L’ILE DE SULAWESI, plus connue sous son ancien nom des « Célèbes », domaine des fameux Bugis, peuple de marins et des romans de Conrad, a connu des évolutions remarquables de son agriculture. Dans les années 80, l’île est un des grands succès de la révolution verte, exportant du riz dans tout l’archipel indonésien et au-delà. Dans les années 90, elle révèle un des boums du cacao les plus spectaculaires de l’histoire. En juillet 2008, nous visitons l’entrepôt de cacao local du premier broyeur de cacao au monde. Mais loin des fèves de cacao, les silhouettes de manœuvres s’activent autour de dizaines de tonnes de maïs séchant sur les aires cimentées de l’usine.
Pourquoi ce développement soudain de la culture du maïs ? À Pongka, un de ces villages du Sud, où le maïs était déjà cultivé depuis plusieurs années, en grande partie pour la consommation familiale, avec un maigre surplus vendu les bonnes années, on trouve tous les éléments de réponse à cette question. Comme dans bien des histoires de diversification ou reconversion des cultures, tout un processus et de multiples facteurs ont préparé le boum :
- une densité de population encore forte ;
- l’émergence d’un marché local ;
- un réseau de commerçants bugis s’appuyant sur des réseaux familiaux pour se faire connaître et créer la confiance avec les agriculteurs, y compris à travers les circuits d’émigration du sud vers le centre-sud et le centre de l’île ;
- l’utilisation du progrès technique : hybrides, engrais et machines. Les commerçants et parfois aussi les services de vulgarisation jouent leur rôle d’information et de diffuseur de progrès technique. Ils introduisent l’hybride de maïs jaune. À partir de 2003, sans abandonner leur maïs blanc (préféré pour la consommation familiale), les agriculteurs adoptent rapidement cet hybride pour ses rendements, très élevés. L’hybride offre un ratio de 400 à 500 fois la semence contre 100 fois la quantité de semence pour le maïs jaune commun. Dès 2002, est également introduite une petite machine, facile à transporter à travers champs, assurant la séparation des grains de maïs du rachis.
- le financement (crédit et transactions) assuré par le réseau de commerçants.
Séchage du maïs (© F. Ruf, Cirad)
Le boum du maïs, danger pour le cacao ou locomotive ? Les planteurs de cacao ne sont pas seulement sensibles à la hausse du prix du maïs. Grâce à l’introduction de l’hybride et des engrais, ils sont aussi fort attirés par les gains de rendement, et donc au final par une progression très rapide des revenus du maïs. Or dans le même temps, ils subissent une aggravation des dégâts et de maladies sur les cacaoyers, s’ajoutant à un vieillissement de leurs arbres, d’où une baisse dramatique de leurs rendements.
À court terme, l’industrie du chocolat et les dirigeants de l’interprofession du cacao en Indonésie ont donc quelques soucis à se faire. Au cours des mêmes enquêtes conduites dans un « village typiquement cacaoyer », Noling, dépendant du cacao à 90 %, il y a bien adoption massive du maïs en 2008, et le plus souvent par abattage des cacaoyers. Mais à moyen terme, le danger peut se transformer en opportunité. En effet, c’est grâce à la hausse du prix et du revenu du maïs que les planteurs commencent à avoir le courage d’abattre une partie de leurs vieux cacaoyers. Ils peuvent compter sur un revenu du maïs se substituant avantageusement à celui du cacao, pour 1 à 2 ans. C’est donc l’occasion et une chance pour tenter simultanément la replantation de cacaoyers, associés au maïs. En définitive, tout se passe comme si la hausse des prix du maïs pouvait déclencher et financer la replantation, cette fois avec du matériel végétal sélectionné.
S’il se confirme, le boum du maïs vat- il accélérer le déclin du secteur cacao à Sulawesi ou contribuera-t-il à sa modernisation ? Il est encore trop tôt pour trancher, d’autant que les maladies du cacaoyer se multiplient et peuvent décourager la replantation. Les Bugis de Sulawesi nous rappellent quelques clés de la réussite pour répondre à la hausse rapide d’un prix : progrès technique, crédit, réseaux d’information et de commerçants, mais aussi problèmes et déclin de revenus sur des cultures existantes. Ils nous rappellent aussi que les agriculteurs raisonnent plus en termes de revenus relatifs que de prix. Ils nous rappellent enfin le jeu de concurrence et complémentarité entre les cultures dites vivrières, annuelles, et les cultures dites pérennes.
L’économie agricole indonésienne témoigne d’un beau foisonnement d’innovations et de dynamisme dans lequel le Cirad a joué et joue un rôle d’expertise en partenariat avec le secteur public et privé, notamment sur les cultures pérennes. À Sulawesi, avec une équipe indonésienne, un observatoire des dynamiques locales a été monté depuis plusieurs années, susceptible d’alimenter une forme de conseil au plan des politiques publiques et des actions de partenariat public/privé.
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