Quelle est la place de l’agriculture dans les négociations sur le climat qui prennent de l’ampleur ces dernières années ? Au lendemain du Sommet de Copenhague, quel bilan tirer de l’intégration des enjeux de développement sous-tendus par l’interaction entre pratiques agricoles et changements climatiques ?
Ces derniers 8 mois, l’agriculture a pris une place croissante dans les négociations internationales sur le régime climatique d’après-2012. En juin 2009, un consensus sur l’importance du rôle de l’agriculture dans l’atténuation des changements climatiques a émergé lors des sessions de négociation onusiennes de Bonn. En novembre 2009, un groupe de contact sur l’agriculture est mis en place dans le cadre des discussions sur le régime climatique post- 2012. L’agriculture est principalement abordée sous l’angle de l’atténuation. Compte-tenu du caractère très nouveau du sujet, l’objectif des négociateurs à Copenhague était avant tout qu’un programme de travail soit lancé sur ce sujet à Bonn en juin 2010, afin de débroussailler les questions techniques et méthodologiques liées à la prise en compte de l’agriculture dans le futur régime climatique.
Quel bilan tirer de Copenhague ? À Copenhague, des avancées importantes ont été réalisées dans le cadre du groupe de contact sur l’agriculture. Le texte réaffirme des principes essentiels : le respect des intérêts des paysans marginalisés, des droits des populations indigènes et des savoirfaire traditionnels, la prise en compte des relations entre agriculture et sécurité alimentaire, le lien entre les actions d’adaptation et d’atténuation. Si le rappel de ces principes généraux est un point positif, il est encore tôt pour connaître les choix qui orienteront leur mise en oeuvre concrète.
Dans sa partie plus opérationnelle, le texte prévoit l’établissement d’un programme de travail : les Parties demandent à l’organe subsidiaire chargé des choix techniques et scientifiques de la Convention de mettre en place un programme de travail lors de sa prochaine session en juin 2010. Cependant, à l’image des autres documents en discussion pendant le Sommet de Copenhague, ce projet de texte n’a pas été intégré à la décision finale de la Conférence des Parties. Son statut est donc incertain. On ne sait pas sur quelle base les négociations redémarreront lors des réunions de Bonn.
Place de l’agriculture dans le régime climatique post-2012 : défis à résoudre. Si des avancées notables sur l’agriculture ont été réalisées en l’espace de 8 mois, elles sont encore loin des enjeux. Outre les questions méthodologiques, l’inclusion de l’agriculture dans le nouvel accord va poser des défis majeurs en termes de solidarité internationale : une approche qui consisterait à considérer ce secteur uniquement sous l’angle de l’atténuation, sans tenir compte des enjeux en matière d’adaptation, de sécurité alimentaire, et plus globalement de durabilité sociale et environnementale, serait improductive. Les opportunités et défis de l’adaptation en agriculture sont effectivement sans appel : réduction des rendements, augmentation du stress hydrique, modification des régimes de précipitations, augmentation des problèmes sanitaires, de l’érosion des sols. Une zone particulièrement vulnérable est désignée : l’Afrique subsaharienne. La question du mode de financement des mesures de réductions des émissions liées à l’agriculture (marché carbone, financements publics) n’a pas encore été abordée mais devra être reliée à celle des investissements publics qui sont nécessaires dans les agricultures des pays en développement.
Le changement climatique, opportunité pour aller vers une agriculture saine, productive, durable? Plusieurs rapports récents mettent en avant la nécessité de changer de paradigme sur l’agriculture, afin de favoriser des modèles plus viables d’un point de vue social et environnemental. Selon un rapport de la FAO sur les mesures permettant de combiner sécurité alimentaire, atténuation et adaptation, les scénarios gagnantgagnant en matière environnementale (séquestration du carbone) et de développement (sécurité alimentaire) portent sur des actions de restauration des terres dégradées, d’irrigation à faibles intrants énergétiques, d’agroforesterie, de conservation des eaux et du sol, etc. Le rapport de la 17e Commission mondiale du développement durable souligne quant à lui la nécessité de concentrer les investissements sur « l’agriculture familiale », « les systèmes écologiquement viables », « l’agriculture biologique », etc. Il est désormais évident que les chantiers ouverts par les crises alimentaire, climatique et financière ne peuvent être résolus par des expédients ou par le seul recours à la technologie ou encore par des décisions unilatérales d’un pays ou groupe de pays. L’agriculture est au centre de ces crises par son effet direct sur le mode de vie de la plupart des pauvres du monde, en même temps qu’elle est facteur de richesse de nombreux pays puissants. Quelle sera la nature du dialogue nécessaire à la conciliation d’intérêts aussi divergents mais sur lesquels le changement climatique et ses impacts jettent une lumière nouvelle d’interdépendance ? Quelles seront les options techniques proposées pour concilier les enjeux du changement climatique, de la sécurité alimentaire et du développement ? Quelle gouvernance est en mesure d’assurer l’atteinte des objectifs ? C’est sans aucun doute le débat qui s’amorce et pour lequel les résistances au changement s’annoncent nombreuses.