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publié dans Ressources le 14 juin 2013

Etude GRET : Comment promouvoir le commerce agricole intra-africain ? Analyse des pistes et des freins pour le développement de ce commerce

GRET

Commerce régional / intégration régionale

Résumé

Une partie importante de la population des régions de l’Afrique et l’Ouest (Cedeao) et de l’Afrique de l’Est (CAE) dispose d’une alimentation insuffisante ou de mauvaise qualité. Répondre à cette situation d’insécurité alimentaire implique d’accroître l’offre alimentaire et d’améliorer ses caractéristiques nutritives, notamment en Afrique de l’Est où le taux de sous-nutrition est particulièrement élevé. Dans le même temps, une partie minoritaire mais significative des besoins alimentaires est aujourd’hui assurée par des importations en provenance du reste du monde. C’est notamment le cas de l’Afrique de l’Ouest où, à la différence de l’Afrique de l’Est, les importations tendent à s’accroître malgré l’augmentation significative de la production agricole au cours des dernières décennies. Par ailleurs, les besoins alimentaires de l’Afrique seront amenés à augmenter au cours des prochaines années et décennies du fait de la croissance démographique et de l’évolution des habitudes alimentaires.

Dans ce contexte, l’Afrique a fondamentalement intérêt à produire elle-même l’essentiel des biens alimentaires consommés par sa population. En effet :

  • elle en a la capacité, compte tenu des ses potentialités naturelles ;
  • la majeure partie de la population en situation d’insécurité alimentaire est constituée de paysans qui sont susceptibles de produire leur propre nourriture et qui n’ont par ailleurs pas d’autres alternatives d’emplois et de revenus ;
  • pour les autres secteurs de la population, la croissance de la production agricole tend à stimuler d’autres secteurs d’activités (transformation agro-alimentaire, commerce, fourniture d’intrants agricoles, etc.) et à y générer des emplois et des revenus ;
  • une dépendance excessive par marchés mondiaux apparait hautement risquée, compte tenu notamment des possibilités limitées de générer des revenus dans les autres secteurs d’activités et de la forte volatilité des prix agricoles et alimentaires mondiaux.

La capacité de l’Afrique à assurer l’essentiel de ses besoins alimentaires dépendra dans une large mesure du développement des échanges locaux et nationaux. Cependant, compte tenu d’une part de la répartition des bassins de production agricole et de la population urbaine (concentrée majoritairement dans les régions côtières) et, d’autre part, des complémentarités possibles entre régions agricoles, elle dépendra également de sa capacité à développer les échanges commerciaux régionaux de produits agricoles. Or, ces échanges sont aujourd’hui très réduits et minoritaires (10% environ, mais peut-être le double en prenant en compte le commerce informel1) par rapport aux importations en provenance du reste du monde. Divers processus d’intégration régionale sont en cours (notamment la CEDEAO en Afrique de l’Ouest et la CAE en Afrique de l’Est) qui visent précisément à promouvoir le développement des échanges intrarégionaux. Ceux-ci sont par ailleurs facilités par l’existence de réseaux commerciaux bien structurés (souvent sur une base ethnique en Afrique de l’Ouest), où coexistent commerçants opérant à une grande échelle et petits commerçants (souvent des femmes) travaillant fréquemment de façon informelle.

Les circuits commerciaux font généralement intervenir de nombreux acteurs. L’existence d’intermédiaires apparaît souvent nécessaire pour garantir un climat de confiance entre opérateurs. La présence des intermédiaires se nourrit aussi des défauts d’information sur les marchés de la part des acteurs.

Les circuits de commercialisation de produits agricoles vont principalement des bassins de production et des ports de débarquement vers les grands centres urbains. La très grande majorité de la production agricole est consommée dans le pays même où a lieu la production, que ce soit localement ou grâce à un transfert via des circuits de commercialisation nationaux. Seule une partie est commercialisée via des circuits transfrontaliers (ce que nous nommons à proprement parler commerce agricole intrarégional), partie très variable selon le type de produit et le pays.

Les principaux produits régionaux ainsi échangés sont le maïs et le riz, le bétail sur pied et parfois les fruits et légumes ; ainsi que le mil, les dérivés du manioc et l’huile de palme en Afrique de l’Ouest et le sucre et les produits laitiers en Afrique de l’Est. Les facteurs limitant le commerce intrarégional dépendent étroitement des pays, des produits et des filières. Il est donc difficile de généraliser certaines analyses. Malgré cela, il est possible de mettre en avant quelques caractéristiques et limitations générales ou concernant un nombre significatif de produits, filières et sous-régions. Certaines de ces limitations ne concernent pas spécifiquement le commerce entre pays de la région et affectent aussi le commerce interne à chaque pays, d’autres sont spécifiques au commerce entre pays (barrières non tarifaires notamment).

En premier lieu, la faiblesse de la production agricole elle-même (et donc de la part commercialisable, compte tenu de l’autoconsommation familiale) constitue un frein majeur au développement des échanges intrarégionaux. Les régions sont parfois déficitaires nettes pour des produits alimentaires de base, comme c’est le cas pour le riz en Afrique de l’Ouest et de l’Est, où respectivement 35-50 % et 15-25 % de la consommation de riz est couverte par des importations hors région : des niveaux de production plus élevés permettraient d’accroître les flux commerciaux intrarégionaux et de diminuer la dépendance alimentaire de l’Afrique. Plusieurs déficiences des filières de commercialisation et les freins spécifiques au commerce entre pays se traduisent par des prix aux producteurs peu rémunérateurs et volatiles, influant donc négativement sur l’intérêt des producteurs à produire pour le marché et sur leurs capacités à investir pour accroître la production.

Les limitations liées à la structuration et au fonctionnement des filières apparaissent comme un deuxième frein majeur au développement du commerce intrarégional. L’organisation et le fonctionnement des filières constituent indirectement une limitation au développement du commerce intrarégional. Les coûts de transformation sont élevés, une partie importante de la valeur ajoutée est captée par de multiples intermédiaires et les rapports de force sont souvent très déséquilibrés au détriment des producteurs. Ceci se répercute également sur les prix payés par les consommateurs et la compétitivité-prix des produits régionaux par rapport aux importations. Cette compétitivité avec les produits importés se joue également sur le plan de la qualité. Les difficultés d’accès au crédit et l’insuffisance de savoir-faire techniques et économiques adéquats limitent le développement des filières.

Les insuffisances d’infrastructures de transport, stockage et conservation constituent ainsi un frein important au développement du commerce intrarégional. De nombreuses zones de production sont relativement isolées, du moins une partie de l’année, des axes de transport, ou alors le transport pour en sortir y est coûteux et long, affectant la qualité des produits et la compétitivité-prix des produits.
Un quatrième frein mis en évidence en l’Afrique de l’Ouest est la faible protection du marché régional vis-à-vis du reste du monde. À terme, cela génère des habitudes alimentaires basées en partie sur la consommation de produits importés (par exemple la farine de blé ou le lait en poudre, etc. en Afrique de l’Ouest).

À ces difficultés s’ajoute le fait que, sur le terrain, l’intégration régionale n’est encore que partiellement réalisée, malgré les efforts parfois entrepris par les autorités régionales et nationales pour lever les obstacles aux échanges dans le cadre des processus d’intégration régionale. Ainsi, il subsiste parfois des limitations quantitatives au commerce (interdictions d’exportations) et quelques barrières tarifaires. Mais, ce sont surtout les barrières non tarifaires de divers ordres (lourdeur et complexité des procédures, défaut d’harmonisation des procédures et documents, non-reconnaissance des certificats et normes nationales, procédures migratoires, contrôles routiers excessifs, corruption) qui tendent à accroître les coûts et les risques pour les acteurs commerciaux. Les États ont parfois tendance à prioriser l’approvisionnement alimentaire immédiat de leur pays ou encore des intérêts nationaux ou privés contradictoires avec le processus d’intégration régionale. Cette politique est particulièrement visible en cas de hausse des prix des produits alimentaires de base, lorsque les États n’hésitent pas à prendre des mesures anticommunautaires pour faire face à la pénurie. Elle se traduit aussi dans les difficultés à mettre en œuvre des politiques agricoles coordonnées au niveau régional.

En règle générale, l’insuffisante association des divers acteurs de la société civile (organisations paysannes, organisations de la société civile, secteur privé) aux choix politiques tend à déséquilibrer le rapport de force au profit de quelques acteurs économiques dominants. L’insécurité régnant dans plusieurs zones, y compris du fait de conflits politico-militaires, tend également à freiner le commerce entre certains pays.

En conclusion, les auteurs de l’étude recommandent de :

  • consolider les politiques publiques et les initiatives permettant la valorisation du potentiel de développement de la production agricole, la conservation et transformation des produits et leur acheminement vers les lieux de consommation, la coopération internationale ayant un rôle à jouer en ce sens. La réflexion au niveau régional et l’analyse des complémentarités possibles entre pays doivent être analysées et discutées au cas par cas, afin de privilégier le commerce entre pays ou bien au contraire l’approvisionnement local ou national ;
  • combiner de façon cohérente des politiques de : (i) soutien au développement de la production agricole ; (ii) renforcement des filières et de soutien aux activités de transformation de la production ; (iii) construction et amélioration des infrastructures de communication, stockage et mise en marché ; et (iv) protection des marchés régionaux, les négociations et accords commerciaux ne devant pas perturber les processus d’intégration régionale, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui avec l’OMC et les APE ;
  • traiter les autres limitations au commerce intrarégional en supprimant les barrières tarifaires et non tarifaires, et les mesures d’interdiction des exportations, tout en veillant à les substituer par des mesures de gestion de la sécurité alimentaire (mise en place d’un mécanisme de solidarité régionale, stockage, information sur les marchés, etc.).

D’une façon générale, la question de l’articulation entre les domaines de souveraineté nationale et souveraineté régionale est posée et les différentes initiatives et politiques régionales mises en œuvre en Afrique de l’Est ou en Afrique de l’Ouest au niveau de l’Ecowap méritent d’être davantage encouragées. Il apparaît primordial de renforcer et appuyer la participation des organisations professionnelles et de la société civile dans ces processus.

Lire l’étude (184p.)
http://www.gret.org/wp-content/uploads/Comment-promouvoir-le-commerce-agricole-intra-africain1.pdf

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