Seconde source de financement extérieur de l’ensemble des pays en développement, l’argent des migrants fait l’objet de multiples débats. Est-il facteur de développement ou ne sert-il qu’à alimenter des comportements rentiers ? La réalité est moins simple qu’il n’y paraît, d’autant plus difficile à mesurer que ses impacts sont multiples.
La question de la contribution des migrants au développement de leur pays d’origine fait l’objet d’une attention soutenue depuis quelques années. Pour preuve, rares sont les grands sommets et conférences internationales consacrés au financement du développement qui ne mettent en exergue la formidable manne financière que constituent les envois de fonds des migrants.
En augmentation régulière et forte (leur volume a été multiplié par trois au cours de la dernière décennie), les flux de transferts représentent aujourd’hui la seconde source de financement extérieur de l’ensemble des pays en développement, derrière les flux d’investissement direct étranger et devant les flux associés à l’aide publique au développement. En termes nominaux, l’Asie et l’Amérique latine sont les premiers continents concernés par l’argent de la migration, puisqu’ils sont la destination des deux tiers des envois de fonds transitant par le biais de canaux officiels ou légaux. Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord figurent néanmoins en tête de classement lorsque les envois de fonds sont rapportés au Pib, avec un taux de 2,2 % en 2006.
Impact : un bilan en demi-teinte. S’il y a consensus sur l’importance des montants en jeu, la question de l’impact des transferts sur les pays récipiendaires est extraordinairement débattue. Au plan macro-économique, les envois de fonds des migrants constituent incontestablement un apport de devises permettant à un pays de financer ses importations et ses investissements. Mais l’accroissement de la demande consécutif aux transferts peut dans le même temps être source d’inflation et d’appréciation du taux de change réel dans des économies caractérisées par la faible flexibilité de leur appareil productif. L’effet net des transferts sur la croissance est donc incertain et cette incertitude n’est malheureusement pas levée par les travaux empiriques ayant cherché à montrer l’existence d’un lien de causalité allant des transferts à la croissance, dont les conclusions sont pour le moins contrastées. La même ambigüité se retrouve au plan micro-économique. Les transferts jouent certes un rôle positif en tant que filets de protection sociale. Par ce biais, ils contribuent à améliorer sensiblement la situation de ceux qui restent et constituent un instrument de lutte contre la pauvreté transitoire souvent plus efficace parce que mieux ciblé que les flux financiers associés à l’assistance extérieure. De plus, en permettant de lever les contraintes de liquidités des familles, les transferts peuvent favoriser l’investissement en capital physique et humain. À côté de ces retombées positives, toutefois, il est également possible que les transferts suscitent des comportements rentiers de la part des familles récipiendaires et qu’un cercle vicieux de dépendance vis-à-vis de ces revenus extérieurs se mette en place. Le cas de la région de Kayes, à l’extrême ouest du Mali, en fournit une illustration. Dans certains villages de cette région dont sont originaires la plupart des immigrés maliens en France, il a en effet été constaté qu’en dépit d’une meilleure dotation en capital et en travail, les exploitations agricoles familiales receveuses de transferts obtenaient des rendements agricoles significativement inférieurs à ceux observés chez les exploitations non receveuses de transferts, sans que ce résultat soit imputable à une différence de qualité des sols, de techniques culturales, etc. Cet état de fait peut s’expliquer en partie par la fonction d’assurance remplie par les envois de fonds. En supposant en effet que le mécanisme d’assurance soit tel que les migrants envoient des fonds à leurs familles à chaque fois que celles-ci perdent la garantie de pouvoir accéder à une quantité suffisante de nourriture et que l’effort des familles soit non observable par les migrants, les familles ont une incitation à réduire leur effort et à s’en remettre aux migrants pour leur subsistance ¹.
Mais des retombées indirectes positives difficilement mesurables. Ce bilan en demi-teinte néglige toutefois les retombées positives indirectes que peut avoir la circulation de la rente migratoire. En effet, à l’échelle plus large des communautés villageoises, les envois de fonds ont aussi le potentiel d’augmenter les revenus des ménages ne comptant pas de migrants. Par un effet multiplicateur, chaque centime envoyé par un migrant peut générer deux ou trois centimes supplémentaires de revenu dans les communautés d’origine dès lors que les biens ou services dont l’achat est rendu possible par les transferts sont fournis par d’autres personnes dans l’économie locale. Dans le cas de la région de Kayes au Mali, l’observation montre que bien des activités locales se créent et perdurent grâce à l’argent des immigrés. Il n’est par exemple pas rare de voir les producteurs maraîchers des villages situés dans des zones à faible émigration parcourir plusieurs dizaines de kilomètres chaque semaine pour aller vendre leur production dans des villages à forte émigration. Il est également frappant de constater qu’après l’agriculture, la maçonnerie constitue souvent la seconde activité des familles ne comptant pas de migrants : le caractère saisonnier des activités agricoles dans la région leur permet en effet de consacrer une partie de l’année à des travaux de maçonnerie pour le compte d’autres familles qui construisent une maison «en dur» grâce aux envois de fonds des migrants. L’évaluation quantitative de ces eff ets multiplicateurs est néanmoins très périlleuse et aucun chercheur travaillant sur l’Afrique ne s’est encore livré à cet exercice.
Par ailleurs, les associations de migrants dans les pays d’accueil contribuent également à améliorer les conditions de vie de ceux qui restent en intervenant activement dans le montage et le fi nancement de projets de développement à destination des villages d’origine. D’après une étude (Daum, 2000), la France compterait environ 1000 Organisations de solidarité internationale issues de l’immigration (Osim) dont un tiers serait issu de l’immigration originaire des pays de la vallée du fl euve Sénégal (Mali, Mauritanie, Sénégal) et un autre tiers des autres pays d’Afrique subsaharienne. Avec 101 Osim recensées, la présence de groupes originaires de l’Océan indien (Comoriens et Malgaches) est également marquée. Essentiellement prestigieuses au départ, avec la construction de mosquées, les réalisations de ces associations ont progressivement couvert tous les aspects de la vie des villages. Si bien que leurs domaines d’intervention vont aujourd’hui de l’hydraulique et l’accès à l’eau potable à la santé et l’éducation de base, en passant par les aménagements agricoles, la communication ou encore les échanges culturels. Dans le même temps, ces associations se sont progressivement formalisées et certaines se sont regroupées pour donner naissance à des associations inter-villageoises et mener ainsi des projets de développement de plus grande envergure.
Pour être rigoureuse, une évaluation de l’impact des transferts sur le développement ne doit donc pas s’arrêter au constat que les transferts ne sont utilisés qu’à des fi ns de consommation et en conclure qu’ils ne conduisent pas au développement des pays d’origine. L’observation montre que la réalité est bien plus complexe et que seuls des dispositifs d’enquête innovants peuvent permettre d’évaluer avec précision l’impact de la migration et des transferts sur le développement des pays d’origine.