Cet article met en lumière un dispositif de conseil multi- acteurs autour de centres de collecte laitiers au Niger. Il témoigne des enjeux de l’implication croissante d’acteurs du conseil issus du secteur privé local (collecteurs de lait, vétérinaires privés et auxiliaires d’élevage, centre de prestation de services) pour la filière lait.
Le système national de conseil agricole adopté au Niger en 2017 valorise une multitude de dispositifs de conseil de l’État, de la profession agricole et du secteur privé, dont un dispositif singulier porté par la filière lait local autour de centres de collecte.
Les centres de collecte laitiers paysans multi- services : acteurs pivots. Le modèle de centre de collecte repose sur quatre piliers : une gouvernance paysanne avec une coopérative d’éleveurs propriétaires du centre ; un bassin de production à l’amont ; un partenariat avec un industriel à l’aval ou avec des unités de transformation artisanales ; et un ensemble de services : collecte du lait, refroidissement et contrôle qualité, approvisionnement en aliment bétail, conseil aux éleveurs. Il en existe cinq aujourd’hui à Niamey.
Contribuer au conseil selon ses compétences. Autour de chaque centre de collecte une multitude d’acteurs se sont organisés pour valoriser le lait local et fournir le conseil aux éleveur(e)s : les vétérinaires et les auxiliaires d’élevage fournissent du conseil en santé animale et en alimentation. Les collecteurs de lait, les agents de la coopérative et l’industriel interviennent sur l’hygiène de la traite et de la collecte. Les élus de la coopérative sensibilisent les éleveur(e)s à la valeur du lait et à la place des femmes et font de la médiation en cas de conflit. Les ONG interviennent sur le conseil filière et sur la sécurisation des femmes en son sein. L’alphabétisation fonctionnelle est faite par une organisation d’éleveur(e)s. Le processus d’innovation collective est accompagné par une plateforme d’innovation. Plus récemment deux autres formes de conseil ont été introduites : le conseil de gestion aux éleveur(e)s, fourni par la chambre d’agriculture et le conseil de gestion à la coopérative, fourni par un centre de prestation de services.
Alors que les centres de collecte jouent pleinement leur rôle de pivot de la filière, ils peinent à coordonner les différents acteurs du conseil qui gravitent autour d’eux. Cette coordination est donc pour le moment assurée par Iram et Karkara en concertation avec la plateforme innovation lait.
Un modèle d’affaire mixte lié à la filière. Ce dispositif de conseil repose sur un modèle d’affaire mixte. L’alphabétisation fonctionnelle, le conseil filière et l’appui à l’innovation collective sont totalement subventionnés par des projets. Le conseil en santé animale, en alimentation et en hygiène de traite sont supportés par les acteurs de la filière. Le conseil de gestion aux éleveur(e)s et à la coopérative sont pour le moment subventionnés, mais une prise en charge partielle par les éleveur(e)s devrait se développer. Les activités de sensibilisation et de médiation par les élus sont couvertes par la coopérative.
Ainsi, d’un côté, la filière offre une base économique au conseil et de l’autre, le conseil a des impacts positifs sur cette filière.
Collecte annuelle du centre de Hamdallaye (en litres). Source : Nariindu Iram- Karkara.
Des impacts positifs mais un conseil orienté par l’aval de la filière. En quelques années, les impacts ont été très significatifs en termes d’augmentation de la production laitière et de la collecte (+600% en 6 ans pour le centre d’Hamdallaye), d’amélioration de la qualité du lait (aucun rejet par l’industriel), de diminution de la saisonnalité de la production (lissage de la courbe de collecte), de revenus générés pour les éleveur(e)s (près de 1 000 éleveurs par centre bénéficient de revenus améliorés et réguliers), d’emplois ruraux créés (environ 30 emplois par centre de collecte dont une douzaine de collecteurs). L’avantage principal de ce dispositif de conseil est qu’il est porté par des acteurs privés (OP, collecteurs, vétérinaires) et par les dynamiques de cette filière.
C’est aussi là que réside son talon d’Achille. Le conseil est étroitement dépendant de la filière. Si les industriels limitent leurs achats de lait local, la filière est fragilisée ainsi que le dispositif de conseil. Autre inconvénient, ce conseil est pour le moment essentiellement axé sur l’atelier lait et très orienté par les préoccupations de l’aval de la filière (augmenter la production, améliorer la qualité, réduire la saisonnalité). Le démarrage du conseil de gestion aux éleveur(e)s devrait cependant permettre d’élargir le champ du conseil et de mieux répondre aux besoins des éleveur(e)s.
Christophe Rigourd (christophe.rigourd@hotmail.com), est agroéconomiste, consultant associé à l’Iram. Il accompagne la réforme du conseil agricole au Niger depuis 2016 et la filière lait local au Niger depuis 2015.
Abdelmajid Ali Dandakoye est agronome. Il est chef du projet Nariindu 2 à Karkara qui accompagne le développement de la filière lait local.
Karkara est une des plus grandes ONG nigérienne.