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publié dans Ressources le 10 mars 2010

Entretien avec Jean-Paul Meinrad, membre fondateur de l’Institut régional de coopération et de développement d’Alsace (Ircod) en France

Fert/Jean-Paul Meinrad

Leaders paysan.ne.sOrganisations de producteurs et de productricesFrance

_ Entretien réalisé par Fert en mars 2010.

Fert (F) : Pouvez-vous décrire en quelques mots le parcours qui a fait de vous un leader ? Jean-Paul Meinrad (JPM) : Je suis né en 1936, aîné dans une famille d’agriculteurs alsaciens. Nous serons 4 enfants à la maison, deux filles et deux garçons. A 14 ans, j’ai du quitter l’école communale pour aider mes parents dans les travaux de la ferme. Toutefois, j’ai suivi des cours agricoles complémentaires obligatoires, dispensés à l’époque, par des maîtres itinérants. Comme beaucoup de petites et moyennes exploitations de l’époque, on faisait de la polyculture élevage (tabac, céréales, légumes etc). A 19 ans, la guerre d’Algérie marqua ma première grande sortie hors de ma région d’origine. Pendant 27 mois, j’ai servi dans l’Oranais. A mon retour, ma sœur m’a fait découvrir la JAC (Jeunesse Agricole Catholique), où très vite, grâce à la formation par l’action, j’ai été propulsé dans des engagements et responsabilités grandissantes au sein de mon département, le Haut-Rhin. Par la suite, à travers mon implication dans les JA (Jeunes Agriculteurs), je me suis engagé dans le développement agricole et j’ai ainsi présidé un groupe de vulgarisation dans ma localité. On initiait par exemple des réflexions sur la production de pommes de terre ou de choux à choucroute en recherchant l’innovation technologique. Marié en 1966, je prends avec mon épouse la succession de mes parents sur l’exploitation agricole. Notre famille comptera trois garçons et une fille. Mais alors que je m’engage dans le syndicalisme avec la FDSEA, mon déficit de formation et d’ouverture me font défaut. Je deviens alors accro aux formations que dispense l’IFOCAP dans les régions, mais aussi aux séminaires qui réunissaient de futurs cadres paysans dans l’emblématique centre de Draveil.

F : Quelles fonctions de « leader paysan » avez-vous occupées (et occupez-vous encore aujourd’hui), que ce soit au niveau local, régional, national, international ?
JPM :
D’abord président d’un syndicat local, englobant plusieurs villages, j’ai ensuite été membre d’un conseil d’administration de la FDSEA. J’ai rapidement trouvé cette fonction un peu routinière. Avec un groupe de ressortissants de la JAC et du CDJA, nous avons voulu donner une nouvelle dynamique au syndicalisme de notre région. Sollicité pour le poste de secrétaire général, je suis devenu président trois ans plus tard, et à ce titre vice-président de la Chambre d’agriculture. Elu au Conseil d’administration de la FNSEA en 1971, secrétaire adjoint un peu plus tard, j’ai surtout été responsable de l’enseignement et de la formation professionnelle des futurs responsables, thématique qui me tient particulièrement à cœur. Président du FAFEA (Fonds d’Assurance et de Formation des Exploitants Agricoles) pendant 14 ans, j’ai consacré plus de vingt ans à ce projet, avec beaucoup de passion, de conviction et, je crois, de réussite. Associée à l’engagement, la formation est pour moi un formidable outil d’épanouissement. Membre du Conseil Economique et Social jusqu’en 1992, j’y siège pendant 14 ans et occupe la fonction de vice président de la Section des activités productives et de la Recherche. A l’échelle européenne, toujours au titre de mon engagement à la FNSEA, je suis également membre de la commission consultative de la formation professionnelle au sein du CEPFAR (Centre Européen pour la Promotion de la Formation en milieu Agricole et Rural). Président de la commission des programmes de l’ANDA (Association Nationale pour le Développement Agricole), j’ai contribué à faire évoluer la structure vers la notion de filière de production. En effet, en Alsace, nous avons fait progresser cette idée au sein du SAERA (Service Agricole Economique d’Alsace) dont j’ai été le président fondateur dans les années 80. Cette dernière instance fait office d’interface entre les agriculteurs et les services du Conseil Régional (relecture, mise en forme des projets déposés,…).

F : Avez-vous ou êtes-vous encore engagé dans d’autres fonctions au niveau de la commune, région, pays ?
JPM :
Parallèlement à mes différents engagements dans le monde agricole, j’ai été Conseiller municipal de ma commune d’Illhaeusern de 1971 à 1989, puis Maire de 1989 à 2001. Parallèlement, j’étais Vice-président de la Communauté de Communes du Pays de Ribeauvillé, en charge du tourisme. Mais à 65 ans, j’ai souhaité passer le témoin ! Après mes différentes responsabilités professionnelles, je me suis présenté au Conseil Régional d’Alsace dès la première élection au suffrage universel de 1986. Jusqu’en 1998, j’y ai présidé la Commission Recherche, Enseignement Supérieur et Transfert de technologies. Le leader paysan que j’étais devenu, qui a quitté l’école à 14 ans, n’était pas peu fier de présider cette commission, qui m’a valu l’estime et la reconnaissance des Présidents d’Universités et de Pontes de la recherche alsacienne ; cocorico ! Parallèlement, j’étais membre du bureau de l’Agence de Développement Economique d’Alsace, d’abord au titre de mes fonctions au Conseil Régional puis par simple engagement personnel, et j’occupais des fonctions de trésorier. Partout promoteur de la formation professionnelle, je suis également attaché à la notion de coopération. Ainsi, je suis également membre fondateur de l’association IRCOD (Institut Régional de Coopération – Développement) ayant pour vocation de promouvoir une culture de coopération en Alsace et de soutenir des actions de coopération décentralisée dans les pays du Sud, notamment en Afrique et en Amérique latine.
Toujours dans cette veine de coopération, mais plus proche de nous, dans le cadre des relations avec nos voisins du Rhin Supérieur (Allemagne, France et Suisse), je participe activement au projet commun Recherche et Innovation. Ainsi, je présidais l’Institut Transfrontalier d’Application et de Développement Agronomique.
Aujourd’hui retraité agricole, je suis toujours administrateur du CEJA (Centre Européen d’Etude Japonaise d’Alsace), que j’ai contribué à créer. Du fait d’anciennes relations économiques et culturelles avec le Japon initiées dans les années 80, des liens forts existent entre l’Alsace et le Japon et quatre importantes entreprises japonaises ont toujours des activités dans la région. Ce centre permet une bonne intégration des familles japonaises des cadres de ces entreprises. Fervent catholique, je suis encore aujourd’hui président du Conseil de ma paroisse, et je suis par ailleurs membre de la chorale depuis l’âge de 16 ans ! Président animateur de l’association locale des retraités (baptisée Les Fleurs de l’Ill, du nom de la rivière locale), j’invite les membres de l’association à participer à des formations en informatique, à des cours de gymnastique, des conférences et autres sorties culturelles.

F : Quelles sont, selon vous, les qualités d’un bon leader ?
JPM :
Il faut bien se dire qu’on n’est jamais leader tout seul. Il faut avoir de réelles facultés à travailler en équipe, être à l’écoute ; mais également savoir encaisser les échecs et en tirer les leçons qui s’imposent. Il faut également être persévérant, avoir une ambition raisonnée, ce qui va de paire avec le fait d’accepter de ne pas tout savoir et d’être en formation permanente.

F : Comment le devient-on ?
JPM :
Le plus souvent, on devient une référence dans son secteur à partir d’un défi que l’on s’est lancé. Par rapport à sa situation personnelle face à son environnement, on s’interroge : « que pouvons-nous faire par nous-mêmes pour améliorer cette situation ? » On peut également être interpellé, sollicité par ses pairs pour mener une action, conduire un projet collectif. Cette posture suppose d’être disponible aux autres, de savoir s’organiser mais il est important de toujours agir dans le cadre d’une structure où on travaillera dans une émulation collective. C’est dans un tel cadre que l’on s’épanouit et que les idées prennent corps. La structure permet de fixer des objectifs, une direction, et on évite de papillonner. Dans un tel engagement pour le collectif, il est souvent difficile de concilier vie familiale, fonctionnement de son exploitation et engagement. Aussi, il est important de s’appuyer sur un même idéal partagé au sein du couple, pour que le conjoint et les enfants acceptent et comprennent les absences fréquentes du mari et père.

F : Qu’est-ce qui vous a motivé dans votre engagement professionnel ?
JPM :
Quand j’étais jeune, de façon un peu confuse, je percevais la situation injuste des petites et moyennes exploitations. Les paysans étaient souvent dans des situations de survie, manquaient de formation et du même coup de perspectives. Le mépris à leur endroit n’était jamais loin. Et l’inertie de mon environnement à vouloir changer les choses était désespérante. Mes premiers contacts avec la JAC m’ont fait découvrir que d’autres partageaient ce même sentiment et le « Voir, Juger, Agir » en équipe, l’enthousiasme communicatif des responsables aînés ont fait le reste. Ce fut ma première base de formation, qui reposait sur les notions d’engagement, de courage et d’ouverture. Alors, une espérance est née!

F : Quel rôle a joué votre famille dans celui-ci ?
JPM :
La présence et le soutien de ma famille ont été fondamentaux pour moi. Il faut bien se figurer le contexte de la sortie de guerre en février 1945. Mes parents n’avaient plus rien, la maison et les étables étaient complètement rasées et les champs minés. Ma scolarité a débuté sous l’occupation nazie où la pratique du français était bannie et je n’ai pas eu classe pendant les combats de novembre 1944 à mars 1945. Ainsi, à 9 ans, je ne parlais pas un mot de français, seulement un dialecte alsacien. Quelques années plus tard, malgré les difficultés et le besoin de main d’œuvre à la ferme, mes parents ont accepté que je m’absente pour des réunions, des sessions de formation et tout ce qui s’en suivait ! Parallèlement, mon père m’a laissé très tôt innover dans la conduite de la ferme. Avec mon épouse d’origine vigneronne et militante de la Jeunesse agricole catholique féminine, nous avons partagé le même idéal et la même conviction. Elle n’a pas hésité à suivre des formations en gestion et en techniques agricoles pour pouvoir suivre les travaux durant mes absences. Malgré la charge des enfants et les tâches ménagères, elle enfilait les bottes et conduisait le tracteur ! En marge, elle participait activement aux réunions de groupes d’agricultrices. Elle a été d’un soutien sans faille, me remontant le moral quand je revenais tête basse après des réunions décevantes. Sans la complicité des épouses, aucun “leader” n’existerait !

F : Quelles principales difficultés avez-vous rencontré ?
JPM :
En plus de celles que j’ai déjà citées, je peux dire que la question de la langue a constitué un frein au départ. En effet, au niveau local, le dialecte alsacien était de mise pour ne pas être taxé d’intellectuel qui se croyait « au dessus de la mêlée ». Et à l’inverse, au niveau national, mon accent faisait ricaner ! Mais très vite, je me suis moqué de tout cela. A mon sens, le défi à relever, c’était avant tout l’incompréhension de nos pairs et la difficulté de les faire adhérer à nos objectifs. La persévérance et le fait de réussir à se motiver en permanence aide à se relever après les échecs.

F : L’ouverture à l’international a-t-elle compté dans votre parcours de leader ? De quelle façon ?
JPM :
Très tôt, le fait de côtoyer des collègues étrangers m’a ouvert de nouveaux horizons. Je me rappelle notamment que le MIJARC (Mouvement international de la Jeunesse Agricole Rurale et Catholique), présidé par le français Michel Debatisse, avait rassemblé en 1965 à Stuttgart plus de 100 000 jeunes. Et puis, les réunions des responsables FDSEA –FRSEA Alsaciens et nos collègues du Bauern Verband du Bade Wurtemberg étaient régulières et des actions syndicales communes ont scellé des liens interpersonnels forts. Au niveau européen, à travers le CEPFAR, j’étais en contact professionnel et souvent amical avec mes homologues des Pays-Bas, du Danemark, du Luxembourg, de la Belgique, de l’Espagne ou encore d’Italie. Ces relations m’ont d’ailleurs permis de créer dans les années 80 le CEDEPI (Centre Européen de DEveloppement et de Promotion de l’Innovation en milieu rural).

F : Souhaitez-vous ajouter quelque chose pour les leaders paysans ou futurs leaders qui liront votre interview ?
JPM :
Il faut surtout se garder de donner des leçons, mais je peux leur donner un conseil : il faut toujours être vrai, bâtir un projet en équipe et faire confiance aux autres. Au sein d’une structure (OPA), les responsables se construisent et militent pour un projet commun. Rappelez-vous qu’en dehors de cette structure, nous ne sommes qu’une « personnalité individualisée et éphémère ».

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