On pourrait largement doubler la production céréalière de l’Afrique de l’Ouest si on donnait aux agriculteurs les moyens techniques et financiers d’utiliser des engrais chimiques et organiques. Les producteurs le savent. Les scientifiques le prouvent. On peine à comprendre pourquoi ce n’est pas la priorité numéro un des gouvernements.
Si l’aide alimentaire est parfaitement justifiée en situation de famine, il n’en reste pas moins que seule l’amélioration de la production céréalière locale pourra permettre d’assurer de façon durable la sécurité alimentaire des populations de régions comme l’Afrique de l’Ouest, dont l’alimentation dépend en grande partie de cette production.
Cette amélioration est-elle possible et peut-on envisager que cette région puisse diminuer sa dépendance en matière d’importation de céréales ? Pour répondre à ces questions il nous parait utile de prendre en compte les spécificités régionales de la production céréalière.
Plus de la moitié de la production locale est constituée de mil et de sorgho, céréales cultivées en zone sèche dont la transformation conserve un caractère traditionnel et la commercialisation une dimension essentiellement régionale. Dès que les précipitations augmentent ou que l’irrigation est possible, elles cèdent la place au maïs et au riz, céréales préférées par les citadins. Les tentatives de développement de la culture du blé pour répondre à la montée en puissance de la consommation du pain dans les villes se sont soldées jusqu’ici par des échecs.
La fertilité des sols menacée. Sur le plan agro-écologique, la production céréalière de mil et de sorgho, notamment au Sahel, s’est développée historiquement sur les sols les plus légers de la région, constitués pour la plupart sur d’anciens ergs fossiles. C’est le cas dans le bassin arachidier du Sénégal ou le département de Maradi au Niger. Plusieurs raisons expliquent le choix de ces types de sol : ils réduisent la pénibilité du travail, simplifient la préparation des terres et permettent des semis précoces ; mais leur principal intérêt est leur bon comportement hydrique et leur adaptation à l’aridité de la région. En effet, leur texture sableuse limite l’évaporation directe, l’absence de ruissellement optimise l’absorption des pluies et leur profondeur permet de stocker la quasi-totalité des eaux de pluies. Le revers de la médaille, c’est que la fertilité de ces sols est très fugace. Après quelques années de culture, on observe une chute du taux de matière organique entraînant un effondrement de la fertilité des sols et du rendement des cultures qui passe en dessous de la barre des 5 quintaux par ha.
Quand la densité de population était faible, les agriculteurs pouvaient pratiquer des jachères de longue durée, qui permettaient de restaurer la fertilité du sol. Mais ce temps est révolu ; c’est ce qui explique la forte corrélation qui a pu être établie au cours des dernières décennies entre la diminution des surfaces cultivables, de la durée de la jachère et des rendements.
La nécessité de coupler fertilisation minérale et organique. Comment peut-on enrayer une telle évolution ? Il est clair que cela passe par une nouvelle gestion de la fertilité des sols. À la jachère longue peuvent être substitués d’autres moyens d’entretien de la fertilité comme l’association céréales-légumineuses, l’épandage de fumier ou de compost ainsi que l’introduction de l’arbre dans l’espace cultivé. Les paysans du Sahel connaissent ces moyens. Ce sont précisément ceux qu’ils combinent dans les champs proches de leur exploitation et dont la conduite peut être qualifiée, de ce fait, d’intensive, permettant des rendements de 10 à 20 quintaux par ha suivant les années. Si, sur leurs parcelles plus éloignées, ils n’appliquent pas les mêmes techniques et en particulier l’apport de fumier indispensable pour le maintien du taux de matière organique du sol, c’est qu’ils ne le peuvent pas faute de temps. Ainsi, sur une grande partie des terres, on assiste à une évolution régressive où la baisse des rendements entraîne une diminution des moyens permettant l’entretien de la fertilité des sols. Comment sortir de ce cercle vicieux ?
Tant que les rendements sont faibles (< 8 quintaux par ha) et même en situation plus favorable, la fumure organique, fumier ou compost, ne suffit pas à restaurer la fertilité des sols. Le recours aux engrais, en particulier phosphopotassique, s’avère alors nécessaire. L’apport de phosphate permet de corriger la carence, très générale, des sols en phosphore. De même l’apport d’azote, en interaction avec le phosphore, a un effet rapide et très positif sur l’augmentation de la biomasse produite et des rendements, comme l’ont montré de nombreux essais effectués par la FAO, l’Icrisat (Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides) et l’IFDC (Centre international de développement de la fertilisation). Ces résultats s’expliquent par le faible volant de fertilité des sols cultivés, du fait de la faiblesse de leur complexe argilo humique. La fertilité s’effondre aussi vite qu’elle se régénère même avec des doses de fertilisants limitées (50 unités par Ha).
Ceci étant, on ne peut gérer la fertilité seulement par l’apport d’engrais minéraux du fait de l’acidification des sols qu’ils entraînent à long terme. Il est donc indispensable de recourir également aux autres moyens endogènes de gestion de cette fertilité, évoqués précédemment, et qui sont de toute façon à privilégier dans les exploitations familiales du fait du coût des engrais.
En fait, c’est une combinaison des deux types de fertilisation qu’il faut adopter : la fertilisation minérale étant indispensable au redémarrage de la capacité productive des sols, la fertilisation organique s’y associant en proportion croissante au fur et à mesure de l’augmentation de la biomasse produite.
La fertilisation n’est pas la seule technique à améliorer pour accroitre la production céréalière, mais la restauration de la fertilité des sols constitue un préalable aux autres améliorations, culturales comme variétales.
Cette exigence d’un meilleur entretien de la fertilité des sols est également valable pour le maïs, cultivé en zone soudano sahélienne, même quand il bénéficie des arrières effets de la fertilisation du coton auquel il est souvent associé. Quant au riz irrigué, son développement dépend certes de bonnes pratiques agronomiques, mais se trouve très influencé par les politiques de prix et d’importation de céréales.
Il faut impérativement améliorer l’accès aux intrants, et donc aux crédits. Il nous parait important de prendre conscience que la restauration des capacités productives des terres cultivées en Afrique de l’Ouest permettrait sans grande difficulté de doubler les rendements en céréales. Compte tenu des terres cultivables encore disponibles, cette augmentation de rendement représente un potentiel de production qui, s’il était mis en valeur, pourvoirait aux besoins alimentaires des populations actuelles et futures.
À la différence de l’Afrique du Nord structurellement déficitaire en céréales, l’Afrique de l’Ouest dispose d’un potentiel de production en partie méconnu et encore très sous exploité.
On a vu les conditions agronomiques qui permettraient de valoriser ce potentiel. Mais ce changement technique est dépendant d’un certain nombre d’autres conditions. Tout d’abord il faut abandonner l’idée que c’est l’ignorance des paysans qui explique la mauvaise conduite des cultures et la faiblesse des rendements céréaliers en Afrique de l’Ouest. Ceux-ci sont plutôt dus à la difficulté qu’ils ont à s’approvisionner en intrants, faute de crédit et de l’insuffisance des structures d’appui à l’agriculture, même si on assiste à une montée en puissance des organisations professionnelles palliant en partie le désengagement des pouvoirs publics.
Il faut aussi stabiliser les prix. D’une façon plus générale, la valorisation du potentiel céréalier de la région passe par une réduction des différents risques qui s’opposent à l’intensification de la production. Le risque climatique est particulièrement important pour des cultures pluviales comme le mil et le sorgho, avec la récurrence des périodes de sécheresse. La réduction de ce risque passe entre autres par le soutien aux actions de stockage individuel et collectif (banques céréalières villageoises notamment).
Le risque le plus contraignant est le risque économique, lorsqu’aucune régulation ne vient tamponner les fluctuations des prix. Bien rares sont les agricultures qui ont pu se développer sans un minimum de régulation des marchés et de protection des producteurs. Les contraintes particulières de la production de céréales en Afrique de l’Ouest rendent cette exigence encore plus nécessaire qu’ailleurs, même si sa mise en oeuvre se heurte à la faiblesse des États.
En définitive, il est techniquement possible d’augmenter de façon notable la production de céréales en Afrique de l’Ouest. Cette région dispose de ce fait d’un potentiel de production lui permettant de nourrir sa population. Les appuis économiques et institutionnels pour atteindre cet objectif devraient être une priorité afin qu’à l’aide alimentaire récurrente puisse se substituer une capacité endogène de production qui renforce l’autonomie et la souveraineté alimentaire des pays de la région.