Les entretiens de Grain de sel
Entretien avec Ibrahim Coulibaly, président de la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali (CNOP)
Grain de sel : Que pensez-vous des dernières évolutions autour des APE concernant l’Afrique de l’Ouest ?
Ibrahim Coulibaly : Si on peut tirer une leçon de la question des APE c’est bien qu’ils ont permis de poser de façon concrète la question de l’intégration régionale, de son utilité ou pas, de sa cohérence car ce que propose l’ UE, aucun espace d’intégration crédible ne le ferait donc on peut dire que la question des APE a été malgré tout quelque chose de positif pour nous. Pour une fois, on voit que les décideurs politiques nous ont écoutés en tout cas jusqu’à maintenant. L’intégration régionale a maintenant une chance de devenir un vrai projet auquel les populations vont adhérer et croire à la seule condition que la Cedeao ne change pas sa position. Nous n’avons aucun intérêt à signer les APE en l’état actuel des choses. La Commission européenne est devenue pour nous une menace qui cherche à faire exploser nos espaces d’intégration régionale qui. Sur ce il faut signaler qu’elle n’a pas réellement soutenu l’intégration régionale africaine, c’est elle qui – après la signature de l’accord de Cotonou – a prédéfini les zones géographique avec lesquels elle souhaitait négocier. La Cedeao existait avant les APE et elle doit continuer son chemin de façon souveraine. En faisant signe à l’Uemoa puis, quand cela n’as pas marché, à la Côte d’Ivoire pour qu’elle signe indépendamment, la Commission met en danger d’ implosion la région Ouest africaine, elle agit en diviseur. On sait que la Côte d’Ivoire, non PMA, est soucieuse de l’avenir pour ses exportateurs de bananes. Pour nous les solutions à ce type de problèmes doit être trouvé à l’intérieur de la Cedeao par l’accélération de la création du marché régionale. Cette position actuelle de la Commission européenne est très perverse. La Cedeao doit rester inébranlable malgré les pressions, les menaces et les tentatives de corruption de la Commission européenne Si nos États changent de position, nous ne croirons plus à aucun projet venant des décideurs politiques et nous ne pourrons plus les respecter dans l’avenir.
Pour ce qui nous concerne les OP, c’est le Roppa qui a porté jusqu’a présent nos positions dans ce débat et le revirement de l’EU est semble t-il passé jusqu’au niveau de certaines OP exportatrices, ce qui est vraiment dommage surtout pour des avantages aussi conjoncturels. Pour nous, il doit exister des alternatives viables aux APE au sein de nos espaces c’est à cela qu’il faut s’atteler. La Cedeao doit prendre ce problème à bras le corps. La région dispose d’un très grand marché. Par exemple si la Côte d’Ivoire ne peut plus exporter ses bananes dans le marché européen, ces bananes peuvent et doivent s’écouler au sein du marché de la Cedeao. Le Nigeria, avec a une population de près de 140 millions de consommateurs, peut donner du pétrole contre la banane. Si nous ne pouvons pas faire ce genre de choses nous resterons des espaces d’intégration théoriques. Certes, certains pays ont des liens forts avec l’UE, ils vont perdre certains des avantages s’il n’y a pas signature de l’accord. On devrait pouvoir compenser ces pertes au sein de la Cedeao sans problème. Nous revenons de Bruxelles où nous avons rencontré les représentants des autres régions ACP, et tous sont unanimes sur la nécessité de ne pas signer l’accord en l’état actuel des choses. Nous avons décidé la création formelle d’un réseau d’OP des pays ACP pour être plus vigilants ensemble.
GDS : Quelles sont les nouvelles sur la LOA au Mali ?
IC : Concernant la loi d’orientation agricole, nous continuons d’être au cœur du processus. Désormais il s’agit de procéder à l’application concrète de la loi à travers des décrets d’application. Nous capitalisons actuellement de l’information pour bâtir des décrets qui tiennent compte des préoccupations réelle des paysans, comme cela a été le cas pour l’élaboration de la loi elle même. Nous avons déjà des avants projets de texte sur certains domaines comme : le foncier, le statut des personnes et des exploitations familiales, interprofessions, protection sociale, le financement de l’agriculture, le dispositif de communication etc. La question de la protection sociale nous préoccupe particulièrement, c’est notamment pour cela que nous sommes à Paris aujourd’hui, pour rencontrer des représentants de la Mutualité sociale agricole (MSA). Nous souhaitons un accompagnement technique de la MSA sur cette question incontournable.
GDS : Qu’est-ce, pour vous, qu’une « politique agricole » ?
IC : « Une politique agricole, c’est une vision souveraine du développement rural élaborée par un État en concertation avec les acteurs qui en vivent. » J’insiste sur la dimension de souveraineté de l’État car un État qui n’est pas souverain ne pourra pas élaborer et mettre en œuvre une vraie politique agricole dans le monde d’aujourd’hui. Selon moi, la question des moyens ne constitue pas un problème. Les États africains ont des ressources, la question est plutôt celle de leur bonne utilisation. Il importe de reposer la question de la transparence des budgets publics et des affectations budgétaires. Les « engagements de Maputo » sont loin d’être atteints, alors que nombre d’États revendiquent dépenser plus de 10% des budgets dans l’agriculture. Pour beaucoup d’entre eux, tout rentre dans les « engagements de Maputo » y compris le fait de réaliser des piste rurales. Pour nous l’engagement de Maputo signifiait mettre réellement au moins 10% des budget publics dans l’investissement dans les exploitations agricoles paysannes qui en ont absolument besoin pour avancer.
Propos recueillis par Anne Perrin à Paris le 13 novembre 2007