Dans de nombreuses communautés villageoises, l’agriculture, si elle garde un rôle essentiel, n’est plus le seul secteur d’activité dominant. Comment dans ce contexte envisager la formation des jeunes ruraux ? L’expérience des Maisons familiales rurales témoigne de ces réflexions.
Parmi les enfants d’agriculteurs, en Occident et dans les pays en développement et émergents, il y a celles et ceux qui sont passionnés par la vie en zone rurale et qui recherchent la formation et l’accompagnement nécessaires à l’exercice de ce métier aux compétences multiples. Il y en a d’autres qui veulent apprendre un métier différent, plus rémunérateur, moins contraignant ou complémentaire à l’activité agricole, tout en restant dans le territoire rural. D’autres encore rêvent aux lumières de la ville.
Comment prendre en compte ces souhaits divers ? Comment faciliter l’insertion socio-professionnelle des jeunes qui ne peuvent ou ne veulent pas être agriculteurs? Les Maisons familiales rurales (MFR) tentent de répondre à cette problématique.
Penser la formation rurale dans une France de moins en moins agricole. La première MFR, créée en 1937 en France, a conçu une formation qui rattache les études à une expérience professionnelle vécue. Cette formation fait appel à la responsabilité éducative des familles, relie enseignements formel et informel et mobilise de nombreux acteurs du terrain. Ses fondateurs ont fait le pari que l’alternance entre la vie et la réflexion forge une démarche de pensée et d’action et agit directement sur le milieu (cf. encadré).
Ce modèle d’organisation et de formation permet aux MFR d’être en prise directe avec les réalités. Les MFR conduisent parfois des études de faisabilité pour mieux connaître les dynamiques qui semblent émerger. Surtout, elles bénéficient, via leur pédagogie de l’alternance et leurs relations avec de nombreux acteurs du territoire, de retours réguliers. Elles perçoivent donc les évolutions du contexte et mettent en place de nouvelles actions quand des besoins se font sentir.
Les Maisons familiales rurales
Environ 1000 centres de formation « Maisons familiales rurales » existent dans une trentaine de pays d’Afrique, Amérique, Asie et Europe. Il existe des spécificités contextuelles entre ces MFR, mais elles partagent des principes de fonctionnement :
- responsabilité des familles et des acteurs locaux, souvent regroupés au sein d’une association. Les parents sont membres de l’association et élisent un conseil d’administration qui les représente.
- éducation globale, citoyenne, en internat, dans des petits groupes : l’approche éducative vise la formation de tout l’être, pas uniquement les aspects professionnels.
- formation générale associée à une formation professionnelle, selon la pédagogie de l’alternance.
- des formations au service du développement territorial.
Une MFR n’est pas une simple école, ni une coopérative d’usagers, encore moins un club d’anciens élèves. C’est d’abord un groupe humain, rassemblant des individus venant de tous horizons, des parents avec leurs enfants et leurs formateurs qui vivent, collectivement, des réalités sociales et qui réfléchissent, conjointement, à leur transformation. Une MFR agit, ensuite, comme un centre d’éducation, de formation professionnelle pour les jeunes et les adultes, d’animation sociale et culturelle pour un territoire local, et elle assure des missions de service public.
Généralement les parents paient les frais de « pension » (alimentation, internat). L’apport des familles représentent dans les pays en développement et émergents environ 10-15 % des frais de fonctionnement (souvent en nature). Les autres sources viennent de subventions (des collectivités locales, de l’État, parfois des entreprises locales) et de prestations de services. Les formations initiales durent en moyenne deux ans.
C’est ainsi qu’en quelques années, les MFR françaises ont intégré les mutations profondes qui ont touché les espaces ruraux — les actifs agricoles ne représentent plus que 2,5 % de la population active aujourd’hui contre 27 % en 1954 —, en passant d’une prédominance de l’agriculture dans l’offre de formation à la prise en compte des nouveaux besoins.
Dès les années 1950, les MFR ont ainsi proposé un enseignement ménager (connaissance de l’alimentation, transformation et conservation des produits agricoles, jardin et petit élevage familial, gestion du budget familial, santé, vente directe…) pour les futures agricultrices. Cet enseignement, souvent décrié car spécifiquement féminin et dit « ménager », a été déterminant dans la révolution technique qui a touché les campagnes. Il a en effet contribué à la diffusion d’un certain nombre de pratiques comme la congélation ou la transformation du lait en fromage. Il a aussi permis aux ménages agricoles de diversifier et d’améliorer leurs revenus. Progressivement ces formations se sont professionnalisées dans les services à la personne : aujourd’hui cet enseignement porte sur des formations sanitaires (ou sociales) de type « aide-ménagère », « aide-soignante » ou « auxiliaire de vie ».
Cette diversification de l’offre de formation s’est poursuivie, avec l’ouverture en 1962 de sections « bâtiment » ou, à partir de 1973, de centres de formation d’apprentis sur des qualifications du commerce, de l’artisanat du tourisme, de la mécanique…
Diversifier la formation rurale au Sud. Cette volonté d’adapter la formation aux besoins des jeunes et à l’évolution du contexte est aussi caractéristique des MFR des pays en développement et émergents. Dans ces pays, les MFR offrent presque toutes uniquement des formations agricoles. Or, de nombreux jeunes viennent frapper à leur porte même s’ils ne sont pas motivés par ce secteur. Ils arrivent poussés par leurs parents ou parce qu’ils ne voient pas d’autres alternatives professionnelles. Dans ce cas, plutôt que de refuser leur inscription, s’engage un dialogue pour clarifier leurs souhaits.
Par un accompagnement personnalisé et une pédagogie de l’alternance, les jeunes se retrouvent au contact d’agriculteurs ou d’éleveurs mais aussi d’autres professionnels dont l’exemple contribue à les raccrocher à l’agriculture ou au moins à leur milieu de vie rural. Cela permet de renforcer leur identité locale, de favoriser leur socialisation et leur citoyenneté et de développer leur projet personnel.Au Brésil par exemple, les MFR constatent que beaucoup de jeunes, après la formation agricole de niveau baccalauréat, deviennent agents de développement et non agriculteurs. Cela interroge les MFR par rapport à leur mission : faut-il « dissuader » les jeunes de travailler au sein des administrations ou des ONG pour les encourager à s’installer en agriculture ? La plupart des MFR brésiliennes privilégie le projet des jeunes, car elles estiment que leur éducation doit donner aux jeunes la liberté de faire leurs choix.
Les MFR des pays africains sont aussi dans une dynamique de diversification des formations depuis quelques années : teinture et saponification au Mali, électricité et bois au Cameroun, alimentation et tourisme au Maroc… Cette évolution s’est construite avec les professionnels du secteur. Elle répond aux projets des jeunes et à l’évolution du marché du travail en milieu rural.
Accompagner des parcours variés et variables. Comme l’a démontré une enquête en 2012 auprès de 150 jeunes issus de MFR du Brésil, du Burkina Faso, du Cameroun et de Madagascar, les parcours post-formation ne sont pas linéaires. Ainsi, même pour ceux désirant s’installer en agriculture, un travail en ville est souvent nécessaire pour réunir le capital suffisant au démarrage d’une petite exploitation (dans un cadre familial ou non) ou acquérir de l’expérience.
De telles trajectoires exigent des capacités multiples : entrepreneuriat, langues, mathématiques, gestion… C’est ce à quoi travaillent les MFR. Il est important également de permettre aux jeunes de cultiver une confiance en soi. Des stages dans le domaine agricole permettent de développer ces différentes compétences, qui sont « transférables » à d’autres métiers.
Construire collectivement la formation. Les MFR constituent un mouvement associatif né dans une société paysanne il y a près de 80 ans. Ce modèle perdure et se développe dans le monde, malgré les changements économiques, sociaux et politiques en cours. Les MFR ont notamment réussi, en partie et selon les lieux, la diversification de leur offre de formation.
Pourquoi ont-elles pu le faire ? D’abord, parce que « l’école » n’est pas sanctuarisée ; elle est un centre de ressources, un levier pour le développement humain et économique. Ensuite, parce que chaque personne est considérée, non comme individu isolé, mais comme membre d’une communauté collaborative, en interactions réciproques au sein du groupe social. Cette communauté réfléchit, s’engage dans la formation et se projette dans l’avenir. Or sans la capacité à rassembler et à motiver ensemble des jeunes et des adultes, sans la capacité à faire émerger des projets de ces groupes locaux, les territoires sont menacés de devenir des déserts.
Benjamin Duriez (benjamin.duriez@mfr.asso.fr) est chargé de partenariats internationaux à l’Union nationale des MFR françaises. Patrick Gues (patrick.gues@mfr.asso.fr) est responsable de la communication à l’Union nationale des MFR françaises.
Cet article se fonde en partie sur l’ouvrage d’Anne Le Bissonnais et de Julie Erceau « Les Maisons familiales rurales dans le monde : une contribution originale à l’insertion des jeunes » (L’Harmattan, 2014). françaises.