La crise alimentaire de 2008 serait liée, pour certains, à un mouvement spéculatif ayant entrainé la hausse du cours des matières premières agricoles. Pour d’autres, dont l’auteur de cet article, le mouvement de flambée des prix était avant tout imputable à de mauvaises récoltes. Retour sur l’instabilité des marchés agricoles depuis 2008.
Il y a dix ans, en juin 2008, se tint à Rome une conférence alimentaire mondiale organisée par la FAO dans le contexte de marchés mondiaux de matières premières agricoles dont les prix avaient doublé, voire triplé en quelques campagnes, provoquant de graves problèmes pour beaucoup de pays importateurs.
Une condamnation infondée des spéculations. À l’époque, nombre de dirigeants politiques ne manquèrent pas de fustiger l’aveuglement des marchés et de condamner la spéculation. Un ancien Premier ministre français, Michel Rocard, proposa même de fermer les marchés, et un peu plus tard une votation en Suisse porta sur l’interdiction de la spéculation sur les marchés à terme de produits agricoles. Tout ceci n’avait guère de sens tant la crise trouvait son explication dans l’évolution du rapport offre-demande, les « fondamentaux ».
Un désinvestissement historique dans les filières agricoles. Le début du xxe siècle avait en effet été marqué par une forte croissance des productions agricoles et par l’apparition de nouveaux explorateurs avec le retour de la « Mer noire » (Russie et Ukraine). Les excédents pesant sur les marchés provoquèrent une forte baisse des prix mondiaux ce qui conforta la croyance en la disponibilité de ressources agricoles abondantes et peu onéreuses. C’était d’ailleurs l’époque où les débats sur les OGM faisaient l’impasse sur la nécessité d’augmenter les productions et où, au contraire, on condamnait l’agriculture intensive et célébrait le passage au « bio ». Le résultat en fut un véritable désinvestissement de nombre de filières agricoles, en particulier dans les pays importateurs en développement qui trouvaient plus simple de se fournir à l’extérieur plutôt que de soutenir leurs propres agricultures.
Des baisses de production liées à l’instabilité climatique ? C’est dans ce contexte qu’intervinrent plusieurs accidents climatiques majeurs : un épisode El niño particulièrement fort à partir de 2006-2007 provoquant de fortes baisses de production partout dans le monde sur la campagne 2007-2008, puis une canicule en Russie en 2010, et enfin de fortes sécheresses en Amérique du Nord en 2012. Intervenant sur des bilans mondiaux plus tendus qu’on ne le pensait, ceci provoqua la flambée des prix déjà évoquée et la condamnation unanime des « spéculateurs ». En 2010, alors que la France présidait le G20, il fut question de « régulation » des marchés sans que l’on parvienne à se mettre d’accord sur la signification.
En réalité, il s’agit bien d’un exemple de la nature même des marchés agricoles mondiaux, marqués d’une volatilité qui trouve depuis toujours racine dans l’instabilité climatique. Tous les efforts entrepris à l’international pour stabiliser les marchés agricoles, et cela depuis les années trente, se sont soldés par des échecs ; il en est du blé comme du pétrole, ou du dollar. Il ne sert d’ailleurs à rien de fustiger la spéculation financière lorsqu’on sait que l’instabilité et la volatilité sont tout aussi importantes pour des marchés ne disposant pas de marché à terme, comme le riz ou les produits laitiers.
Rien n’a donc changé sur le front des marchés agricoles depuis 2008, ils sont toujours aussi instables. Ainsi, après la période de fortes tensions de 2007-2008, on a enregistré plusieurs campagnes relativement exceptionnelles avec des productions mondiales record et de fortes baisses des prix qui se poursuivaient encore en 2018, à l’exception notable du blé dont le prix a rebondi à la suite de récoltes médiocres en Russie et en Allemagne. Mais pour l’essentiel, la « grande peur » de 2008 est bien oubliée.
Pour la mise en place de politiques agricoles rémunératrices. Il est pourtant essentiel pour les pays importateurs de se prémunir contre cette instabilité et la principale solution réside dans la mise en place de véritables politiques agricoles fondées sur la garantie de prix suffisamment rémunérateurs pour les producteurs.
C’est ce qui fut mis en place en Europe avec la Politique agricole commune (PAC) de 1962. Le problème majeur est celui de la protection du marché domestique face aux importations et surtout celui de la faiblesse de pouvoir d’achat des populations urbaines. Le pouvoir politique est plus sensible aux « émeutes de la faim » dans les villes qu’à la misère des campagnes (voir pages 10-11) … À cela s’ajoutent les évolutions des modèles alimentaires avec la montée en puissance des produits « occidentaux », du pain aux fast-foods.
Au fond, la crise de 2008 a été un avertissement salutaire. Mais à voir l’augmentation des importations céréalières de nombreux pays africains, de l’Égypte au Nigéria, on peut penser que la leçon a été vite oubliée !
Philippe Chalmin (philippe.chalmin@dauphine.fr) est professeur à l’Université Paris Dauphine. Il est également l’auteur de l’ouvrage Le monde a faim, aux éditions François Bourin.