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publié dans Ressources le 5 février 2010

Entretien avec Mariam Sow, Coordinatrice de l’ONG Environnement et développement Protection de la nature (Enda Pronat) au Sénégal

Mariam Sow/Nathalie Boquien/Voninandro Harrivel-Pelon

Leaders paysan.ne.sOrganisations de producteurs et de productricesSénégal

Entretien réalisé par Nathalie Boquien et Voninandro Harrivel-Pelon (Inter-réseaux – Grain de sel) à Paris le 5 février 2010.

Grain de sel (GDS) : Pouvez-vous nous dire quelle est la place des femmes dans le leadership des OP au Sénégal ?
Mariam Sow (MS) :
Je crois que, d’une manière générale, les femmes sont des leaders cachés qui peuvent se dévoiler à certaines occasions. La femme africaine est naturellement leader. Ce sont toujours les femmes qui ont dirigé la vie de famille, mais de manière fine et discrète. De plus en plus, avec les mouvances de développement actuelles, leur leadership devient visible. Elles ont quand même besoin pour cela d’être soutenues car culturellement, elles ont été habituées à rester cachées. C’est important de leur faire comprendre que le monde a évolué, que les choses ont changé, que les hommes aussi ont changé, et qu’il faut donc qu’elles se dévoilent, qu’elles arrivent à montrer qui elles sont. C’est là où, au niveau de Pronat, nous essayons de leur donner un coup de pouce.
On a pu constater qu’un certain nombre de tâches sont confiées aux femmes que ce soit au sein de la famille ou dans les organisations paysannes, sans pour autant qu’elles soient reconnues par les décideurs. Comme les femmes sont finalement toujours présentes dans les activités, on pourrait croire qu’il n’y a pas de malaise et qu’elles ont toute leur place. Mais c’est en creusant qu’on se rend compte qu’elles restent écartées. De la même façon, on a voulu soutenir prioritairement les activités des femmes en renforçant des groupements spécifiques féminins qui gèrent des activités comme les tontines ou des champs collectifs. Les politiciens savent aussi valoriser l’existence de ces groupements pour leur électorat. Mais c’est aussi une manière de les maintenir à part, hors des autres activités de développement.
Maintenant je crois cela change. Les femmes arrivent à partager les mêmes dynamiques que les hommes. Et c’est vraiment ainsi qu’elles se renforcent et que l’émergence commence.
On constate donc que les femmes revendiquent de plus en plus à avoir un pouvoir de décision pour faire changer les choses dans le cadre du développement de leurs localités.
Dans les OP, en tous cas celles qui travaillent avec Pronat, le leadership des femmes se dessine très bien. Il y a des femmes qui dirigent par exemple des Unions mixtes, qui regroupent 5 à 10 villages et qui se rattachent elles même à une Fédération qui porte la vision d’une agriculture saine et durable que nous cherchons à promouvoir. Certaines femmes ont également des rôles importants au niveau de la Fédération, notamment celles qui ont géré des mutuelles d’épargne et de crédit. C’est dans la communauté rurale de Zinder (qui est à proximité de Dakar) que le leadership des femmes est remarquable. Hommes et femmes discutent de manière égalitaires.
Mais cette évolution est assez récente.

GDS : Ces femmes rencontrent-elles des oppositions, des blocages, de la part d’autres personnes ?
MS :
Effectivement, on ne peut pas émerger sans pour autant qu’il y ait de blocages. Mais la force des femmes, c’est de pouvoir faire face à ces blocages. Et les blocages ne viennent pas toujours des hommes mais aussi des femmes elles-mêmes !
Il y a eu par exemple une femme de Zinder qui a dû vraiment se battre pour assurer la présidence d’un conseil rural car dans sa campagne, des femmes s’opposaient à elle. Et c’est la voix d’une femme qui l’a empêchée de passer. Inversement, on trouve des hommes qui acceptent de soutenir les femmes et de « battre campagne » pour les femmes !
On observe aussi des blocages entre femmes rurales et femmes urbaines. Les groupements de femmes rurales se retrouvent parfois en réseau au niveau national avec d’autres groupements féminins du monde urbain : très souvent on constate que les femmes du monde rural se font écraser par celles du monde urbain. Au niveau national, les femmes rurales sont donc effacées. Mais celles ci se sont décidées à se démarquer, à se mettre ensemble pour faire émerger leur leadership au niveau national. Et elles se sont elles mêmes organisées dans un réseau national, le réseau Dimitra que nous coordonnons et elles arrivent à s’affirmer. Cela leur donne ensuite une force pour s’affirmer davantage au niveau des institutions de décision locales, par exemple, dans le conseil rural. Elles y sont de plus en plus présentes car elles se sont rendues compte, notamment pour l’accès aux ressources foncières, qu’elles ont effectivement besoin d’être là où cela se décide.

GDS : Pourquoi d’après vous certaines femmes s’opposent au leadership d’autres femmes ?
MS :
Il y a plusieurs raisons. Certaines femmes se bloquent un peu elles-mêmes et subissent l’influence de leur famille car un oncle est venu leur parler, un frère ou un ami se présente aussi à la même fonction. Il y a aussi de façon naturelle certaines femmes qui sont jalouses. Mais ça fait aussi partie de notre nature.

GDS : Est ce que le leadership féminin est toujours comme celui des femmes de Zinder ?
MS :
Les femmes du Zinder sont vraiment des femmes capables, qui n’hésitent pas à développer leur point de vue face à n’importe quel type de personne. Car ce n’est pas toujours le cas. On constate aussi que certains leaders féminins sont « fabriqués », c’est-à-dire qu’on a porté sur le papier « leader » mais en réalité, elles n’en ont pas les capacités. Par exemple, certains projets exigent une équité entre hommes et femmes. Certaines femmes sont mises à des postes à responsabilités sans pour autant qu’elles soient en mesure de défendre ou de porter réellement des idées. À force de chercher l’équité, on risque de mettre des femmes qui sont juste des figurantes et je crois que ça ne nous renforce pas ! Renforcer les femmes, c’est les mettre aussi là où elles pourront justifier leur présence. C’est, je pense, une dérive de l’approche genre. On rencontre souvent cette dérive dans le système du commerce équitable. L’équité est imposée dans les « règles du jeu ». C’est obligatoire pour obtenir le certificat. Les paysans sont donc obligés de fabriquer une équité, mais une équité qui n’a pas de sens, car elle ne se retrouve pas en terme de capacités, et en réalité la femme continue à suivre l’homme et c’est l’homme qui décide et fait tout !

GDS : Pour vous, cela veut dire quoi une femme qui n’est pas prête à être leader ?
MS :
C’est une femme qui ne devient pas leader malgré la place qu’elle a. On l’appelle présidente ou trésorière, mais concrètement elle ne cherche pas à jouer son rôle. C’est une femme qu’on a porté sur le papier « leader » mais en réalité elle n’en a pas les capacités, c’est à dire qu’elle ne s’affirme pas quand il faut vraiment dire non. Par contre, une femme prête à être leader développe des capacités de réflexion qui font que hommes et femmes la reconnaissent et acceptent qu’elle gère tel programme ou telle association. Il faut donc qu’elle arrive à développer de façon visible les compétences qui la portent au pouvoir. C’est là où l’on peut dire qu’il y a un leadership qui se dessine.

GDS : Pensez-vous qu’on peut préparer les femmes à devenir leader ?
MS :
Oui, on peut bien sûr aider les femmes à devenir leader. Elles sont en grande partie analphabètes ce qui est un frein important. C’est pourquoi les programmes d’alphabétisation et de renforcement de capacités sont pertinents. Je crois que le grand défi est la scolarisation de nos filles ; il faut arriver à inclure un équilibre entre filles et garçons dans l’éducation, aussi bien au sein de la famille qu’à l’école. l faut donner la même chance de développer leurs capacités à tous les enfants. Et c’est comme cela que les leaders émergeront de façon naturelle. C’est par l’éducation qu’on inscrira cette préparation au leadership dans la durabilité. Parallèlement, il faut renforcer les capacités des leaders déjà en place, même s’il faut aussi avoir naturellement un certain gabarit pour devenir leader. Un leader parachuté peut profiter de son parachutage pour se développer. Ça peut arriver. Mais l’inverse aussi arrive, c’est à dire qu’elle reste une figurante sans se développer. Parfois, d’autres femmes qui n’étaient pourtant pas choisies comprennent l’enjeu et parviennent à se rendre visibles et à récupérer la place. Cela crée de la concurrence à l’intérieur du groupe et quelque fois elle n’est pas mauvaise, ça permet aussi à chacun de gagner sa place !

GDS : Et au niveau de Pronat, comment aidez-vous ces femmes à développer leurs capacités de leadership ?
MS :
Notre démarche est de mettre hommes et femmes sur le même pied d’égalité. Nous faisons donc en sorte que les formations que nous organisons intéressent à la fois les hommes et les femmes. Nous mettons aussi en place des programmes spécifiques de renforcement des capacités. Notre démarche est de s’appuyer sur une activité concrète. Une formation théorique qui dit comment il faut être, ce qu’il faut accepter et refuser n’est pas pertinente…C’est à travers les activités que nous conduisons que nous parvenons à identifier des thèmes de formation.
Par exemple, nous organisons des formations sur les enjeux de la décentralisation ou sur l’accès au foncier des femmes. C’est à travers les problèmes rencontrés par les femmes que ce thème est ressorti. Les femmes se sont heurtées à des problèmes fonciers, elles ont demandé des terres et on leur a affecté des terres qui n’étaient pas bonnes. Elles se sont donc demandées pourquoi. Or, au Sénégal, il y a une loi qui s’appelle la loi sur le domaine national qui donne le droit d’accès à la terre aux femmes. Mais il faut déjà comprendre ce que dit cette loi puis formuler une demande. Mais même si une femme formule sa demande, cela ne suffit pas, car la demande passe ensuite au niveau d’un conseil rural où 80% sont des hommes qui ne sont en général pas prêt à accorder une terre à une femme. Ils l’ont dit eux mêmes, une terre c’est un pouvoir ! Il est donc important que des femmes soient présentes au niveau de ce conseil, afin qu’elles puissent plaider leur cause.
Quelquefois, on prétend que c’est la religion ou la tradition qui interdit l’accès des terres aux femmes. Encore une fois, si on ne comprend pas ce que dit la religion, on ne peut pas agir ! On met donc en place des espaces de concertation entre les hommes, les femmes et les religieux. On demande aux religieux de dire devant les femmes, devant les hommes, ce que dit la religion sur le foncier. On essaye d’avoir des informations claires et d’analyser avec eux pourquoi la tradition empêche l’accès foncier aux femmes. Puis on analyse de nouveau la loi. Après avoir compris tout ça, les femmes réalisent la nécessité pour elles d’être présentes dans les instances de décision. Et pour y être, il ne suffit pas de se lever et de dire que « j’y vais ! ». Il faut aussi comprendre toutes les procédures d’élections. De nouveau, un travail de renforcement de capacités est nécessaire.
Dans la mise en œuvre même des activités, nous cherchons aussi à donner une juste place aux femmes. Par exemple, si on prend le cas du fonio bio. Il est produit par les hommes et les femmes, et Pronat travaille sur la transformation de ce produit afin d’augmenter la valeur ajoutée. Ce sont les femmes qui assurent les fonctions techniques post-récolte (le vannage, le décorticage, la pré cuisson etc.…), des tâches dites féminines et les hommes eux assuraient la vente Ce sont donc eux qui avaient accès aux comptes. On a donc essayé de travaillé sur la répartition des tâches afin que hommes et femmes puissent suivre l’ensemble du processus de valorisation du fonio, depuis la production, la transformation et la commercialisation.
Un autre exemple aussi, dans la commercialisation du coton biologique quand la campagne démarre, c’est la femme qui travaille au niveau de la parcelle et c’est le mari qui assure la commercialisation et qui revient ensuite chez lui pour dire à sa femme : « voilà ce que tu as gagné sur ta parcelle ». Tout ça est en train de changer. Les femmes assistent maintenant aux pesées, et chaque femme sait quelles est la récolte et combien elle peut attendre de la vente. Bien sûr, nous appliquons cette démarche dans le respect de la culture et des réalités des populations. Il ne s’agit pas de détruire l’unité familiale.
Nos formations ne sont pas des formations d’experts qui viennent dire « c’est comme ça » mais nos formations se font sur des réalités de terrain liées à la vie des femmes de tous les jours, sur leurs problèmes, sur le fonctionnement de leur foyer.
Moi aussi, j’ai été formée en partie sur le terrain ! C’est sur le terrain que j’ai appris à interroger les scientifiques sur un certain nombre de choses, c’est sur le terrain que j’ai appris les savoirs des paysans. Et avec un pied avec les scientifiques, et un pied avec les paysans, je parviens à faire avancer la machine !

GDS : Qu’est-ce que cela change, dans des organisations mixtes, d’avoir un leader femme plutôt qu’homme ?
MS :
Le plus souvent, si on a le leader est une femme, il y a davantage de transparence et d’équilibre au sein de l’organisation. C’est moins nébuleux. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il arrive aussi que l’on trouve des leaders féminins qui carabinent la situation.
Je pense aussi que pour défendre certaines causes, les femmes sont plus pertinentes que les hommes. Par exemple, dans la vallée du fleuve Sénégal, concernant l’exode des hommes lorsque les conditions deviennent trop difficiles. Ce sont les femmes qui restent et assurent la survie de leur famille. Ces femmes qui vivent ces réalités difficiles sont les mieux placées pour porter un plaidoyer pour le développement de leur communauté rurale, pour que les hommes restent, pour que leurs enfants restent. Mais le plus souvent ces femmes ne sont pas politisées. Si on arrivait à les accompagner afin qu’elles puissent parler aux décideurs et témoigner de leurs difficultés et de leur détresse quand leur époux et leur fils quittent la maison, je crois que ça aurait beaucoup plus de portée que de faire parler des hommes qui sont davantage animés par des ambitions politiques. Les hommes ne sont pas prêts à dévoiler certaines réalités que les populations rurales rencontrent car ils sont liés à un politicien qui les contrôle. Je crois que nous devons travailler davantage pour que ces femmes là puissent exprimer les réalités qu’elles vivent dans leur propre terroir. Cela devrait être une préoccupation forte des organisations qui accompagnent le mouvement paysan.

GDS : Sur la question du temps passé des leaders dans les organisations, les réunions… pour les femmes ça doit être d’autant plus difficile, comment arrivent-elles à gérer ? y a-t-il des dérives ?
MS :
tout cela dépend de la pertinence des réunions. Je crois qu’il faut qu’on arrive à avoir un calendrier élaboré et partagé avec les femmes. Mais bien sûr si je me mets là dans mon bureau, puis c’est un autre qui téléphone « écoute, y a tel partenaire qui arrive » et que tout de suite je cours vers les femmes pour leur dire ah réunissez vous il y a telle chose, on se retrouve alors dans un désordre formidable et là à ce moment là c’est évident que la femme ne pourrait pas répondre à n’importe quelle sollicitation, donc tout dépend de la nature de l’activité, quel est le degré d’intérêt de cette activité par rapport au groupe , par rapport aux femmes. Il y a des intérêts individuels, il y a des intérêts quelquefois collectifs, mais il faudrait arriver à avoir la liaison très claire entre le collectif et l’individuel. En quoi le collectif apporte une réponse à la préoccupation des femmes. Donc chaque femme qui se lève, c’est pour gagner aussi des revenus qui lui permettent de changer ses conditions de vie. Si les réunions qu’elle fait ne lui apportent pas le changement, alors c’est par politesse qu’elle vient répondre. Mais si la nature de l’activité apporte vraiment une réponse au problème de la femme, de son quotidien, même si c’est à long terme, alors là elle est beaucoup plus engagée à participer à ce type de réunions-là. Et tout ça ça dépend aussi du modèle d’organisation, du calendrier, qu’elle participe pour aussi tenir compte de son calendrier.
Aussi si on se met là, nous sommes des formatrices, nous sommes une école de formation, quand on dit aux femmes venez, elles vont venir, par politesse, mais si vous mettez le programme en place, si on ne les met pas dans une situation de s’exprimer, de dire librement ce qu’elles ressentent, de pouvoir critiquer, alors vous allez concevoir un programme, elles ne diront pas non, mais elles ne l’exécuteront pas comme tu le penses. Mais la définition de l’action, la portée de l’action est bien maîtrisée par les femmes, on leur dit « oui, vous savez pour ça il faut qu’on arrive à l’exécuter »… Donc c’est la démarche participative de façon égalitaire qui permet d’obtenir un calendrier partagé avec tout le monde, et qui tienne compte des préoccupations des uns et des autres.

GDS : dans les OP on rencontre souvent des leaders qui ont de multiples tâches et responsabilités, comment ça se passe pour les femmes ?
MS :
Oui, tout cela arrive, c’est très juste. Et des organisations, quelquefois même très mures, tant au niveau des hommes que des femmes, c’est pas évident d’avoir des capacités à lâcher des responsabilités à un moment donné, ou à lâcher un pouvoir. Ca fait partie des mécanismes sur lesquels il faut beaucoup travailler pour instaurer une certaine démocratie. Ce qui fixe aussi certains leaders au pouvoir, ce qui fait qu’ils n’arrivent plus à s’en passer, c’est aussi le fait de ne pas pouvoir démultiplier l’émergence de plusieurs leaders. Quelque fois, ainsi, ce sont les compétences qui manquent à l’intérieur même de la fédération. On a ce problème là par exemple au niveau de Koussanar où plus de 80% de la population est analphabète. Aussi, quand l’organisation avance, tu as besoin de gens qui sont capables de faire des choses, donc tu te sens obligé de te lier à certains leaders. Au niveau des femmes, si il y a un leadership féminin qui émerge, si on ne travaille pas à un système de démocratisation, ce n’est pas évident. A chaque fois qu’on change de leader, la personne remplacée le plus souvent se replie sur elle-même, et elle a du mal à suivre les autres. On a vu une union de femmes où il y avait une présidente très forte, elle est analphabète mais très cultivée, elle travaillait bien. Mais dans la mise en route de son programme, comme ce sont des femmes qui sont éveillées, qui ont compris, chacune a envie d’émerger, elle a eu un petit faux pas dans la gestion financière des ressources de ce groupement, et les autres femmes n’ont pas hésité à sauter sur elle. Donc elles l’ont tout de suite descendue, et elles en ont mis une autre. Au début ça l’a un peu frustrée, mais comme on était là, on a essayé de sensibiliser les femmes, de leur faire comprendre que ce n’est pas une ressource à perdre. Donc on a eu un petit accident, et il fallait l’aider un peu à ce qu’elle continue à participer à la vie du groupe. Et si à chaque fois qu’une femme a un problème, on la descend, et elle se replie, alors finalement personne ne va rester ! Mais après elle a repris, maintenant elle est là à l’intérieur du groupe, elle vient aux réunions, elle participe et elle contribue. Mais ça dépend le plus souvent aussi des accompagnateurs et des formateurs, de leur attitude. Il faut qu’ils arrivent à comprendre certains enjeux, sinon c’est une démocratie mal organisée, qui risque d’être imposée, et ça, ça casse !

GDS : Pensez-vous que les femmes délèguent plus facilement ?
MS :
Oui, elles délèguent le pouvoir, assez facilement. C’est plus facile que chez les hommes.

GDS : Dans les OP où les élus sont mixtes, comment s’organise la répartition des tâches et les relations entre élus hommes et femmes ?
MS :
le plus souvent, il faut être vigilant, c’est pas évident donc même si on dit qu’ils sont là ensemble, ce n’est pas évident que la femme puisse avoir un rôle important. C’est une vigilance, et il faut que la femme développe des capacités déterminantes pour qu’elle puisse faire valoir son leadership. Mais si elle n’a pas la capacité, si elle est un peu timide, c’est certain qu’ils vont marcher sur elle.

GDS : Sur la question de la prise en charge des leaders, y a-t-il des dérives ?
MS :
Oui cela existe partout. Si je reviens à l’union des femmes, c’est une union que les femmes ont monté elles mêmes, à partir de leurs propres cotisations. Elles vont chercher un peu d’argent pour se financer, elles font des activités, elles remboursent avec un peu d’intérêt. Et dans ces types de réunion, aucune femme ne s’absente. Chaque femme paye son transport pour venir, car elle sait que ses cotisations, elles se sont organisées elles mêmes, elles ont pris de l’argent à la banque, elles travaillent, il y a des intérêts, et c’est au niveau de ces intérêts qu’elles prélèvent pour motiver des femmes qui sont du milieu, qui savent lire, écrire, qui détiennent les comptes. Donc elles savent bien que ces femmes-là leur apportent un service. Et effectivement elles arrivent à motiver ces femmes là à partir de leurs propres recettes. C’est l’union des femmes de Zinder. Donc là nous on a observé, que c’est leurs propres ressources et initiatives, dans ce cas elles se prennent intégralement en charge. Maintenant effectivement elles savent aussi que les ONG qui font ces types de projet, dans leurs budgets prévoient un peu de déplacement, prévoient des frais de restauration pour les mettre ensemble. Donc si l’opportunité est là elles saisissent aussi l’opportunité. Donc moi je crois que c’est juste et c’est normal. Dès l’instant que nous, dans notre formulation de projet, on les forme, on renforce leurs capacités ; et si les capacités sont là elles seront en mesure, un jour, de devenir comme les femmes de Zinder, d’initier des actions qui génèrent des ressources et qui les intéressent, et qu’elles accepteront en fonction de l’intérêt qu’elles ont de ces actions là. Alors elles se prendront en charge, elle vont payer leur transport, elles vont accepter de passer toute la réunion sans manger pour économiser leur argent, ou au contraire dire bon, on a un peu de sous, faisons un petit repas. Elles vont accepter de dire, bon, nous avons pu mobiliser ces millions là, donc nous pouvons aussi manger bien aujourd’hui, et motiver les femmes qui viennent de nos villages, qui savent qu’en ce jour de réunion elles n’auront pas de salaire. Chaque 6 mois, si nous organisons nos remboursements sur la base de nos intérêts, on leur donne un peu. Donc tout dépend de la pertinence, de la rentabilité de l’action. Dès l’instant où l’action génère des ressources, elles le font. A Kunsana encore, la Fédération qui arrive à vendre son coton, qui vend un peu de fonio, qui vend de la pâte d’arachide, génère un peu de bénéfices, et sur la base de ces bénéfices, ils acceptent donc se prendre en charge en terme de transport et là, la fédération fait progressivement son programme. Maintenant, si les activités des OP leur permettent de générer des ressources il n’y a plus de raison que les gens refusent de se cotiser pour prendre en charge une telle action, mais si cela ne génère pas de revenu, cela n’est pas évident.

GDS : Mais pour des femmes qui sont vraiment à des postes de leaders, qui passent moins de temps sur leur exploitation, est ce que vous pensez qu’il faudrait qu’elles aient une prise en charge ou rémunération spéciale, est ce que cela se fait au Sénégal ?
MS :
Dans notre culture en général jusqu’ici, on dit que le rôle de leader est bénévole. Le leader comme je l’ai dit c’est quelque chose de naturel. La personne éprouve du plaisir à être leader, donc dès l’instant où ça lui fait plaisir, cela compense ! Dès l’instant où ça contribue au développement de la personne, où ça lui donne un statut au niveau de sa localité, je crois qu’on peut dire que c’est une rémunération. Et puis un leader peut aussi profiter des activités, peut être amené à voyager, à découvrir d’autres pays. Par exemple, un paysan qui a galéré dans la vie des organisations paysannes et qui vient en France, c’est une chance pour lui ! Et découvrir qu’il est capable de parler devant tous les types de publics, c’est valorisant ! Par exemple, si on prend le cas de Tine Ndoye, elle est conseiller municipal, leur village est paysan et donc elle était membre des agro-pastoraux de Diender, ils étaient aussi dans la communauté rurale de Diender mais à un moment donné, pour des raisons politiques, ils ont pris un gros village de Kaya qu’ils ont considéré comme commune, puis ils ont pris le village de Tiné et deux autres villages qu’ils ont rattaché au village de Kaya. Donc eux, ils ont deux activités principales la pêche et l’agriculture. Comme les communes rurales et urbaines aussi, doivent se prendre en charge mais en réalité ils n’ont pas de ressources financières pour la commune, donc aussitôt dans une commune à proximité de Dakar, le nouveau maire élu a pensé qu’il faut arriver à prendre des terres, les viabiliser et comme ça installer des hôtels ou ensuite faire appel à des gens de Dakar qui viennent et qui achètent des parcelles, cela leur fait des retombées financières dans la commune, mais heureusement que les Tine sont là, que les types comme.. sont là, qui ont dit non, ne nous trompons pas, nous sommes une commune rurale, les terres ne sont pas pour l’habitation, mais pour les cultures. Le maire a fait venir des géomètres et Tiné a réussi à mobiliser le village pour dire non aux géomètres. Donc ils partis. C’est dans l’histoire du village, s’il n’y avait pas des personnes comme cela, on aurait perdu cela. Ca aussi c’est africain, ce sont des situations qui font plaisir à certains leaders, qui ont envie de faire des choses utiles pour nos sociétés et pas pour eux seuls. Donc le fait de pouvoir être ne mesure de régler des problèmes aussi cruciaux pour la communauté, c’est important pour ce type de personnes. Donc ils comprennent aussi que de tout temps il y a eu des leaders qui ont réussi à préserver la sécurité du village. Voilà.

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