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publié dans Ressources le 11 mars 2013

Entretien avec Hamid Ahmed, Commissaire au Commerce, sur les enjeux du commerce intérieur et extérieur de la CEDEAO

Inter-réseaux

Accords de Partenariats Economiques (APE)Politiques commercialesTECEntretien

Dans cet entretien, le Commissaire au Commerce de la CEDEAO revient sur les entraves à la libre circulation des produits agricoles en Afrique de l’Ouest et sur les pistes de solutions envisagées par son institution. Il nous informe également sur l’état d’avancement des négociations sur le Tarif extérieur commun (TEC) et les APE, et nous donne son point de vue sur les investissements directs étrangers (IDE) en Afrique de l’Ouest.

Hamid Ahmed est le Commissaire en charge du Commerce, des Douanes et du Tourisme, de l’Industrie et des Mines, et de la Libre Circulation à la CEDEAO.

Inter-réseaux : Bien que depuis plus de 20 ans les institutions régionales, en particulier la CEDEAO, œuvrent pour la libre circulation des denrées alimentaires dans la région, force est de constater qu’il reste encore de nombreux obstacles au commerce intérieur. Comment expliquer ce décalage entre les textes et la réalité ?
Hamid Ahmed :
Il existe en effet de multiples obstacles à la circulation des denrées dans la région. La première cause reste l’enclavement de la région. Les routes, quand elles existent, sont mauvaises ; les sites de production sont particulièrement enclavés ; les moyens de transport sont défaillants, inadaptés voire inexistants. Ensuite, les échanges buttent sur les « tracasseries routières » le long des itinéraires d’acheminement des produits. Ces tracasseries ne sont pas seulement une entrave au transport de marchandises, elles se posent aussi au transport des personnes : quand vous voyagez, on vous prend de l’argent en bloquant le chauffeur ; quand le chauffeur n’a pas suffisamment d’argent pour payer, il fait cotiser les passagers ; sinon vous ne passez pas. Ils trouveront toujours une raison pour vous faire payer une somme. Vous êtes dans une situation où vous n’avez pas le choix : si vous voulez passer, vous devez payer, ce qui peut entamer sérieusement votre marge et la rentabilité de votre affaire, ou retarder votre voyage. Si vous résistez, vous risquez de perdre plus, surtout quand vous transportez des produits périssables. Les agents responsables des tracasseries peuvent être issues de corps de maintien de l’ordre ou des paramilitaires, ou venir d’autres organes. Ils travaillent souvent dans des conditions difficiles, sans moyens de transport adéquats, parfois sans électricité ; leurs salaires sont insuffisants pour couvrir leurs besoins. Or, ils doivent faire face à des charges, à des contraintes objectives. Je ne dis pas que cela justifie leurs comportements, mais c’est une réalité qui explique en partie ces agissements. Ils voient par ailleurs tous les processus d’enrichissement illicite et de corruption qui prolifèrent autour d’eux : ils se disent certainement qu’ils doivent aussi tirer leur épingle du jeu ! En outre, certains agents ne sont pas suffisamment informés et sensibilisés sur le processus d’intégration, ou même, n’ont pas la capacité d’être informés parce que leur niveau de formation est faible. Ils ont souvent eu une formation scolaire minimale, n’ont pas reçu une formation adéquate, certains sont même analphabètes. Ils ne peuvent donc pas comprendre que nous avons des textes communautaires, que nous sommes tous dans la CEDEAO et que la libre circulation des biens et des personnes a valeur de loi.

IR : Qu’envisage de faire la CEDEAO pour favoriser la libre circulation des produits agricoles et alimentaires dans la région ?
HA :
Les tracasseries sont un problème sur lequel nous butons depuis plusieurs décennies. Dans les pays, nous établissons des textes et les diffusons. Mais il faut avouer qu’en réalité il y a beaucoup de mauvaise foi : il n’y a pas de véritables arbitrages, de vrais suivis, ni de vraies sanctions.
Je suis persuadé qu’à elles seules, les sanctions des agents chargés de la circulation ne suffisent pas. Il nous faudrait également améliorer la formation et l’éducation des agents ainsi que leur permettre de travailler dans de meilleures conditions. Il nous faudrait aussi faire preuve d’un peu plus de pédagogie, rencontrer ces agents, discuter et échanger avec eux, savoir pourquoi ils font cela, pour trouver des solutions structurelles à leurs préoccupations, les mettre dans des conditions de travail plus favorables, améliorer leur rémunération… et là, ma foi, appliquer sévèrement les sanctions en cas de défaillance.
Il faut également savoir que ce n’est pas l’agent seul au bord de la route qui fait des prélèvements. Il a une hiérarchie, une très longue hiérarchie, avec quelque part une complicité, ou du moins une irresponsabilité. Comment expliquer que cela se passe comme ça pendant des décennies, alors qu’on en parle, qu’on fait des arrêtés, des déclarations etc. ? Il faut bien qu’il y ait des complicités quelque part, à haut niveau.
En ce qui concerne la commission de la CEDEAO, nous comptons créer des antennes témoin au niveau des postes frontaliers majeurs, où il y a des flux importants et de nombreux échanges. Elles permettront de montrer notre présence qui peut être dissuasive, et de discuter au quotidien avec les gens, de vérifier et trouver des preuves sur le non respect des textes communautaires, d’informer les agents sur ces textes, etc. Nous comptons ainsi former et responsabiliser tous ceux qui sont impliqués dans ce système.

IR : Lors des crises alimentaires, comme celle de 2008, on voit de nombreux pays de la région fermer leurs frontières et mettre en place des restrictions aux exportations, allant ainsi à l’encontre des textes communautaires de libre circulation dans la zone CEDEAO. Que peut faire concrètement la CEDEAO dans ce genre de situation ? Quelle est sa marge de manœuvre ?
HA :
Ce sont des situations où il y a une violation des textes régionaux et nationaux. En premier lieu, ce genre de décision constitue une entrave à la liberté et à la démocratie. Pour quelle raison un gouvernement peut-il vous empêcher de vendre votre produit où vous voulez ? Ces décisions ne sont pas prises dans des situations de guerre ou suffisamment exceptionnelles pour invoquer une raison d’Etat, mais dans des situations que nous avons la malchance de vivre souvent ; les sécheresses font partie de notre quotidien. Pourquoi est ce que les gouvernements n’ont pas suffisamment de prévisibilité et de mécanismes internes pour faire face à ces situations ? Pris subitement de panique ils bloquent les gens chez eux. Nous avons là une violation des textes et une discrimination sur les commerçants et les consommateurs au niveau régional. Au niveau de la CEDEAO, nous n’avons pas formellement de mécanisme d’arbitrage pour régler ce genre de situation, à la différence de l’Union Européenne. Nous ne pouvons que constater les faits et jouer un rôle de médiateur entre les Etats pour tenter de régler le problème. Pour le moment, nous ne pouvons pas arbitrer en faveur d’un pays ou d’un autre. Peut-être cela viendra-t-il un jour quand nous aurons davantage approfondi notre intégration. Si un pays refuse l’entrée d’un produit originaire d’un autre pays de la CEDEAO, nous mobilisons une expertise pour aller diagnostiquer et voir qui a raison. Quand l’expertise nous révèle qui a raison et qui a tort, nous mobilisons les Etats concernés, pour qu’ils échangent entre eux à propos de ce produit, en présence d’un autre Etat membre qui joue le rôle ad hoc d’arbitre.

IR : Le comité conjoint CEDEAO-UEMOA de gestion du Tarif extérieur commun (TEC) a décidé en décembre 2012 à Abidjan de placer certains produits agricoles, comme le riz et la poudre de lait, à de faibles niveaux de protection. Pourquoi ces deux produits agricoles, jugés sensibles par des producteurs agricoles, n’ont-ils pas été classés dans la 5e bande tarifaire (la plus élevée) ?
HA :
Les négociations sur le TEC de la CEDEAO ont été pour nous une épreuve difficile. Le TEC de la CEDEAO existe déjà officiellement. Nous sommes actuellement dans les négociations sur la tarification. La rencontre d’Abidjan en décembre 2012 était une réunion d’experts, au niveau technique. Nous allons maintenant exposer les décisions du comité aux ministres des finances concernés, avant de soumettre le projet au conseil des ministres pour validation. Après le conseil des Ministres, le projet sera présenté à la conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement pour adoption.
Pour les produits de première nécessité, il y a eu des débats très houleux. Certains pays voulaient les mettre dans la 5ième bande parce qu’ils en produisent. D’autres pays, en situation alimentaire précaire, ne voulaient pas avoir de restrictions sur ces importations ; ils craignent que les autres pays membres ne soient pas en mesure de répondre à la demande et qu’ils se retrouvent ainsi face à des denrées à des prix inaccessibles pour les ménages à faible pouvoir d’achat.
Nous avons donc essayé de faire la part des choses, de trouver un compromis. Ainsi, par exemple, dans le nouveau TEC la semence est à 5 % et le riz de consommation à 10 % de taxe de porte. De toute façon, le produit concurrent importé de l’étranger vient de très loin ; il transite par plusieurs étapes, il a des coûts de transport parfois élevés ; cela se répercute sur son prix. Je pense qu’il ne faut pas trop protéger les produits agricoles : nous devons améliorer la compétitivité et la productivité de nos systèmes de production. Il me semble que le tarif a été fixé à un taux raisonnable.

IR : Est-ce que selon vous le tarif adopté pour le riz importé protège suffisamment les filières rizicoles locales pour permettre la réussite de la grande offensive sur le riz lancée récemment par la CEDEAO ?
HA :
Cela dépend ! Si vous êtes face à un riz importé subventionné, cela pose problème. Dans ce cas, il faut trouver un mécanisme de soutien interne aux producteurs pour faire face à la concurrence des importations subventionnées. Lorsque nous avons affaire à un riz étranger qui a été mis sur le marché international avec des subventions, on peut le savoir : nous connaissons les coûts de production, les prix internationaux etc., nous pouvons donc détecter les subventions. Quand nous faisons face à ce type de situation qui s’apparente à du dumping caché, nous pouvons prendre des mesures appropriées, comme des barrières tarifaires.
Personnellement je suis contre le protectionnisme qui pousse au sommeil. Il faut que les gens fassent des efforts pour être compétitifs. C’est nécessaire pour que les actions des producteurs et des entrepreneurs soient pérennes, pour qu’ils se sentent fiers et indépendants. On ne peut pas toujours compter sur le gouvernement pour vous subventionner et vous protéger ; cela ne paie pas, on l’a expérimenté, et nous en avons vu les conséquences.

IR : Et quelles sont les prochaines étapes pour aller vers la construction d’une union douanière CEDEAO ?
HA :
Nous y sommes presque. Dans les semaines à venir, nous aurons notre Tarif extérieur commun. A partir de là, la CEDEAO sera une union douanière.

IR : Où en est la négociation avec l’Union Européenne (UE) sur l’Accord de Partenariat Economique (APE) ?
HA :
Disons que les choses ont traîné. Le principal problème, c’est que l’UE souhaite, de façon implicite, avoir un taux d’ouverture de 80 %. Ils ont déjà obtenu 80 % avec la Côte d’Ivoire et le Ghana dans des accords intérimaires. Ils ne souhaitent certainement pas faire marche arrière et perdre ces acquis. Au niveau de la région, nous avons officiellement proposé 70 %. Quel que soit le taux retenu, l’UE réclame des arguments solides, qui justifient l’exclusion des 30 % des produits de la libéralisation.
Nous sommes donc en train de nettoyer ligne par ligne notre offre d’accès. Nous ferons ensuite une proposition aux hautes autorités de la CEDEAO, avant de la soumettre à l’UE, à priori avant fin mars. A notre niveau, le travail technique est quasiment bouclé.

IR : Ces dernières années, les investissements directs étrangers (IDE) se sont accrus sur le continent africain, notamment dans le secteur agricole. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?
HA :
Ce que cherche un entrepreneur privé, c’est du profit. Un entrepreneur privé reste un entrepreneur. Qu’il soit français ou ivoirien, il investit pour faire du profit. Il est certain qu’il faut les encadrer et veiller à ce qu’ils se conforment aux lois (sur la réglementation, le commerce, etc.).
Mais, pour moi, c’est une voie de salut pour l’Afrique. Il faut que le continent s’ouvre aux personnes qui ont l’expertise technique et les moyens financiers qui nous font défaut. On dit parfois que nous n’investissons pas dans l’agriculture. C’est exagéré comme affirmation. Nous avons tenté de multiples expériences : nous avons créé des banques de développement agricole, appliqué des paquets techniques bien étudiés depuis l’époque coloniale, donné de l’argent aux paysans, etc. Mais les résultats ont été faibles, voire décevants. Quand les ressources n’ont pas été détournées de leurs objectifs, elles ont été dépensées de façon inappropriée. Il y a des cas où les paysans ont purement et simplement vendu leurs équipements pour acheter des biens de consommation et n’ont pas modernisé leur production. Il faut être mesuré en chaque chose.
Je suis pour un brassage, pour l’ouverture de l’Afrique aux zones modernes, aux entrepreneurs modernes, aux grands capitaux. Je souhaite qu’on vienne mettre en valeur notre potentiel, que nous puissions imiter, copier sur les autres, travailler avec eux, voir comment ils produisent. Ainsi nous pourrons bénéficier d’un minimum de professionnalisme industriel.
Nous ne pouvons pas fermer la porte aux entrepreneurs européens et américains et continuer à demander de l’aide publique de ces continents. Il faut permettre au secteur privé étranger de travailler chez nous, avec nous, sous notre contrôle. Les pays comme la Chine, la Corée du sud, etc. se sont ouverts et ont réussi de cette manière. Les Etats qui craignent l’ouverture peuvent prendre des mesures appropriées conformément aux lois et se protéger, en encadrant les IDE.

IR : On voit apparaître dans le paysage de l’aide publique à l’Afrique de l’Ouest de nouveaux pays, comme la Chine, l’Inde, le Brésil. Quelle est l’approche de ces nouveaux pays donateurs ?
HA :
Il s’agit d’une démarche stratégique. Ce sont des Etats qui cherchent à déblayer le terrain pour leurs investisseurs privés. Notre continent est doté d’importantes ressources, il a un fort potentiel de dynamisme, une importante demande en perspective, une population active jeune. Ces pays cherchent donc à se positionner, à procéder à une « familiarisation réciproque » pour que leurs citoyens et investisseurs puissent prendre leur place. Pour l’instant, ils nous donnent des aides. Mais en perspective, il y a des investissements privés qui se dessinent. Ils sont plus offensifs, rapides et simples que nos bailleurs traditionnels, et ils enregistrent moins d’échecs dans leurs interventions que les partenaires classiques.
Les Chinois sont de vrais entrepreneurs, ils veulent gagner, ils sont dans une optique de rentabilité. Leur aide n’est pas aussi gratuite que celle de l’Europe. Quand l’Europe aide un pays pauvre, je ne pense pas qu’il y ait un calcul d’intérêt derrière. L’arrivée du Brésil et de l’Inde est plus récente et implique des volumes moins importants que la Chine.

Cette interview a été réalisée à Accra en janvier 2013, en marge de la conférence « Libre circulation des produits alimentaires : Améliorer la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest par le développement du commerce intra-régional » (CEDEAO / USAID).

Télécharger l’interview en format PDF
http://www.inter-reseaux.org/IMG/pdf/itw_Commissaire_Commerce_fevrier2013.pdf

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