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Ceci est un article de la publication "48 : Mécanisation et motorisation agricole en Afrique : entre mythe et réalités", publiée le 15 décembre 2009.

La régulation du marché de l’oignon au Sénégal

Idrissa Wade/Oumar Samba Ndiaye

OignonRégulation des marchésSénégal

Au Sénégal, la production locale d’oignon était fortement concurrencée par les importations, surtout lors des pics de récolte. Des concertations au sein d’un comité oignon, initié par l’Agence de régulation des marchés, permettent de réduire cette concurrence, grâce à un gel temporaire des importations.

L’oignon occupe le premier rang des cultures maraîchères au Sénégal, avec une superficie de près de 5100 ha en 2007. La production locale provient essentiellement de deux zones : des Niayes, bande côtière s’étendant de Dakar à Saint-Louis, et de la Vallée du fleuve Sénégal. Malgré sa forte augmentation, la production locale d’oignon ne couvre pas l’intégralité de la demande du fait de la saisonnalité de la récolte et de la nature du produit qui ne permet pas une longue conservation. Le Sénégal importe donc chaque année entre 60 000 et 80 000 tonnes d’oignon, soit environ 50% de ses besoins intérieurs. Des importations qui posaient il y a quelques années de sérieux problèmes aux producteurs.

La concurrence de l’oignon importé.
L’approvisionnement des marchés sénégalais connaît deux périodes annuelles d’abondance en oignon. La première va de mars à mai avec la présence sur les marchés d’oignons provenant à la fois des Niayes et de la Vallée. La seconde va de juillet à septembre et coïncide avec la deuxième période de récolte dans la majeure partie de la zone des Niayes. Durant ces deux périodes, la présence concomitante d’oignon importé et local sur les marchés entraînait chaque année une forte baisse des prix. En effet le calendrier de l’entrée des importations posait problème à l’écoulement de l’oignon local : les importations démarraient en général dès le mois de juillet (les producteurs hollandais cherchant à se débarrasser des reliquats de stocks avant l’arrivée de la nouvelle récolte) et se poursuivaient jusqu’à la fin du premier trimestre de l’année suivante, alors que les premiers oignons locaux arrivent en février.
Déjà en 1999, la forte production locale entraîna une baisse drastique des prix d’achat aux producteurs : de 100 FCFA l’année précédente, les prix chutèrent en dessous de 50 FCFA. Les producteurs commencèrent alors à s’organiser autour d’un comité provisoire pour faire face aux problèmes d’écoulement de l’oignon. Ils tentèrent de fixer un prix de vente minimum de l’oignon et de réguler la commercialisation. Mais les mesures prises n’ont eu qu’un impact limité. Ce n’est qu’avec la création de l’Agence de régulation des marchés (ARM) en 2002 et la mise en place d’un comité de concertation et de suivi de l’oignon par cette dernière que l’on assiste en 2003 aux premières mesures efficaces de régulation du marché de l’oignon, visant à restreindre les importations d’oignon durant les périodes de production locale.

Le fonctionnement du comité oignon.
Depuis 2003, les concertations initiées par l’ARM réunissent à la même table les professionnels de la filière (organisations faîtières des producteurs, principaux importateurs d’oignon et associations de commerçants, représentants des négociants et intermédiaires), les associations de consommateurs, l’ARM et les services techniques de l’État.
L’objet principal de ces concertations est la fixation de la période de suspension des importations afin de faciliter l’écoulement de l’oignon local. En parallèle, une charte des prix est discutée en vue d’éviter que les consommateurs ne soient lésés. Ce n’est que lorsqu’un accord est trouvé de manière consensuelle sur ces deux points que des mesures sont prises et mises en oeuvre par les services techniques de l’État.
En 2003, le Sénégal a eu recours à la clause de sauvegarde spéciale pour l’agriculture définie dans les accords du GATT pour geler les importations d’oignon du 1 juillet 2003 au 4 août 2003. Cette clause stipule que les gouvernements sont autorisés à prendre des mesures d’urgence en cas d’effondrement des prix sur le marché mondial ou d’augmentation soudaine des importations, afin de protéger leurs marchés et leurs producteurs locaux. En 2004, les restrictions ont fait passer les importations de 14 000 tonnes à 500 tonnes par mois d’avril à août. Cependant elles ont repris dès septembre à 11 000 tonnes. En 2005, anticipant les mesures de restriction, les commerçants ont alors importé plus de 19 500 tonnes d’oignon de janvier à avril. La mise en oeuvre des mesures de blocage des importations dès le 30 avril 2005 pour trois mois n’a pas eu l’effet escompté.
Ceci a entraîné un ajustement des mesures prises. Premièrement, avec la difficulté que pose le recours à la clause de sauvegarde — complexe dans sa mise en oeuvre et limitée dans le temps — un autre mécanisme est mis en place : il s’agit d’un arrêt de délivrance des autorisations préalables et des procès verbaux d’inspection par la Direction de la protection des végétaux (DPV) d’une part et de la déclaration d’importation par la Direction du commerce intérieur (DCI) d’autre part. La non disposition de ces deux documents empêche ainsi toute importation.
En second lieu, la période de restriction va passer de trois mois à cinq mois, allant d’avril à septembre entre 2005 et 2007. À partir de 2007, cette période est précédée de février à mars par une restriction des importations à 2 000 tonnes, assortie d’une clause transitoire permettant aux opérations déjà enclenchées de se dénouer.
La mise en place d’un comité de suivi où les différentes parties prenantes sont représentées vient compléter le dispositif. Ce comité veille au respect des mesures et décide de la levée du gel des importations si les prix à la consommation dépassent ceux prévus dans la charte des prix. En 2007 par exemple, les prix du kilogramme d’oignon au producteur retenus d’un commun accord sont de 130 et 160 FCFA (bord champs) et 160 et 180 FCFA (rendus Dakar) respectivement pour la Vallée et les Niayes. Le contrôle est facilité par l’existence d’un système d’information sur les marchés fournissant l’évolution des prix sur les différents marchés.
Réguler le marché de l’oignon n’est pas si simple, et en particulier, la décision de la levée du gel des importations pose parfois problème. Ainsi, en août 2006, un journaliste du Walf Fadjri relatait : « La levée par l’Agence de régulation des marchés de la mesure de gel des importations d’oignon n’a pas fini de diviser les acteurs de la filière qui se réunissaient, vendredi dernier, au ministère du Commerce. Si les pouvoirs publics, par le biais de l’ARM, sont convaincus de la justesse de cette initiative, les producteurs eux tiennent un autre discours (…). Pour sa part, le président du conseil d’orientation de l’ARM a expliqué vouloir protéger les consommateurs en assurant la disponibilité de l’oignon sur le marché tout en rappelant la pénurie de l’année dernière. Une pénurie qui avait fini par causer une hausse vertigineuse du prix de l’oignon. »

Un facteur de succès : l’intervention de l’État pour la mise en oeuvre effective d’accords consensuels.
La régulation des importations a permis à la fois une hausse de la production locale, de 70 000 tonnes en 2003 à 120 000 tonnes en 2007, mais aussi des niveaux de prix aux producteurs, de 75-100 FCFA/kg à 125-175 FCFA/kg.
Pour résoudre un problème d’offre sur le marché, lié à la concurrence entre l’oignon importé et local, les acteurs de la filière ont donc mis en place un cadre de concertation interprofessionnel. L’animation de ce cadre par l’ARM permet la mise en oeuvre effective des solutions institutionnelles : arrêt des importations, contingentements. L’implication de la DPV et de la DCI garantit l’arrêt effectif des importations. Finalement c’est un partenariat public privés qui conduit les acteurs à s’accorder sur des règles et surtout qui permet aux règles d’être applicables. Ce cas de l’oignon illustre la possibilité de l’émergence de stratégies collectives permettant une régulation concertée des marchés agricoles en relation avec les pouvoirs publics.

L’Agence de régulation des marchés (ARM)
La création de l’ARM témoigne de l’évolution de l’intervention de l’État sénégalais dans le secteur agricole. Jusqu’aux années 90, la régulation de la filière rizicole était assurée par l’État, qui avait le monopole de l’importation et de la distribution du riz brisé. En 1995, la filière rizicole est libéralisée et l’État crée la Cellule de gestion et de surveillance des marchés du riz (CGSMR) qui est censée réguler le marché du riz par le biais de l’information fournie grâce à un système d’information sur les marchés du riz. Cette cellule est érigée en ARM en septembre 2002. Ce changement s’accompagne d’une extension de son champ d’action avec la prise en charge de nouveaux produits (oignon, pomme de terre, banane, mil, sorgho, riz).
L’ARM est une structure administrative autonome placée sous la tutelle technique du ministère du Commerce. Ses missions sont, entre autres, de suivre le fonctionnement et l’évolution des marchés notamment grâce à la mise en place d’un système d’information et d’alerte pour permettre aux décideurs de disposer d’une information sur l’état des marchés, et d’animer un cadre de concertation regroupant les différents acteurs des filières. Un système d’information sur les marchés couvre tout le territoire national grâce au suivi de 174 marchés permanents et 182 marchés hebdomadaires. Ces informations constituent des données nécessaires à la concertation entre les acteurs privés et l’État pour la régulation ; elles servent aussi au contrôle et au suivi du respect des accords obtenus de manière consensuelle suite aux discussions. Ainsi, le mécanisme de régulation adopté par l’ARM se base principalement sur l’information et la concertation.

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