Créée en 2010, la Société de promotion et de commercialisation du riz au Sénégal (SPCRS) suscite beaucoup d’espoir. Elle est censée contribuer à une meilleure pénétration du riz local dans les circuits de distribution urbains, et accroître ainsi ses parts de marché au détriment du riz importé. Cette initiative relève d’un véritable pari et les risques d’aboutir à une impasse sont réels.
Avec son retrait de la commercialisation du riz consécutive à la libération de la filière rizicole à partir de 1995, l’État sénégalais avait proposé que les riziers achètent le paddy auprès des producteurs, le transforment et le commercialisent à travers les grossistes urbains. Ce système devait fonctionner grâce à un crédit de commercialisation accordé par les banques (Caisse nationale de crédit agricole du Sénégal — CNCAS principalement). Les rizeries qui disposaient d’équipements capables de satisfaire les exigences de qualité des marchés urbains semblaient alors prometteuses. Toutefois, la gestion peu orthodoxe de certains riziers allait vite éroder la confiance des producteurs (fournisseurs de paddy) et des institutions de crédit à leur égard. Par ailleurs, les grossistes urbains ne voulaient pas s’engager face à un système de commercialisation atomisé qui ne pouvait garantir le volume et la régularité des approvisionnements. Parce que ce système de commercialisation offrait une sécurité insuffisante au crédit agricole, les institutions financières rechignèrent à participer à son financement.
Face à ce blocage, les producteurs prirent eux-mêmes en charge la commercialisation du riz, les riziers devenant de facto des prestataires de services. Presque 70% du paddy destiné à la transformation et à la commercialisation étaient néanmoins contrôlés par des décortiqueuses dépourvues de trieuses et de séparateurs. En conséquence, les marchés ruraux restaient les principaux destinataires de ce riz de moindre qualité selon les standards urbains.
En 2008, la crise des prix agricoles met à nu la forte vulnérabilité du Sénégal par rapport aux importations de riz. En réponse à la crise, le gouvernement initie la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana) et le Programme national d’autosuffisance en riz (PNAR), qui se traduisent par un doublement de la production de paddy en deux ans. Cette hausse exceptionnelle de la production rizicole dans un contexte de déficit d’infrastructures de stockage se heurte de manière criante aux faiblesses du système de commercialisation.
Mise en place d’un nouveau système de commercialisation : un premier projet avorté. Une étude menée en 2009 sur la compétitivité et la commercialisation du riz local sert de point de départ au processus animé par l’État du Sénégal pour résoudre les problèmes de commercialisation du riz local : elle préconise un schéma fondé sur des partenariats locaux (des sociétés locales de partenariats regroupant des producteurs, un rizier et éventuellement un commerçant grossiste, avec pour vocation l’achat, l’usinage et la commercialisation du riz) qui sera éclipsé par la proposition d’une Société de promotion et de commercialisation du riz local (SPCRL), composée de commerçants importateurs et de grossistes, et chargée de commercialiser toute la production de riz sur la base de contrats commerciaux fermes. Pour le gouvernement, l’implication des commerçants importateurs était indispensable pour deux raisons : résoudre la question du financement de la commercialisation (crédibilité auprès des banques) ; et utiliser leurs réseaux de distribution déjà « huilés ».
La création d’une société privée rassemblant importateurs, producteurs et transformateurs. Sous l’impulsion du ministère du commerce et la forte pression des pouvoirs publics, la Société de promotion et de commercialisation du riz au Sénégal (SPCRS) est créée. Particularité sénégalaise, cette société privée est basée sur la concertation interprofessionnelle, choix qui résulte d’une volonté politique forte, exprimée également dans d’autres filières (oignon, tomate, poulet, etc.). L’actionnariat est ainsi composé d’importateurs/commerçants de riz, d’industriels/transformateurs et d’organisations de producteurs. Le pilotage de la société est assuré par un conseil d’administration mixte et un comité technique (chargé du plan d’action) représentant chacune de ces professions.
Dans le cadre de la nouvelle formule de commercialisation, la SPCRS achète le paddy aux coopératives de collecte, utilise des rizeries agréées comme prestataires pour la transformation et fournit ensuite le riz blanc en gros aux commerçants distributeurs. Les coopératives sont supposées obtenir de la CNCAS et des autres partenaires financiers un crédit de commercialisation sur la base d’un système de nantissement des stocks de paddy.
Un démarrage au ralenti. La première campagne de la SPCRS devait démarrer avec la récolte de décembre 2010. Le comité technique de 3 membres (producteur, transformateur, importateur) arrêta le prix de cession du paddy par les producteurs (135 FCFA/kg), le prix de la transformation (16 FCFA/kg), le volume de paddy à acheter (15 000 tonnes) et entérina le contrat entre la SPCRS et les coopératives. Cependant, la société peine à s’opérationnaliser. Elle n’a pas encore mis en place la logistique nécessaire et les mécanismes de financement lui permettant d’acheter le paddy auprès des coopératives. Les attentes par rapport à la SPCRS et les promesses d’achat faites par les coopératives de collecte et de commercialisation ont eu néanmoins un effet dopant sur les cours du paddy, au bénéfice des producteurs.
La SPCRS subit-elle les conséquences de l’approche administrative mise en avant par l’État pour la résolution des problèmes de commercialisation du riz local ? La composition de la SPCRS (importateurs, transformateurs, producteurs) n’est-elle pas source d’inertie, eu égard aux intérêts divergents et aux motivations différenciées de ses composantes ? Qu’en est-il de l’engagement réel des importateurs ?
Depuis 2008, les importateurs de riz ressentent une menace sérieuse sur leurs affaires, du fait des incertitudes liées aux fluctuations des prix mondiaux et aux politiques d’exportations des pays d’Asie du Sud Est, mais également en raison de l’imprévisibilité des décisions que pourraient prendre l’État du Sénégal en cas de crise d’approvisionnement du pays en riz. Cette situation a sans doute incité certains importateurs à envisager une éventuelle diversification de leurs activités dans le marché du riz local. La mise en place de la SPCRS a ralenti ou remis en cause ces initiatives individuelles.
Des pistes à étudier, qui passent par un contrôle qualité. Comment financer la commercialisation du riz local ? À l’image du riz importé, le financement d’un paddy d’inter saison serait possible si la question de l’agréage qualité est résolue. Comment collecter et regrouper un paddy venant d’horizons divers en s’assurant que la qualité est similaire et conforme ? Il y a un minimum de conditions à réunir (taux d’humidité et absence de matières étrangères par exemple). Des efforts ont déjà permis de générer des cahiers de charge pour la production d’un paddy de qualité. La mise en place d’un système de certification, la construction de magasins de stockage de paddy adaptés et situés à côté de rizeries sont des préalables à la mise en œuvre d’un tel système. Les importateurs/commerçants auront à jouer un rôle majeur dans ce système du fait des options qu’ils pourraient prendre sur le paddy pour sécuriser l’approvisionnement de leur marché en riz blanc. Les producteurs qui s’engagent dans ce système de contractualisation pour la production d’un paddy de qualité seraient rémunérés à la hauteur des exigences du marché visé.
Des initiatives en cours offrent quelques pistes novatrices. En effet, des opérateurs privés dans le maillon de la distribution ont initié des contrats d’achat de riz blanc avec des riziers sur la base de cahiers des charges relativement bien élaborés. Ces cahiers des charges abordent des éléments essentiels de qualité du riz local qui fondent l’acceptation de ce riz par les consommateurs urbains : homogénéité de la variété et de la brisure, absence de matières étrangères, absence d’anomalies de grains, et état de blancheur du riz.
Un enjeu majeur et probablement un obstacle potentiel à la pérennisation de ces relations réside dans le respect des contrats (volume, qualité, régularité, prix). Il y a un intérêt certain à accompagner ces initiatives purement commerciales même si elles sont marginales de par leur ampleur. En cas de succès, elles pourraient jouer un rôle pédagogique certain.
Éclairages sur la SPCRS
La SPCRS est une société anonyme appuyée par le gouvernement sénégalais. Elle a été créée pour promouvoir le riz local dans un contexte où les importations couvrent une grande partie des besoins en riz.
Son objectif est de prendre en charge la transformation et la distribution du riz local au niveau national. Dans ce schéma de commercialisation, la collecte est à la charge des producteurs (coopératives de collecte), qui doivent acheminer la production aux usines. La société achète cette production, sous traite la transformation, puis commercialise via les réseaux d’importateurs.
La SPCRS comprend 13 importateurs- commerçants de riz, 16 industriels/transformateurs et 6 organisations de producteurs (Asprodeb, Fongs, FPA, Coopératives de collecte et de commercialisation du riz paddy de Dagana, Podor et Matam). Le capital social de la SPCRS, fixé à 500 millions de FCFA, est détenu à 67% par les importateurs/commerçants, 24% par les producteurs et 9% par les transformateurs. Les producteurs et les transformateurs disposent d’un an pour mobiliser le quart de leurs parts sociales, et de trois ans pour s’acquitter entièrement de leurs obligations. Le pilotage de la société est assuré par un conseil d’administration de 12 membres (8 importateurs, 3 producteurs et 1 transformateur) et un comité technique de 3 membres est chargé d’élaborer un plan d’action de la société.
Selon la directrice de la SPCRS, le véritable problème n’est plus aujourd’hui la qualité du riz local. Des progrès considérables ont été réalisés dans ce domaine. Le principal point de blocage se situe davantage au niveau de la collecte et de la transformation, ce dernier point nécessitant de nombreux investissements (trieuses par exemple pour les rizeries). Elle affirme également que les importateurs trouvent leur intérêt dans ce système : que ce soit pour accroître leur proximité aux producteurs, négocier des prix directement avec eux, ou obtenir des informations sur le marché local.Éléments tirés d’une interview de Fatimata Doucouré Ndiaye, directrice de la SPCRS.