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publié dans Ressources le 10 avril 2010

Entretien avec Jean Coulibaly, Secrétaire aux relations extérieures de l’Association des organisations professionnelles paysannes (AOPP) du Mali

AFDI/Jean Coulibaly

Leaders paysan.ne.sOrganisations de producteurs et de productricesMali

Entretien réalisé par Josiane Guéguen (Afdi) en avril 2010.

Josiane Guéguen (JG) : Pouvez-vous raconter votre parcours, de votre village de Douga jusqu’à la présidence de l’Association des Organisations professionnelles paysannes du Mali que vous avez exercée pendant treize ans ?
Jean Coulibaly (JC) :
Je suis allé à l’école jusqu’en 9e année (l’équivalent de la classe de 3e en France). Mais je n’ai pas pu passer mon examen à cause des grèves qui ont duré cette année-là. Je suis revenu au village et pendant la saison sèche, comme tous les jeunes, j’allais à l’aventure, en Côte d’Ivoire le plus souvent, pour faire n’importe quel travail. Avec l’Afdi-Bretagne, on a commencé à s’organiser en OP et je me suis retrouvé secrétaire du Groupement pour le développement des paysans de Ségou (GDPS). Au niveau des membres du groupe, on n’était pas nombreux à être allés à l’école et à écrire le français. C’est pour ça que je me suis retrouvé à ce poste.
Ensuite, des organisations paysannes se sont réunies au niveau du Mali pour mettre en place une structure qui, après plusieurs réunions, s’est développée en « Commission paysanne ». Chaque OP membre devait nommer un délégué pour faire le lien entre la base et la Commission. Le GDPS m’a désigné à ce poste. Quand la Commission Paysanne s’est officialisée en devenant l’AOPP, je n’étais pas dans le bureau mais je participais à toutes les rencontres. Je réagissais, je disais ce qui n’allait pas. C’est pour cela – mes collègues me l’ont dit après – que j’ai été élu président au moment du renouvellement du bureau de l’AOPP en 1996. Je le suis resté jusqu’en 2008, soit pendant treize ans. Les statuts ne me permettaient pas de rester plus longtemps mais, même sans cela, j’avais décidé de quitter la présidence. Il fallait changer. Je suis encore dans le bureau national où je suis secrétaire aux relations extérieures. J’occupe ce même poste dans le bureau de ma région et dans la nouvelle « Plateforme riz » qui s’est mise en place depuis peu.
Pendant toute cette période, j’ai été aussi conseiller du chef de village, deuxième adjoint au maire de ma commune de 1998 à 2003, président national du Fonds de développement en zone sahélienne (projet financé par le FIDA). Ce n’est pas toujours facile de concilier les choses mais chaque chose que tu apprends dans une organisation est utile dans l’autre. Tout ça se complète.

JG : Être leader, pour vous, qu’est-ce que ça signifie ? Quelles sont les motivations pour le devenir ?
JC :
Pour moi, un leader, c’est quelqu’un qui doit défendre la cause de l’agriculture et l’intérêt du milieu rural. Depuis que je suis enfant, j’ai l’amour de l’agriculture et quand j’étais à l’école en ville, je ne pensais qu’aux vacances pour pouvoir aider mon père dans les champs. J’ai eu la chance de partir en France avec le Groupement pour le développement des paysans de Ségou (GDPS) et d’être ainsi informé de beaucoup de choses. Mon ambition était que tous les paysans puissent être ainsi formés et informés. C’est ça qui nous manque au Mali. Les formations et les voyages m’ont permis de savoir ce qu’est la globalisation, la mondialisation et les enjeux de l’agriculture. Même si j’ai encore du mal à les expliquer aux collègues du village, ça m’a permis de faire comprendre pourquoi il est absolument nécessaire de s’organiser. Sinon, on ne peut rien. Parfois, même organisés, on ne peut pas grand-chose et c’est décourageant. Mais il faut continuer…

JG : Quelles sont les qualités pour être un bon leader ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
JC :
Un bon leader, pour moi, c’est quelqu’un qui écoute, qui se renseigne avant de prendre une décision, qui se préoccupe de restituer fidèlement ce qu’il a appris. Tu ne peux pas être un leader tout seul ! Ce n’est pas facile tous les jours. Dans l’OP, certains ont du mal à comprendre qu’on n’a pas toujours assez de moyens et qu’il faut faire des choix. On peut te critiquer de manière que tu trouves injuste.

JG : Y a-t-il un ou des leaders que vous admirez et pourquoi ?
JC :
Je pense à Mamadou Cissoko au Sénégal, à Bassiaka Dao ou Jacques Bonou au Bénin, à Faliry Boly au Mali. En causant avec eux, tu as toujours des choses à apprendre. Ils ont une façon de diriger les débats et les rencontres qui te donnent l’impression d’être plus intelligent.

JG : Comment mettre au courant la base ? Comment les tenir au courant des grandes orientations ? Comment se tenir informés de leurs conditions de vie, de leurs problèmes, de leurs revendications quand on passe beaucoup de temps à la capitale ou même à l’extérieur ?
JC :
Si tu perds le niveau avec la base, c’est grave parce que tu manques d’information sur ce qui préoccupe vraiment les paysans. Et vice-versa : la base aussi continue à ignorer ce qui se prépare en haut. Je me posais beaucoup de questions sur ce point. Ma réponse, c’est que si je vais à Bamako, ce n’est pas pour aller dans un bureau de ministre climatisé pour parler de n’importe quoi. Ce n’est que pour parler de l’agriculture, toujours de l’agriculture. Toutes les différentes missions que je fais, c’est pour que les paysans du Mali puissent gagner leur vie dans ce métier, être écoutés, formés. On parle de la même chose, que ce soit dans le champ ou bien dans les bureaux. Et, au bout du compte, c’est le leader qui est le plus fatigué, surtout que les fonctionnaires essaient souvent de semer le doute sur nous, de nous diviser.

JG : Selon vous, comment sont perçus les leaders des OP par la base ?
JC :
Je crois qu’elle nous juge aux résultats. Si tu ne te bats pas pour la cause, elle le sait très vite et cela se joue aux prochaines élections.

JG : Quelles sont vos relations avec les salariés de l’OP ? Comment les avez-vous recrutés ? Quel doit être leur rôle à vos côtés ?
JC :
C’est un problème très compliqué. Nous avons eu des difficultés à l’AOPP, traversé des moments très difficiles. Parfois, j’ai même eu envie d’abandonner mais il n’y a pas le choix : il faut que le mouvement paysan continue. On a résisté en informant largement autour de nous. On a pris des décisions pour ne plus connaître les mêmes situations. Par exemple, certains salariés ont été embauchés parce qu’ils avaient des relations d’amitié avec un élu. Après, tu ne peux plus les critiquer sans créer des problèmes au bureau et les salariés peuvent en profiter pour se cacher derrière l’élu. Désormais, on a décidé qu’il y aurait un appel d’offres et une commission de recrutement dans laquelle on impliquera des structures extérieures. Ce sera des embauches sur compétences et non d’amitié. Sur leur rôle, c’est le président qui est responsable, en lien étroit avec le coordinateur ou le directeur qui suit la gestion au quotidien. Dans certains programmes, on voit que le coordinateur se met au-dessus. Pour travailler avec les paysans, il faut savoir accepter leur langage parfois brutal, ne pas parler ni décider à leur place mais faire ce qu’ils te demandent, même si vous avez un diplôme qui pèse des kilos. Un coordinateur ne doit rien faire sans appeler, sans prévenir. S’il y a du respect et une bonne coordination entre le président et le directeur, s’ils parlent le même langage, ça fonctionne…

JG : Quelles sont vos relations avec les partenaires? Vous est-il déjà arrivé que vos partenaires aient des attentes différentes des paysans de l’OP et dans ce cas, comment le gérez-vous ?
JC :
Par rapport au partenaire, je suis très direct : c’est le partenaire qui a l’argent et propose le projet, mais aujourd’hui en tant qu’OP nous devons apprendre à lui dire : “cela ne m’intéresse pas“. On n’ose pas encore assez dire non alors que l’on sait très bien que parfois, l’argent du partenaire, c’est du poison ! On n’a pas encore assez confiance en nous. A l’AOPP, nous avons accepté tous les projets parce qu’on se disait que le Mali est tellement vaste et les régions tellement différentes qu’ils pouvaient toujours répondre aux besoins d’une zone. En fait, les problèmes qu’on a eus, c’était rarement pendant la durée du programme mais à la fin. Par exemple, la gestion du fonds d’appui dans le cadre du programme de professionnalisation : à la fin, le partenaire a changé complètement sa manière de fonctionner et ça a secoué toute la structure.

JG : Et avec l’Etat ?
JC :
C’est avec l’Etat que c’est le plus compliqué. Au Mali, il y a encore peu de considération envers le mouvement associatif, même si ça bouge un peu. Dans les ministères, on commence à bien collaborer avec les conseillers mais la décision revient toujours aux politiques et c’est là que ça coince. Même si l’AOPP, en tant que tel, n’est pas marquée politiquement, tout le monde au Mali sait de quel parti sont ses membres, et cela joue dans les décisions que prend tel ou tel ministre. Aujourd’hui, il y a de grands discours sur le rôle de l’agriculture mais il n’y a pas grand-chose de changé sur le terrain. Il est impossible aux paysans d’avoir la gestion directe de programmes ou de projets. Il n’y a pas pu y avoir d’implication concrète des OP dans l’Initiative riz, par exemple.

JG : Comment vous êtes-vous formé ? Comment se prépare-t-on à aborder des représentants de l’Etat ou des bailleurs internationaux ?
JC :
Il n’y a pas qu’une manière : se former. J’ai arrêté en 9e mais je ne me suis jamais senti faible à cause de ça. Quand je suis allé en France les premières fois, j’avais peur de ne pas trouver les mots. Je me suis rendu compte que j’avais la compréhension des choses. Ce qui manquait, c’était seulement le vocabulaire et la manière de parler un bon français. Avec l’AOPP, nous avons développé notre capacité de plaidoyer-lobbying. C’est le plus important. Et nous avons appris à choisir nos partenaires pour bien préparer les dossiers.

JG : Est-ce qu’on peut se préparer à devenir leader ? Comment identifier les futurs leaders, préparer la relève ?
JC :
C’est pas parce que tu as été à l’école que tu vas devenir un meilleur leader. C’est dans le caractère. Celui qui a travaillé d’abord avec la daba, celui-là seul peut défendre vraiment la cause. Pour identifier les futurs leaders, on observe beaucoup. Dans un groupe, on regarde comment chacun marche, parle, répond, agit, s’il est rapide ou lent. Ensuite, on en parle entre nous, pour voir si les avis se recoupent, ou non. A l’AOPP aujourd’hui, on a un président qui ne parle pas le français. Pour nous, ce n’est pas un problème. C’est ce qu’il fait et ce qu’il dit au Mali qui compte. Et on peut l’accompagner pour tout ce qui demande l’usage du français.

JG : Comment assurer la vie de famille financièrement quand on est leader paysan d’une OP faîtière ? Comment gérer son temps entre l’exploitation et les fonctions de leader ? Continuez-vous à cultiver ? Etes-vous pris en charge financièrement par votre OP ?
JC :
Pour cultiver, les enfants sont là. Le gros de mon travail, c’est de donner les conseils. Là où je suis le plus présent, c’est dans les champs que j’ai commencé à cultiver en zone irriguée, 3 ha dans le casier de l’Office du Niger à M’Bewani. Dans la zone irriguée, je suis vraiment dans mon champ, avec le manœuvre, du repiquage à la récolte, dès que j’ai un moment. Je peux dire que c’est parce que je suis leader que j’ai pu avoir de la terre dans la zone de l’Office du Niger. Si j’avais été un petit paysan sans responsabilité, j’aurai souffert. Là, ils n’ont pas osé me refuser : ça aurait fait trop de bruit. Ce n’est sans doute pas normal mais j’en ai profité. Pour la prise en charge par l’OP, au début, on avait 2 000 FCFA par jour quand on allait en mission ou en réunion. C’était vraiment peu. Il arrivait qu’on rentre avec des dettes et on faisait rétrograder la famille. Maintenant, on a 10 000 FCFA par jour et le remboursement des frais de transport. On peut payer nos frais et faire vivre un peu la famille avec le reste. Mais il faut comprendre que ce sont d’abord nos récoltes qui assurent la vie de la famille. Tu ne peux t’en occuper seulement avec ce que te rembourse l’OP. C’est vrai que cet argent crée de l’incompréhension à l’extérieur de la structure mais c’est normal d’être pris en charge pour le travail qu’on fait pour tout le monde paysan.

JG : Quels sont les principaux défis pour les leaders d’Afrique de l’Ouest aujourd’hui, à votre avis ?
JC :
On nous en demande toujours plus puisqu’aujourd’hui les dossiers sont à l’UEMOA, à l’OMC, à l’Union européenne et il faut se mettre à leur niveau. Heureusement, le réseau Roppa nous aide. On se forme, on tisse des relations et c’est ça qui nous fait progresser.

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