix internationaux est porteuse de risques de déstructuration des secteurs laitiers locaux. Les stratégies nationales les plus durables doivent reposer sur une politique pérenne d’amélioration et de valorisation de la production locale.
Cet article fait la synthèse d’études terrain fort complètes réalisées dans le cadre de la campagne Alimenterre 2008 / CFSI, SOS Faim Belgique et SOS Faim Luxembourg, Iram, Gret : Étude de l’impact de la hausse des cours du lait et des produits laitiers sur les producteurs et les consommateurs (juillet 2008) 1/ Étude de cas du Niger – par Gilles Vias, Matthias Banzhaf, et 2/ Étude de cas du Sénégal – par Djiby Dia, Yacine Ngom, Véronique Duteurtre, Guillaume Duteurtre, Papa Nouhine Dieye, Cécile Broutin.