Gandega Silly est actuellement ministre du Développement rural et de l’Environnement de Mauritanie. Il a accepté de répondre aux questions de Grain de sel alors qu’il était de passage à Paris, fin décembre 2005. Le calendrier de publication de la revue étant chargé, nous n’avons pu publier l’entretien dans le dernier Grain de sel, daté décembre 2005-février 2006, et, ne souhaitant pas attendre la prochaine parution (numéro double, publication prévue pour juin 2006), nous vous livrons l’entretien sur notre site. Gandega Sylli y évoque un certain nombre de rendez-vous à venir et d’échéances sur lesquels nous ne manquerons pas de lui donner à nouveau la parole d’ici quelques temps.
GDS : Dans un premier temps, pouvez-vous vous présenter et nous dire quel est l’objet de votre présence à Paris ?
GS : Tout d’abord je tiens à dire que je veux éviter toute langue de bois. Au-delà de mon parcours, ce qui importe c’est la mission que le gouvernement de transition de mon pays a souhaité me confier et les raisons pour lesquelles je suis à Paris.
Si je suis ici à Paris c’est dans le cadre de la 2e réunion du réseau de prévention des crises alimentaires au Sahel. Le réseau réunit les États sahéliens, les partenaires au développement et le Cilss. C’est actuellement la Mauritanie qui assure (depuis 1,5 ans et pour encore 1,5 années à venir) la mission de coordination du Cilss. En tant que ministre du Développement rural et de l’Environnement du gouvernement de transition mis en place depuis le 9 août dernier en Mauritanie, j’assure la coordination du Cilss.
Dès sa mise en place, ce nouveau gouvernement a demandé la visite du secrétaire exécutif du Cilss pour faire le point sur sa présidence et les enjeux de celle-ci. Reçu par le chef de l’État mauritanien, le Secrétaire exécutif du Cilss a présenté l’agenda de l’institution. En effet, quelques grandes dates nous attendent, avec notamment une réunion du conseil des ministres du Cilss en janvier à Bissau, la préparation du forum mondial de l’eau qui se tiendra en mars 2006 à Mexico et qui doit être précédé par le forum pour la coalition pour l’eau au Sahel en février à Nouakchott.
De mon côté je suis allé au siège du Cilss à Ouagadougou afin de rencontrer l’équipe permanente du Cilss, et à Niamey pour voir le Centre régional Aghrymet. De façon générale, je dois dire que j’ai été impressionné par la qualité des experts africains. D’autre part, j’ai rencontré des équipes soudées avec une collaboration entre expertise nationale et transnationale exemplaire. Cela dit, le Cilss a aussi un besoin urgent de renforcement des capacités, et d’appui à la gouvernance. Une de ses principales difficultés réside dans le fait que le Cilss est dépendant pour son fonctionnement des contributions des États membres. Certes le budget de fonctionnement ne représente que 5% mais il est assuré par ces contributions nationales. Or celles-ci, ne sont pas versées (arriérés) par 4 des 9 États membres (le Niger, le Cap Vert, la Guinée Bissau, le Tchad). Ainsi le budget est-il grevé de 1 M FCFA, ce qui n’est pas rien. Ce problème est le signe d’un problème de gouvernance, mais cela donne aussi une mauvaise image du sérieux de l’institution vis-à-vis de ses bailleurs de fonds, qui eux assurent les 95 % restant.
Il nous faut également être plus réactifs, plus pro-actifs. La rencontre de Mexico par exemple est très proche dans le temps et les pays sahéliens ne peuvent y rester sans voix. Or cela se prépare et la Mauritanie sursoit en partie aux difficultés du Cilss en accueillant à Nouakchott le forum pour la coalition pour l’eau au Sahel.
Concernant plus précisément la réunion du réseau de prévention des crises alimentaires au Sahel, je retiens avant tout la qualité et la mobilisation des partenaires présents à Paris ; l’organisation et l’accueil français, mais surtout les présentations se sont avérées de grande qualité. Le Cilss et ses partenaires montrent qu’ils sont capables de rassembler une expertise de grande qualité. La rencontre a abouti à des recommandations sur plusieurs points, parmi lesquels : – le système d’information, les statistiques ; – la gestion de l’information par le Cilss (si les ONG ont pris le devant de la scène, c’est aussi parce que le Cilss n’a eu aucun contrôle sur cette information) ; – le suivi de la mise en oeuvre des recommandations à travers un tableau de bord. Pour ce qui concerne les causes de la crise alimentaire, notamment celle qui a touché le Niger, (puisque c’est ce pays qui a été sous les flashs des médias, mais je n’oublie pas les autres pays touchés, même si on en beaucoup moins parlé), elles ont fait l’objet de débats animés.
L’accès à l’alimentation mais également la malnutrition ont beaucoup été discutés, mais il y a aussi eu d’autres problèmes. Le Cilss avait ainsi lancé l’alerte dès novembre ou décembre 2004, suffisamment tôt pour prévenir la crise, mais à cette époque aucun des partenaires n’avait réagi. Pourquoi ? Je ne sais pas, j’aimerais croire que l’alerte n’avait pas été lancée de façon suffisamment claire pour que les partenaires réagissent, mais je n’en suis pas sûr… Un autre élément pour expliquer la crise et son ampleur est l’élément socio-économique. J’entends par là surtout le manque d’instruction des populations, et la malnutrition chronique. Ainsi, malgré les centres d’information, beaucoup d’enfants traités ont malgré tout rechuté. Des indicateurs de santé publique doivent être mieux pris en compte dans de telles crises, mais également en prévention. Il faut intégrer nutrition, qualité de l’alimentation, femmes, questions sanitaires… On ne peut pas se contenter de suivre les productions et les importations céréalières. Par ailleurs, le bilan alimentaire effectué sous divers angles et avec des objectifs certes concordants mais non coordonnés est difficile à analyser et est trop souvent sujet à caution ou à interprétation. Il faut que le Cilss puisse rassembler les diverses analyses en étant l’institution permettant de coordonner la genèse des informations. Cela se travaille aussi bien au niveau de la région qu’aux niveaux des pays entre tous les partenaires. Évitons de confronter les chiffres obtenus par les diverses institutions, en leur demandant de travailler ensemble pour les enquêtes, les suivis les bilans…
Il faut également comprendre que les déficits alimentaires ne peuvent pas être résolus que par les importations et de l’aide alimentaire. Les gens ont mal compris cela.
Il faut insister de façon plus prononcée sur le déficit en matière de disponibilité de l’alimentation et donc sur le développement. La gestion des crises ne devrait être qu’un dernier recours face à un phénomène conjoncturel (comme les criquets), mais pas à des problèmes récurrents (comme la sécheresse ou une production mal développée). La prévention des crises c’est aussi et surtout le développement.
Le problème des flux transfrontaliers également avait été mal pris en compte. Traditionnellement, une partie des récoltes du Niger part pour le Nigeria. On a entre les deux pays un axe commercial particulièrement actif dans les périodes de soudure. Or cette année, le déficit en céréales était tel que les flux revenant au Niger n’ont pas eut lieu. Ou alors les céréales (notamment) sont revenues sur les marchés à des prix inabordables pour les Nigériens. Une idée-force de la rencontre a été le suivi de la mise en œuvre des recommandations En effet on s’est aperçu qu’après chaque réunion des recommandations étaient faites mais que, faute de mécanisme de suivi elles étaient rarement mises en application.
Est-ce le rôle du Programme alimentaire mondial, de la FAO, des États, de suivre son action ?
En réaction et en réponse à ma proposition, le Club du Sahel a accepté d’appuyer la mise en place d’un outil de pilotage pourtant bien classique : un tableau de bord. Qui fait quoi ? Dans quel délai ? Avec quels moyens et pour quel coût ?
Pour moi le succès de notre rencontre de Paris réside dans cette proposition. Si ce mécanisme n’est pas mis en place, nous pourrons dire que la réunion n’a été qu’un coup d’épée dans l’eau.
Le Club du Sahel a par ailleurs été invité officiellement à entrer dans le dispositif. On n’attend pas de lui un apport financier mais un apport en expertise.
Un draft de présentation de l’outil de pilotage doit être préparé avant le prochain conseil des ministres de début 2006 à Bissau, de même qu’un planning d’activités.
La Banque mondiale appuie le volet information du projet, par la réalisation d’enquêtes agricoles dans certains pays sahéliens (sur ce point, un terrain d’entente doit être trouvé). Un document statuant sur le bilan 2005 et le budget 2006 doit être fait d’ici au prochain conseil des ministres, en mars. Un point sera fait sur l’état d’avancement des recommandations émises.
GDS : Quelles sont les prévisions pour l’année à venir ?
GS : Les prévisions pour 2006 sont bonnes pour la région : tous les pays sont excédentaires, à l’exception de la Mauritanie . On note 71% d’augmentation des récoltes par rapport à 2004. Cependant, la campagne 2005-2006, même bonne compensera-t-elle celle de l’an passé ? C’est une question difficile, mais certains indicateurs mis en lumière lors de la réunion du réseau de prévention des crises alimentaires nous conduisent à une relative prudence. C’est cette même prudence qui nous amène en Mauritanie (et au-delà des chiffres) à mettre en avant que la situation alimentaire reste préoccupante à l’intérieur du pays. Même si l’hivernage 2005 a été satisfaisant dans certaines régions du pays. Les populations souffrent toujours des séquelles de la dernière campagne agropastorale et la saison des pluies n’a pas amélioré, de façon significative, leurs moyens d’accès à la nourriture. Les zones agricoles suffisamment arrosées n’ont pu enregistrer les prévisions escomptées notamment à cause d’un décalage du calendrier cultural qui a permis et favorisé les attaques aviaires, mais également les déprédations par les troupeaux. Dans les zones agricoles à déficit pluviométrique, une grande inquiétude demeure quant aux résultas finaux de la campagne agricole.
L’alimentation des populations repose donc pour l’essentiel sur l’accès aux denrées alimentaires importées disponibles sur les marchés, mais à des prix très élevés. Par ailleurs et cela doit être compris comme un facteur d’insécurité alimentaire chronique : beaucoup d’importations sont réexportées. Il nous faut agir sur les commerçants. Et mieux cibler les gens. En Mauritanie toujours, les petits éleveurs n’ont pas été pris en compte. GDS : Il a été question d’une charte sur l’aide alimentaire. Que pensez-vous de l’utilité d’un tel outil ? GS : Il existe une charte sur l’aide alimentaire avec des règles et principes. Mais cette charte, est très peu connue, certains la disent caduque. De nouveaux acteurs de l’aide alimentaire entrent en ligne de compte. La question est de savoir si l’on doit continuer à appliquer la charte telle quelle, ou bien la modifier.
Roger Blein, expert présent à la réunion a présenté quatre scenarii possible. De façon générale, les gens veulent une application raisonnée de cette charte. Pour moi, il importe avant tout de la faire connaître et voir ensuite s’il y a lieu et comment la faire évoluer peut-être vers une convention internationale sur la sécurité alimentaire.
GDS : Sur la Mauritanie, quel est votre diagnostic de la situation après quelques mois passés au ministère de l’Agriculture ?
GS : J’ai donné récemment un entretien à un organe de presse mauritanien qui reprend plus en détail ce que je vais vous dire ici de façon très brève. Le temps passe et la période de transition n’est… que transitoire. Je crois fermement que la Mauritanie a besoin de faire le point sur le secteur rural ; un état des lieux. Ce que j’appelle une « revue du secteur rural ». Qui fait quoi en Mauritanie ? Quels sont les acteurs du développement agricole, de la sécurité alimentaire, de l’environnement… Quels sont les acquis, les bilans, les analyses sectorielles et sous sectorielles. Quelles sont les politiques, qui coordonne et manage ? Qui met en œuvre les actions ? Comment sont utilisés les fonds publics ou partenariaux, avec quels impacts ? Dans quels états sont nos potentialités productives, aussi bien naturelles (sols, eaux…) qu’en ce qui concerne nos infrastructures…
Je pense qu’un diagnostic sérieux et objectif, une photographie de ce que nous sommes et une compréhension de ce qui nous a menés à ce que nous sommes aujourd’hui, nous permettra, après analyse, à une série de recommandations qui nous projettera vers le futur.
C’est pourquoi je vais lancer ce grand chantier. Sur une base participative, associant les services du ministère et l’ensemble des partenaires du secteur, en commençant par les collectivités locales, les organisations paysannes et environnementales, le secteur dit privé, les institutions publiques dont mon département et celles directement concernées, les partenaires au développement, etc.
GANDEGA SYLLI Économiste, spécialiste en management, GS a commencé sa carrière au ministère du Plan et de l’Aménagement du territoire de Mauritanie, puis au ministère des Postes et Télécommunications suite au rattachement de l’aménagement du territoire à ce département, enfin au ministère de l’Intérieur. Il a ensuite rejoint le programme des Nations unies pour le développement où il est resté douze ans comme économiste national principal et conseiller du représentant résident. Il a ensuite pris un départ volontaire de cette institution et rejoint le Centre mauritanien d’analyse de politiques (CMAP) qui a vu le jour avec son appui comme chargé d’études pour les secteurs sociaux et des infrastructures. Il est ministre du gouvernement de transition mauritanien depuis août 2005.