DANS L’ENSEMBLE DES PAYS ouest-africains les prix des produits alimentaires ont commencé à grimper à partir de fin 2006. Le prix de la poudre de lait, matière première importée par les industries laitières, double entre juillet 2006 et juillet 2007. Les prix des céréales, de l’huile, du sucre vont suivre.
Une hausse générale des prix des céréales. La hausse des prix internationaux du riz et du blé va se répercuter sur les prix à la consommation, mais avec un temps de retard et dans des proportions variables. La hausse des prix dans les capitales sahéliennes est généralement inférieure à la hausse enregistrée sur les marchés mondiaux. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Les importateurs disposent généralement de stocks qui peuvent représenter plusieurs mois de consommation. Les frais de transport et de transaction élevés font que le prix international des céréales importées dans les capitales sahéliennes représente une proportion assez modeste du prix final à la consommation. Les États ont assez rapidement allégé la fiscalité sur les importations (suspension des droits de douane, de la TVA, etc.), permettant ainsi d’amortir le mouvement de hausse continue. Bien que l’on ne dispose pas de données précises sur ce point, il semblerait que les commerçants aient aussi choisi de réduire leurs marges pour ne pas affecter les volumes commercialisés, compte tenu du pouvoir d’achat assez limité des consommateurs. La plupart des observateurs estiment que la baisse de la fiscalité de porte n’a pas eu d’impact sur les prix aux consommateurs. Il convient de relativiser ce sentiment dans la mesure où l’allègement fiscal est intervenu dans un contexte de hausse continue des prix. S’il n’y a pas eu de baisse des prix consécutive à la suppression temporaire des taxes, on doit aussi constater que les hausses successives des prix n’ont pas été immédiatement et intégralement répercutées sur le panier de la ménagère.
L’analyse de l’impact de la hausse des prix internationaux sur les marchés ouest africains est assez compliquée en raison de la très grande volatilité habituelle des prix des céréales produites dans la région. Cette volatilité est à la fois intra-annuelle – les prix chutent généralement à l’approche des récoltes et augmentent ensuite au fur et à mesure que l’on se rapproche de la soudure -, et interannuelle – les prix à une période donnée de la campagne varient fortement d’une année sur l’autre en fonction d’un ensemble de facteurs. Le niveau des récoltes dans le pays considéré et dans les pays voisins avec lesquels ses marchés sont connectés est le facteur qui explique le plus cette variabilité des prix.
Compte tenu de la situation monétaire dans la région, la hausse des prix mondiaux exprimés en dollar a eu des impacts différents selon la monnaie nationale. Dans les pays de la zone CFA qui disposent d’une parité fixe avec l’euro, la hausse est atténuée par la dépréciation du dollar vis-à-vis de l’euro sur la même période (Cf. page 12). C’est ainsi qu’entre janvier 1990 et mai 2008, le prix du riz est multiplié par 3 en dollar alors qu’il n’est multiplié « que » par 2,35 en euro ou en Franc CFA.
Mais de fortes différences selon les situations locales. Dans le Sahel d’une façon générale, la campagne 2007-08 est caractérisée par des prix élevés. Mais ces prix sont généralement inférieurs ou très proches des prix enregistrés lors de la campagne 2004-05, année de la « crise alimentaire du Niger », qui avait vu les prix des céréales grimper dans l’ensemble du Sahel, de façon plus ou moins marquée selon les contextes locaux.
Jusqu’à fin 2007, les prix du riz sur le marché mondial et à la consommation dans les capitales sahéliennes sont marqués par une très grande stabilité. Les prix à la consommation se situent dans une fourchette allant de 200 à 250 FCFA/kg à Dakar et Bamako, de 250 à 300 FCFA à Ouagadougou, de 250 à 300 FCFA à Niamey. Seuls les pays enclavés connaissent un pic des prix lors de la crise de 2005. Le graphique ci-après montre le décrochage entre des prix internationaux qui s’envolent littéralement et des prix à la consommation qui augmentent dans des proportions bien plus faibles. Il faudra attendre la période juillet à septembre 2008 pour voir le riz importé franchir la barre des 400 FCFA. Alors que les prix mondiaux décollent dès septembre 2007, il faut attendre février à avril pour constater la hausse des prix du riz sur les marchés de consommation sahéliens.
Cette hausse des prix du riz va se répercuter diversement sur les marchés des céréales locales. On distingue trois grands cas de figure dans le Sahel.
Evolution des prix du riz sur les marchés nationaux et mondial.
La façade atlantique : Sénégal, Mauritanie très dépendants des importations. Le premier cas concerne les pays de la façade atlantique comme le Sénégal et la Mauritanie. Ces deux pays sont les plus urbanisés de la région et leur approvisionnement est très dépendant des importations. La Mauritanie importe près de 80 % de ses besoins céréaliers. Le Sénégal consomme essentiellement du riz brisé importé. Sa production rizicole couvre moins de 20 % de sa demande. Il est contraint d’en importer près d’un million de tonnes. Les récoltes de céréales sèches ont chuté de 25 % lors de la récolte 2007. Les prix des céréales locales vont connaître des hausses de prix dès la fin de l’hivernage 2007 et se situer systématiquement au-dessus des prix moyens des 5 dernières années et des prix de la campagne 2004-05.
Les grands pays enclavés : Mali, Burkina Faso attachés aux céréales locales. Le deuxième cas de figure concerne les grands pays sahéliens céréaliers enclavés que sont le Mali et le Burkina Faso. Ces deux pays encore peu urbanisés ont un système alimentaire fondé sur les céréales produites localement, y compris pour le riz au Mali, et dépendent très peu en année normale des importations. Ils ont un taux d’auto-approvisionnement de plus de 90 % et sont régulièrement confrontés à des excédents de production écoulés en partie sur le marché régional, ou stockés au niveau des producteurs et des commerçants. Les prix des céréales sèches – mil et sorgho – sont restés à des niveaux inférieurs à la moyenne des cinq dernières années et aux niveaux de prix de la campagne précédente jusqu’en avril 2008. Le prix du maïs progresse en revanche plus vite notamment au Burkina Faso. À partir d’avril-juin, alors que la soudure approche, les prix des céréales produites localement grimpent, se rapprochent voire dépassent les niveaux de 2004-05. La forte augmentation des prix des céréales sèches enregistrée pendant la soudure est liée en partie au report de consommation du riz sur ces céréales quand le prix du riz a atteint 400 FCFA/ kg et la continuation des exportations vers le Sénégal et le Niger malgré les interdictions d’exporter édictées au Mali et au Burkina Faso.
Le Niger, sous l’influence de son immense voisin, le Nigeria… Le dernier cas de figure concerne le Niger. Grand pays céréalier aussi, proche de l’autosuf- fisance mais avec une production plus sujette encore aux aléas climatiques que ses voisins, l’économie du Niger est très reliée avec celle du Nigeria, le poids lourd de la région en termes économique et démographique. L’hivernage 2007 a été bon au Niger mais la production du Nigeria a en revanche accusé un certain déficit. De multiples échanges céréaliers caractérisent la zone frontalière entre le Sud Niger – bassin de production du pays -, et le nord du Nigeria. Ce dernier dispose aussi d’une production animale intensive. Les industries productrices d’aliments du bétail constituent une demande importante, en particulier de maïs, qui a des répercussions sur l’ensemble du marché régional de cette denrée. Le niveau des prix au Niger dépend fortement des facteurs nigérians : taux de change, évolution de l’offre et de la demande, stratégies des opérateurs commerciaux, mesures de politiques commerciales vis-à-vis du marché international et du marché régional, etc. La dynamique des prix au Niger est par conséquent la résultante de l’équilibre du marché Niger-Nigeria, mais aussi des conditions du marché dans les autres pays côtiers comme le Bénin, et surtout le Ghana et la Côte d’Ivoire. Conséquence de cette interdépendance des économies céréalières, les prix des céréales locales au Niger vont passer dès le début 2008 au-dessus de la moyenne des cinq dernières années et se rapprocher de la courbe des prix observés en 2005.
Evolution enindice des prix du riz sur les marchés nationaux et mondial par rapport à octobre 2007
L’impact de la fermeture des frontières. Face au mécontentement des populations, certains gouvernements, notamment le Burkina Faso et le Mali, ont décidé de fermer leurs frontières aux sorties de céréales, dans l’espoir de limiter les risques de pénurie et de peser sur les prix. Cette réaction n’est pas nouvelle, des mesures du même ordre ont été prises, en violation des accords régionaux de libre circulation des marchandises lors de la crise de 2005. La région est caractérisée par des flux céréaliers importants entre les pays sahéliens d’une part, entre ces derniers et les pays côtiers du Golfe de Guinée d’autre part. Mais ces flux restent mal connus, mal mesurés par les dispositifs d’information. Selon une enquête ¹ conduite par l’Observatoire malien des marchés agricoles pour mesurer l’impact des mesures de fermeture des frontières, il ressort que ces mesures ont un impact proche d’une taxe à l’exportation. L’interdiction n’empêche par la poursuite des exportations aussi longtemps que le différentiel de prix entre les pays couvre les coûts de transaction, mais elle en modifie les conditions. Les flux entre le Mali et la Mauritanie se sont poursuivis, mais se sont interrompus ensuite, en raison des mesures prises par cette dernière pour réduire le coût des importations en provenance du marché mondial (suspension des droits de douane et subvention à la consommation) et la ré-exportation des produits subventionnés du Sénégal sur le marché mauritanien, rendant les céréales maliennes moins compétitives. Entre Sikasso au Mali et le Niger, les flux de mil en 2008 se seraient accrus de 174 % par rapport à la même période de 2007. Les exportations de maïs de Sikasso vers le Sénégal auraient quant à elles été multipliées par trois. Les exportations de maïs du Burkina Faso vers le Niger avec des ré-exportations sur le Bénin ont, elles, progressé. En revanche, il semble que les flux Mali-Côte d’Ivoire aient régressés. Les mesures d’interdiction de sortie des céréales ont en revanche un impact sur les prix. Le coût élevé du contournement des mesures (corruption) induit une baisse des prix à la production dans les zones excédentaires et une hausse des prix à la consommation dans les zones dé- ficitaires de destination des céréales exportées « frauduleusement » tout en enrichissant les agents chargés de la gestion des passages aux frontières au détriment du trésor public.
L’analyse des évolutions de prix dans le Sahel montre que les pays fortement dépendants des marchés internationaux pour leur approvisionnement sont beaucoup plus vulnérables à la volatilité et à la hausse des prix sur ces marchés, que ne le sont les pays dont la production couvre l’essentiel des besoins. Ces pays s’approvisionnent aussi en céréales locales dans la sous-région pour combler leurs déficits de production et sont confrontés aux interdictions d’exporter de leurs voisins qui aggravent la situation de leurs marchés déjà tendue. Elle montre aussi que l’instabilité des marchés mondiaux constitue un nouveau contexte pour lequel les pays sahéliens n’étaient pas préparés, après une très longue période de grande stabilité des prix des produits importés. Elle illustre que, bien que les marchés de la région soient connectés entre eux, les évolutions restent contrastées et dépendent d’un ensemble de facteurs nationaux et régionaux. Enfin, le décrochage entre les prix du riz et du blé d’une part, et les prix des céréales produites localement d’autre part montre que les habitudes de consommation restent bien ancrées et que les consommateurs n’abandonnent pas facilement et rapidement le riz au profit des céréales traditionnelles.
1. Diarra et Dembélé (Michigan State University, OMA) et Sima Niger.
Rizière Mogtédo (Burkina Faso) ( © P. Delmas, Afdi)
Témoignages
Les adhérents au conseil de gestion de la Fédération nationale des groupements Naam (FNGN) du Burkina Faso, nous parlent de la vie chère.
Les producteurs des sites maraîchers de Bobo Dioulasso, Koubri et Dissin-Tovor témoignent.
Pour eux, la vie chère, c’est d’abord une situation précaire quotidienne (dépendance forte vis-à-vis de différents facteurs – climat, semences, attaques, commerçants, croissance urbaine etc.). « La vie chère mène à une insécurité alimentaire et ensuite à une insécurité tout court. Un homme qui a faim n’est pas un homme tranquille ».
Mais cette année a été particulièrement difficile : « Nous, producteurs, nous achetons comme tout le monde de l’huile et du riz pour manger. Pour produire, nous achetons également de l’engrais et du carburant. Nos coûts de production, y compris le transport en Côte d’Ivoire, augmentent, mais les prix de vente de nos produits, eux, ne montent pas sur le marché. La salade se vend toujours le même prix et la tomate aussi ». « En quelques mois, l’engrais NPK est passé de 12 500 F à entre 17 000 et 20 000 F les 50 kg. Nos rendements en céréales ont baissé car nos moyens ne nous permettent plus de payer autant d’engrais ».
Les producteurs souhaitent des décisions du gouvernement concertées pour : « diminuer le prix des engrais, de l’essence et des semences », « disposer de fonds dans les banques pour appuyer les producteurs organisés en groupement ou coopérative ».
Ils insistent sur le fait qu’ « exporter [leurs] produits en Côte d’Ivoire est un problème. Il y a des taxes à payer qui ne sont pas claires du tout » et souhaitent le développement de la « transformation locale des produits comme la tomate ».
Dans le même temps, ils proposent des pistes pour atténuer les effets de la vie chère : « s’appuyer sur la gestion », « diversifier avec l’élevage pour la fumure ; aussi, être semencier», « doubler les superficies de maïs, riz ou niébé ».
Le conseil de gestion à Bobo a démarré des négociations avec la Caisse populaire pour inclure le warrantage. Les adhérents souhaitent un plus grand intérêt des producteurs pour le conseil de gestion, qui, selon eux, est très utile face aux changements.
Extraits d’une note rédigée par l’équipe technique de l’Unité d’appui agro-économique de la FNGN le 22/09/08.