Depuis 2010, les réseaux de conseil agricole se structurent aux niveaux mondial, continentaux et sous-régionaux. La multiplication de leurs échelles d’actions pourrait questionner la cohérence de leurs activités. Qu’en est-il ? Nous avons interrogé des représentants de ces différents réseaux.
Grain de Sel (GDS) : Pouvez-vous présenter brièvement votre institution et pourquoi elle a été mise en place ?
Rasheed Sulaiman V (RSV) – GFRAS : Le Forum Mondial pour le Conseil Agricole (GFRAS) a été créé sur la base de consultations de nombreux acteurs (professionnels de la vulgarisation agricole, experts, bailleurs, etc.). Avant la création du GFRAS, les acteurs des services de conseil agricole et rural (SCAR) ne disposaient pas d’un instrument pour parler en leur nom, renforcer leurs capacités, partager les bonnes pratiques et promouvoir la mise en réseau.
Il existait une plateforme de représentants de bailleurs s’intéressant à la vulgarisation agricole, appelée « Initiative de Neuchâtel ». Elle se composait principalement de bailleurs européens. À partir de 2005, ces acteurs ont commencé à travailler plus étroitement avec des partenaires du Sud tels que le Forum africain pour les services de conseil agricole (AFAAS) et les organisations de producteurs (OP) régionales africaines. C’est en 2010 que le Forum mondial a été mis en place pour améliorer l’efficacité des services de conseil, pour mieux servir les familles d’agriculteurs et les producteurs et contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans les zones rurales.
Max Olupot (MO) – AFAAS : À l’échelle continentale, il avait été reconnu la nécessité de développer des structures similaires au GFRAS pour fournir un appui direct aux acteurs du conseil. Le Forum africain pour les Services de Conseil Agricole (AFAAS) a été créé pour répondre à ce besoin et a établi un partenariat avec le GFRAS en Afrique. L’AFAAS vise à favoriser le dialogue, influencer les politiques et renforcer les capacités des acteurs sur le sujet du conseil agricole à l’échelle du continent africain.
Nicole Aphing Kouassi (NAK) – RESCAR-AOC : Le Réseau des Services de Conseil Agricole et Rural d’Afrique de l’Ouest et du Centre (RESCAR-AOC) émerge depuis 2010. Il s’agit d’un réseau d’acteurs et de parties prenantes du conseil agricole intervenant dans la sous-région AOC. Le déploiement de ses activités met en évidence le besoin de disposer d’un statut formel. Les préparatifs pour sa légalisation sont en cours pour le doter d’une personnalité juridique.
Le RESCAR-AOC comprend trois types de membres : les fondateurs (fora nationaux, structures nationales) ; les adhérents (organisations sous-régionales ou internationales parties prenantes aux services de conseil agricole, partenaires techniques, scientifiques et financiers) ; et les associés ou affiliés (personnes physiques ou morales intéressées et disposées à participer aux activités de partage d’expériences et d’informations sans autres engagements formels).
Le RESCAR-AOC a notamment pour vocation d’intervenir en appui aux fora nationaux en assurant les activités d’animation, de coordination, de développement des capacités, de capitalisation et de partage, de facilitation des initiatives au niveau régional. À ce jour, onze pays d’AOC disposent d’un forum national de conseil agricole (Burkina Faso, Bénin, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Liberia, Mali, Nigeria, RDC, Sierra Leone, Togo). Le niveau de fonctionnalité de ces plateformes est variable, et les pays qui ne disposent pas encore de fora nationaux sont à des stades variables du processus de création.
Toutes ces institutions, le GFRAS, l’AFAAS et le RESCAR- AOC ont émergé dans les années 2010, mais en Afrique de l’Ouest francophone la prise de conscience du besoin de renforcer les échanges entre SCAR a été plus tardive qu’en Afrique anglophone.
RSV (GFRAS) : Les trois institutions sont financées par divers bailleurs (coopération suisse, USAID, Union européenne, Fonds international de développement agricole, etc.). Mais le financement est une des problématiques principales pour assurer des SCAR pérennes, adaptés et de qualité.
GDS : Quels sont les rôles et missions de votre réseau et comment agit-il en matière de services de conseil agricole et rural ?
RSV (GFRAS) : Le Forum mondial assure un plaidoyer pour des services de conseil pluralistes axés sur la demande en vue du développement durable, il assure aussi la gouvernance de ces services. Les activités du GFRAS sont mises en oeuvre à tous les niveaux. Mais certaines se font au niveau mondial, comme le plaidoyer politique sur les bonnes pratiques mondiales. Le GFRAS travaille directement avec ses réseaux membres mais collabore avec un grand nombre d’organisations (non membres) pour atteindre ses objectifs.
Le GFRAS plaide en faveur d’un environnement politique favorable et d’investissements appropriés pour le conseil en milieu rural ; il s’assure de la professionnalisation des SCAR ; et enfin, promeut une gestion efficace et continue des connaissances.
MO (AFAAS) : Le rôle principal d’AFAAS est politique, il plaide en faveur de politiques agricoles qui prennent mieux en compte le conseil agricole. Pour ce faire, nous faisons du partage d’informations auprès des bénéficiaires. L’AFAAS organise tous les deux ans un événement appelé « Semaine de la vulgarisation », qui réunit tous les acteurs des SCAR (chercheurs, partenaires de développement et acteurs du secteur privé), afin de mesurer le rôle des SCAR dans des domaines clés du développement agricole et rural. Enfin, les partenariats sont un élément important pour la mise en oeuvre des SCAR. L’AFAAS est partenaire du Forum pour la recherche agricole en Afrique (FARA), d’organisations de recherche sous-régionales comme le Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricoles (CORAF).
NAK (RESCAR-AOC) : La mission du RESCAR-AOC est d’offrir un espace d’échanges, de veille, d’orientation, de concertation, de renforcement de capacités et de partage d’informations aux acteurs des SCAR à l’échelle de la sous-région ouest-africaine. En 2018, le réseau a ainsi organisé avec l’AFAAS à Abidjan, un atelier d’exploration et de renforcement des synergies entre les plateformes nationales et les entreprises privées. En juin 2019, une rencontre régionale a également été organisée à Abidjan sur l’avenir des SCAR en AOC pour partager les résultats de ces services et faire des recommandations en vue d’améliorer les pratiques de la sous-région en la matière.
Le RESCAR-AOC contribue à l’amélioration des performances des services dans la région via la gestion des connaissances (avec la création d’un site web dédié) ; le renforcement des capacités à travers la mise en place de groupes de travail thématiques qui regroupent tous les représentants des pays membres, ou par la conduite d’études ; le plaidoyer et le dialogue stratégique ; le réseautage et les partenariats. Nous collaborons par exemple avec l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur l’évaluation des besoins en renforcement des capacités pour l’intégration de la nutrition dans le conseil. Le réseau renforce aussi la prise en compte de l’agriculture climato-intelligente, de la révolution digitale et de l’entreprenariat dans les services publics de conseil agricole.
À l’échelle d’un pays, chaque fora ou plateformes nationales, rattachés au RESCAR-AOC, regroupent des acteurs de tous les secteurs du conseil agricole et a des activités similaires à celles du RESCAR-AOC (partage de connaissances, renforcement des capacités, synergies entre acteur, et plaidoyer), mais au niveau local.
Une multitude de réseaux régionaux. Source : http://www.g-fras. org/fr/se-connecter/ membres.html
GDS : Quelles formes de conseil votre réseau soutient-il en Afrique ? Pourquoi ?
MO (AFAAS) : Ce qui compte vraiment c’est que l’approche soit la plus adaptée aux besoins locaux et aux contextes. En AO, l’AFAAS soutient principalement un conseil agricole porté par le secteur public, mais il existe d’autres types et démarches de conseil, portés par divers acteurs (p. 17-18) : plateformes d’innovation, champs école paysans (p. 10), paysan relais (p. 25), etc.
NAK (RESCAR-AOC) : Tout à fait, les contextes sont très diversifiés dans la région, on parle d’ailleurs de services de conseil pluralistes. On retrouve une multitude d’acteurs : services étatiques, OP, secteur privé, ONG, etc. Plutôt que d’imposer une vision, le RESCAR-AOC ne soutient pas une forme de conseil en particulier mais oeuvre pour améliorer l’efficacité et la durabilité des services qui existent déjà en privilégiant des approches innovantes, comme l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (p. 8-9).
RSV (GFRAS) : Pour le GFRAS il est important de renforcer la fourniture de services de conseil et de vulgarisation pluralistes et nous travaillons donc avec des acteurs publics, mais aussi ceux du secteur privé et de la société civile (ONG), y compris des OP.
GDS : De quelles façons votre réseau influence-t-il la construction des politiques de conseil ? Quelles en sont les limites et comment les contourner ?
RSV (GFRAS) : Une évaluation externe d’AFAAS (et du RESCAR-AOC) a eu lieu en 2017 et a permis d’apprécier les diverses activités initiées. Cela a mis en évidence plusieurs problèmes à régler pour renforcer les SCAR dans la sous-région. L’un des principaux obstacles au renforcement des activités de conseil agricole est le financement que nous essayons de mobiliser davantage mais c’est un travail long et complexe.
Le GFRAS avec l’AFAAS a également joué un rôle déterminant dans la création et le renforcement du réseau ouest et centre-africain (RESCAR-AOC). C’est lui d’ailleurs qui plaide pour des investissements accrus et de nouvelles capacités en matière de SCAR !
MO (AFAAS) : Au niveau continental, l’AFAAS rassemble les décideurs de chaque pays autour de la table pour que ces acteurs partagent leurs points de vue, parfois différents. En termes de plaidoyer et de dialogue, ces échanges entre pairs sont primordiaux pour avancer !
L’AFAAS a des fonctions très politiques, nous entretenons par exemple des relations étroites avec l’Union africaine (UA).
Nous soutenons également de manière proactive l’élaboration de politiques qui prennent mieux en compte le conseil agricole. Ainsi, dans le cadre du Nigéria, ces aspects étaient dirigés au niveau de chaque état, ils élaboraient chacun leur politique sans forcément tenir compte des SCAR. Notre rôle a été de créer du lien entre tous les espaces du pays. Mais bien sûr, chaque pays a sa propre manière de faire des affaires, sa propre volonté politique. Notre capacité d’influence dépend des autorités du pays et de leurs priorités. Si elles n’accordent pas beaucoup d’intérêt au développement, c’est un défi. Et puis les pays ont leurs propres priorités en termes de financement…
NAK (RESCAR-AOC) : Le RESCAR-AOC et les plateformes nationales affiliées ont un caractère apolitique, ce sont des plateformes neutres d’échanges. Le RESCAR-AOC ne peut intervenir directement sur les politiques agricoles mais nous menons un plaidoyer pour une meilleure prise en compte du conseil agricole dans les politiques et les investissements agricoles.
Ainsi, en Côte d’Ivoire, la plateforme nationale de conseil agricole vient d’être créée, appuyée par le RESCAR-AOC et tous les acteurs du conseil agricole (agence nationale d’appui et de développement rural, opérateurs privés, universités, instituts de recherche, ONG, OP). Nous n’avons rencontré aucune difficulté particulière car cette plateforme répondait à de réels besoins.
GDS : Comment travaillez-vous avec les autres réseaux en matière de conseil en Afrique de l’Ouest ? Comment assurez-vous la complémentarité de vos actions ?
RSV (GFRAS) : Les trois institutions (GFRAS, AFAAS, RESCAR-AOC) se complètent mutuellement, il n’y a pas de concurrence. Ensemble, on s’efforce d’améliorer les mécanismes de gouvernance et les SCAR à chaque niveau. L’AFAAS et le RESCAR-AOC sont membres du comité de direction du GFRAS, ce qui garantit une coordination harmonieuse des activités. Par exemple, le GFRAS et AFAAS (avec RESCAR- AOC) ont organisé conjointement la réunion annuelle du GFRAS 2016 au Cameroun. L’AFAAS et le RESCAR-AOC ont mobilisé des ressources financières de l’Afrique, mais le GFRAS a parrainé des participants du monde entier, ce qui a permis de nombreux échanges de connaissances sur la vulgarisation dans le monde entier. Tous deux ont bénéficié d’une visibilité accrue et de plus grandes interactions.
NAK (RESCAR-AOC) : Exactement, il n’y a pas de concurrence ou de chevauchement entre nos actions dans la mesure où les aires géographiques et les interventions de chacun sont bien définies, selon le principe de subsidiarité. Chaque échelle d’action est pertinente tant qu’elle répond à un besoin !
Nicole Aphing Kouassi (nicaphing1@yahoo.fr) est le point focal du Réseau des Services de Conseil Agricole et Rural d’Afrique de l’Ouest et du Centre (RESCAR-AOC) en Côte d’Ivoire. En savoir plus sur le RESCAR-AOC : http://www.rescar.org
Max Olupot (molupot@afaas-africa.org) est Responsable des partenariats, de la planification et de l’apprentissage au sein du Forum Africain pour les Services de Conseil Agricole (AFAAS). En savoir plus sur l’AFAAS : http://www.afaas-africa.org
Rasheed Sulaiman V (rasheed.sulaiman@gmail.com) est Président du Comité de pilotage du Forum Mondial pour le Conseil Agricole (GFRAS). En savoir plus sur le GFRAS : http://www.g-fras.org;